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Dessine-moi un berceau

06.12.2018

« Dessine-moi un berceau »colloque dont la thématique développe l’attention aux relations précoces dans les situations fragilisées par la souffrance psychique.

Fil-à-Fil est  une unité qui s’occupe de la parentalité et des liens précoces parents-enfants à Liège.

Deux des membres de la Société Belge de Psychanalyse, Heidy Allegaert et Anne Reinaers en sont responsables. Ce sont elles qui ont été très engagées dans l’organisation de ce colloque avec toute leur équipe.

L’idée générale de ce colloque était de réfléchir aux possibilités d’aider à développer la construction des liens entre le bébé et ses parents dans les situations, éventuellement pathologiques, où le lien est mis à mal et où il existe une réelle difficulté à développer l’attachement nécessaire entre des parents et un tout-petit ;

L’unité Fil-à-Fil offre un environnement soignant est contenant pour permettre aux parents et à l’enfant de trouver des modalités relationnelles adaptées à la triade ou à la dyade familiale pour que l’accordage affectif le plus juste possible puisse se déployer.

De nombreuses conférences nous ont été proposées tout au long de la journée.

Didier Houzel, pédopsychiatre, psychanalyste, a longuement parlé de la nécessité d’une stabilité structurelle autour du bébé pour que le jeune enfant puisse développer ses enveloppes psychiques.

Le concept d’enveloppe psychique permet de comprendre « le processus qui s’enracine dans l’expérience du tout petit avec sa mère pour aboutir à la constitution de ce que nous ressentons comme nos limites qui nous séparent du monde extérieur et qui en même temps nous y relient, qu’il s’agisse du monde concret ou de nos partenaires humains ».

Celui de « stabilité structurelle » développe l’idée que ce n’est plus « la localisation de l’objet qui est stable, mais sa forme. Tout peut changer, un flux continu peut se produire, la ou les formes restent identiques à elle(s)-même(s) ou tout au moins suffisamment semblable(s) pour demeurer reconnaissables ». Ainsi, la mère n’est jamais tout à fait la même mais, malgré les changements, le bébé peut l’identifier comme une seule et même personne.

Les processus de transformations psychiques mis en œuvre par l’entourage du bébé lui permettront de donner du sens à ses expériences corporelles, sensorielles ressenties comme des turbulences pour que ces expériences deviennent représentables.

Catherine Potel, psychomotricienne, nous a fait part de sa pratique en libéral qui nécessite certaines conditions particulières afin de permettre la mise en place d’un cadre suffisamment régulier et sécurisant  pour que le nourrisson en difficulté puisse développer ses compétences.

Dans son exposé « Des pieds qui ne touchent pas terre », elle nous a fait part de son expérience en thérapie psychomotrice auprès de bébés accueillis par l’aide sociale à l’enfance.

« Un corps ne suffit pas pour qu’il se développe dans une motricité efficace et investie. Il faut un être qui l’habite ».

Elle illustre son  intervention  par une  vignette clinique qui démontre toute l’importance d’une thérapie précoce, ce qui malheureusement est encore à défendre auprès des instances d’accueil.

L’exposé du dr Delourmel abordait la question passionnante de l’épigénétique.

L’environnement, et plus particulièrement l’environnent des stades les plus précoces du développement, influence l’expression phénotypique du génome.

Sujet passionnant bousculant l’épistémiologie mais bien difficile. Le texte mérite d’être relu.

Nous avons aussi entendu Anne Brun, professeur de psychopathologie et de psychologie clinique à l’Université de Lyon-II, nous parler de la sensori-motricité du jeune enfant et des formes primaires de symbolisation.

Son fil rouge est  la question de savoir « comment on peut retisser les expériences non encore advenues dans la vie de bébé à partir de la clinique des médiations thérapeutiques pour enfants psychotiques. Autrement dit, comment la pratique des médiations thérapeutiques peut -elle permettre de construire dans l’après coup un « berceau psychique ».

La spécificité des dispositifs de médiations thérapeutiques consiste à permettre un travail de symbolisation à partir de la rencontre de l’enfant avec la sensorialité du medium, avec une matière à manipuler, et la fonction du medium sera donc d’être un attracteur sensoriel qui fonctionne comme un véritable attracteur pour la symbolisation. Chaque medium privilégie un mode de rapport particulier à la sensorialité, selon ses qualités tactiles, visuelles, olfactives, ce qui déterminera le processus transférentiel.

La fonction du medium est de permettre le transfert d’expériences primitives sur l’objet médiateur car il réactualise des expériences archaïques souvent catastrophiques, qui concernent les états du corps et les sensations »

Un très bel exposé, très clinique, nous a été présenté par Xavier Capelle, gynécologue et Christine Lebrun sage-femme. Leur présentation était riche et au plus près de la pratique quotidienne de la maternité et de ses avatars. Il nous ont transmis leur expérience, parfois traumatique, de la clinique de la périnatalité, leur exposé était un véritable témoignage de la nécessité quasi vitale d’un accompagnement médico-psychologique pour ces jeunes mères et parents en souffrance.

La journée s’est terminée par une intervention de Pierre Delion, psychiatre, professeur à l’Université de Lille 2 qui nous a parlé de la fonction phorique qui, pour lui, regroupe toutes les modalités de soins et de portage en lien avec le développement des enveloppes corporelles.

Comme toujours, son exposé était vivant, sensible et engagé. Son combat pour une psychiatrie humaniste est précieux, il nous permet de continuer à croire à ce que nous faisons en tant que psychistes intervenants autour des relations précoces parents-bébé.

Toute la journée était également émaillée d’intermèdes pensés, réalisés, filmés et mis en scène par l’équipe de Fil-à-Fil.  Ces intermèdes comprenaient des entretiens filmés avec des patientes qui ont souhaité parler de leur vécu, des témoignages audio-phoniques d’autres patients qui ont consulté l’équipe de Fil-à-Fil ainsi que des moments musicaux et une chorégraphie qui mettait en scène l’ajustement et l’accordage affectifs des relations mère-enfant.

Le colloque était extrêmement bien organisé, l’accueil était chaleureux et prévenant. En conclusion, ce colloque était un moment clinique et interactif riche et passionnant.

En savoir plus

Dessine-moi un berceau

« Dessine-moi un berceau » colloque dont la thématique développe l’attention aux relations précoces dans les situations fragilisées par la souffrance psychique.

Fil-à-Fil est  une unité qui s’occupe de la parentalité et des liens précoces parents-enfants à Liège.

Deux des membres de la Société Belge de Psychanalyse, Heidy Allegaert et Anne Reinaers en sont responsables. Ce sont elles qui ont été très engagées dans l’organisation de ce colloque avec toute leur équipe.

L’idée générale de ce colloque était de réfléchir aux possibilités d’aider à développer la construction des liens entre le bébé et ses parents dans les situations, éventuellement pathologiques, où le lien est mis à mal et où il existe une réelle difficulté à développer l’attachement nécessaire entre des parents et un tout-petit ;

L’unité Fil-à-Fil offre un environnement soignant est contenant pour permettre aux parents et à l’enfant de trouver des modalités relationnelles adaptées à la triade ou à la dyade familiale pour que l’accordage affectif le plus juste possible puisse se déployer.

De nombreuses conférences nous ont été proposées tout au long de la journée.

Didier Houzel, pédopsychiatre, psychanalyste, a longuement parlé de la nécessité d’une stabilité structurelle autour du bébé pour que le jeune enfant puisse développer ses enveloppes psychiques.

Le concept d’enveloppe psychique permet de comprendre « le processus qui s’enracine dans l’expérience du tout petit avec sa mère pour aboutir à la constitution de ce que nous ressentons comme nos limites qui nous séparent du monde extérieur et qui en même temps nous y relient, qu’il s’agisse du monde concret ou de nos partenaires humains ».

Celui de « stabilité structurelle » développe l’idée que ce n’est plus « la localisation de l’objet qui est stable, mais sa forme. Tout peut changer, un flux continu peut se produire, la ou les formes restent identiques à elle(s)-même(s) ou tout au moins suffisamment semblable(s) pour demeurer reconnaissables ». Ainsi, la mère n’est jamais tout à fait la même mais, malgré les changements, le bébé peut l’identifier comme une seule et même personne.

Les processus de transformations psychiques mis en œuvre par l’entourage du bébé lui permettront de donner du sens à ses expériences corporelles, sensorielles ressenties comme des turbulences pour que ces expériences deviennent représentables.

 

Catherine Potel, psychomotricienne, nous a fait part de sa pratique en libéral qui nécessite certaines conditions particulières afin de permettre la mise en place d’un cadre suffisamment régulier et sécurisant  pour que le nourrisson en difficulté puisse développer ses compétences.

Dans son exposé « Des pieds qui ne touchent pas terre », elle nous a fait part de son expérience en thérapie psychomotrice auprès de bébés accueillis par l’aide sociale à l’enfance.

« Un corps ne suffit pas pour qu’il se développe dans une motricité efficace et investie. Il faut un être qui l’habite ».

Elle illustre son  intervention  par une  vignette clinique qui démontre toute l’importance d’une thérapie précoce, ce qui malheureusement est encore à défendre auprès des instances d’accueil.

 

L’exposé du dr Delourmel abordait la question passionnante de l’épigénétique.

L’environnement, et plus particulièrement l’environnent des stades les plus précoces du développement, influence l’expression phénotypique du génome.

Sujet passionnant bousculant l’épistémiologie mais bien difficile. Le texte mérite d’être relu.

 

Nous avons aussi entendu Anne Brun, professeur de psychopathologie et de psychologie clinique à l’Université de Lyon-II, nous parler de la sensori-motricité du jeune enfant et des formes primaires de symbolisation.

Son fil rouge est  la question de savoir « comment on peut retisser les expériences non encore advenues dans la vie de bébé à partir de la clinique des médiations thérapeutiques pour enfants psychotiques. Autrement dit, comment la pratique des médiations thérapeutiques peut -elle permettre de construire dans l’après coup un « berceau psychique ».

La spécificité des dispositifs de médiations thérapeutiques consiste à permettre un travail de symbolisation à partir de la rencontre de l’enfant avec la sensorialité du medium, avec une matière à manipuler, et la fonction du medium sera donc d’être un attracteur sensoriel qui fonctionne comme un véritable attracteur pour la symbolisation. Chaque medium privilégie un mode de rapport particulier à la sensorialité, selon ses qualités tactiles, visuelles, olfactives, ce qui déterminera le processus transférentiel.

La fonction du medium est de permettre le transfert d’expériences primitives sur l’objet médiateur car il réactualise des expériences archaïques souvent catastrophiques, qui concernent les états du corps et les sensations »

 

Un très bel exposé, très clinique, nous a été présenté par Xavier Capelle, gynécologue et Christine Lebrun sage-femme. Leur présentation était riche et au plus près de la pratique quotidienne de la maternité et de ses avatars. Il nous ont transmis leur expérience, parfois traumatique, de la clinique de la périnatalité, leur exposé était un véritable témoignage de la nécessité quasi vitale d’un accompagnement médico-psychologique pour ces jeunes mères et parents en souffrance.

La journée s’est terminée par une intervention de Pierre Delion, psychiatre, professeur à l’Université de Lille 2 qui nous a parlé de la fonction phorique qui, pour lui, regroupe toutes les modalités de soins et de portage en lien avec le développement des enveloppes corporelles.

Comme toujours, son exposé était vivant, sensible et engagé. Son combat pour une psychiatrie humaniste est précieux, il nous permet de continuer à croire à ce que nous faisons en tant que psychistes intervenants autour des relations précoces parents-bébé.

 

Toute la journée était également émaillée d’intermèdes pensés, réalisés, filmés et mis en scène par l’équipe de Fil-à-Fil.  Ces intermèdes comprenaient des entretiens filmés avec des patientes qui ont souhaité parler de leur vécu, des témoignages audio-phoniques d’autres patients qui ont consulté l’équipe de Fil-à-Fil ainsi que des moments musicaux et une chorégraphie qui mettait en scène l’ajustement et l’accordage affectifs des relations mère-enfant.

Le colloque était extrêmement bien organisé, l’accueil était chaleureux et prévenant. En conclusion, ce colloque était un moment clinique et interactif riche et passionnant.

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Bébés et parents en détresse chez le psychanalyste

30.11.2018

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Vidéos francophones visionnables via Youtube ou Vimeo

29.11.2018

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Tristant et Isolde – un transitionnel wagnérien?

Comment dire en mots la force, la profondeur et la continuité des émotions suscitées, à l’Opéra-Bastille, par la magie d’une œuvre lyrique exceptionnelle? La tentative ici présentée s’appuie largement sur les textes remarquables du programme réalisé par l’Opéra de Paris.

Une œuvre charnière

En 1857, Richard Wagner (1813-1883) interrompt la composition de Siegfried pour se lancer dans Tristan et Isolde : il écrit le livret en septembre, achève le premier acte en avril 1858, le deuxième en mars 1859, et le troisième en août de la même année.

L’inspiration en est diverse : sa liaison amoureuse passionnelle cachée avec l’épouse du mécène zurichois qui l’héberge, Mathilde Wesendonck ; la révélation de cette relation adultère en 1858 et le départ pour Venise où il compose le deuxième acte ; mais, plus fondamentalement, l’influence de la philosophie de Schopenhauer, Le monde comme volonté et représentation (1818), qu’il découvre en 1854 ; et une évolution de sa pensée musicale qui le conduit, à partir des conceptions théorisées dans Opéra et drame (1851), vers les nouveaux développements de La musique de l’avenir (1860).

La mise en scène de Peter Sellers et Bill Viola

Elle allie une grande sobriété du décor, écrin sombre où se déploie le drame passionnel, à la magie des vidéos de Viola, déployant au centre de la scène les visions colorées d’un espace intermédiaire entre trame narrative et interprétation orchestrale et lyrique.

Issue du Tristan Project, scansion des trois actes en trois soirées, créé pour la Philharmonie de Los Angeles en 2004, puis rassemblée en une soirée – plongée profonde où l’écoulement du temps est comme suspendu – dans la production de 2005 à l’Opéra Bastille, salle à l’acoustique exceptionnelle, la co-création Sellers-Viola revient à l’affiche cet automne 2018.

La composition comme transition entre configurations psychiques

« Il est dans ma nature profonde de changer rapidement et violemment d’humeur, passant d’un extrême à un autre … Je reconnais maintenant que la composition particulière de ma musique (en rapport étroit, par nature, avec le modèle poétique) … doit surtout sa structure aux sentiments les plus délicats qui me permettent de me pencher sur la transition et sur le processus d‘évolution entre ces humeurs. Je voudrais maintenant appeler mon art le plus subtil et le plus profond ainsi : l’art de la transition … Mon plus grand chef-d’œuvre dans l’art subtil de la transition est certainement la grande scène du second acte de Tristan et Isolde » (lettre de Richard Wagner à Mathilde Wesendonck, 29 octobre 1859).

Les ingrédients de l’art de la transition

L’orchestre, « élément unificateur du drame … par la réalisation de l’harmonie et par ses couleurs propres … révèle la voix chantée et devient un élément déterminant du drame car il assure une partie prépondérante de l’expression du discours dramatique. Mieux, la couleur sonore devient le drame lui-même, d’où l’importance des leitmotive qui tissent leur toile dramatique sous la déclamation chantée et qui forment … un drame sous-jacent, qui est l’expression du drame en soi sans les interférences de l’action dramatique » (Jean-Jacques Velly).

L’ambiguïté musicale : Makis Solomos parle d’un « tournant capital pour l’histoire de la musique » : « il faut d’abord évoquer le terrible travail de sape de la tonalité que met en œuvre Tristan. Le premier outil d’une telle démolition, le plus évident, qui surgit dès les premières notes du prélude, est le chromatisme … la fonction symbolique de l’opposition chromatisme / diatonisme y est atténuée … Une très grande partie des leitmotive de Tristan est constituée tout simplement de fragments de la gamme chromatique : le motif du « désir ardent » (quatre notes chromatiques ascendantes : sol //la-la//-si), celui de la « colère » (…), celui de « Tristan guéri par Isolde » … Les enchaînements harmoniques sont aussi dominés par le chromatisme … Autre symptôme musical d’une musique à venir : l’émancipation de la dissonance … Dans le système tonal, la dissonance doit être préparée et résolue. Dans Tristan, elle survient souvent brusquement et n’est pas nécessairement résolue … La tonalité … se caractérise avant tout par la « fonctionnalité » qui préside aux enchaînements harmoniques (les successions d’accords obéissent à des schémas sous-jacents très simples et standards, un peu à la manière des fonctions grammaticales des mots). Dans Tristan, les accords ainsi que les tonalités se succèdent presque sans « plan tonal » : … les racines du surréalisme musical – enchaînements d’accords par associations d’idées – sont déjà posées … La non-fonctionnalité tonale, c’est aussi le secret wagnérien par excellence qu’on pourrait appeler : Tristan ou l’art de l’ambiguïté …

L’informe

« Les configurations harmoniques sont prises comme des sons (complexes) en soi, dont il s’agit de creuser la profondeur et non les liens avec les autres sons … Dans son travail de transformation constante des motifs …, Wagner annonce l’ « ultrathématisme » … construction quasi « fractale » aux schémas d’une infinie généralité, qui accorde l’apparence d’informe : l’auditeur se noie dans le même, le même du même, etc. » (Solomos). Si j’ai cité longuement les analyses d’un agrégé et docteur en musicologie, utilisant des concepts d’une discipline qui me passe très largement au-dessus de la tête, c’est qu’elles me semblent bien montrer combien l’émotion musicale chez Wagner repose sur la maîtrise d’une technique de composition qui déconstruit la tonalité et les harmoniques pour laisser place à l’ambiguïté et à l’informe comme support d’une dynamique des transitions. Dans un langage plus familier, Adorno, cité par Solomos, remarque que « si Wagner a aboli les formes données, les caractères connus de l’opéra : air, récitatif, ensemble, cela ne veut pas dire que sa musique n’a pas de forme, qu’elle est informe comme on disait au XIXè siècle. (…) Ce qui est vrai, c’est que la musique wagnérienne n’a pas de terre ferme sous ses pieds, d’où ce sentiment étrange de planer : la forme comme authentique devenir, non comme objet, voilà qui est un de ses éléments constitutifs les plus féconds ».

Le texte du livret

Wagner s’inspire de poèmes anglais et allemands du Moyen-Age s’inscrivant dans la continuité d’une tradition orale bretonne. Emporté par la passion fougueuse d’Isolde, Tristan éprouve la pure destructivité de l’amour face à la douleur de Marke, l’ami trompé :

« A moi tout ceci ?

Tout ceci, Tristan, à moi ?

Où chercher la fidélité, si Tristan m’a trompé ?

Ou donc chercher l’honneur,

La franchise des gestes,

Si le rempart de tout honneur,

Si Tristan, lui, les a perdus ?

Celle qui s’était choisi Tristan pour bouclier,

La vertu, où maintenant s’est-elle enfuie,

Si elle a fui mon ami,

Si Tristan m’a trahi ?

(…)

As-tu donc compté pour si peu

La reconnaissance d’un homme

Qui t’avait fait l’héritier et le maître

De ce que tu lui avais acquis,

La gloire, le royaume ?

Jadis, quand disparut

Sa femme, sans enfant,

Il t’aima tellement, ce Marke,

(…)

Tristan, alors, comprend la musique lancinante qui l’agit :

« Est-ce donc là ce que tu veux me dire,

Toi, la vieille et grave chanson,

Avec tes échos plaintifs ?

A travers les souffles du soir,

Jadis elle portait l’angoisse

Pour annoncer à un enfant

La mort de son père.

Dans la grisaille du matin,

Angoisse encore et plus qu’angoisse,

Pour apprendre au fils

Le sort de sa mère :

J’eus un père mourant en me donnant la vie,

Une mère mourant en me mettant au monde.

La vieille chanson

D’angoisse et désir

Porta sa plainte

En eux aussi ;

C’est la même qui aujourd’hui

Me demande, comme jadis :

À quel destin étais-je ainsi voué,

Qui m’expliquera pourquoi je suis né ?

A quel destin ?

La vieille chanson

Vient me le redire :

Brûler de désir … et mourir !

Non ! Ah non !

Elle me dit autre chose !

Désir ! Désir !

Jusque dans la mort brûler de désir,

Au désir de ne jamais mourir ! »

Ainsi le texte wagnérien inscrit-il, sur le fond continu de transformation des émotions violentes qu’installe le travail musical de l’informe et de l’ambiguïté, la différenciation du sens des mots qui dénoncent la répétition mortifère, tout comme les voix des ténor, soprano, basse et baryton s’élèvent de la scène sombre du drame, animée, en son centre, par la transformation continue des images de la création vidéo de Bill Viola, reprenant, dans le registre visuel, la dynamique même des transitions de la composition wagnérienne.

Nul doute que nous ayons, en tant que psychanalystes, bien des choses à tirer de cette intégration, dans une telle mise en scène de l’œuvre lyrique de Wagner, de niveaux de symbolisation hétérogènes, pour nous risquer à affronter le fond mélancolique du désir passionnel.

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Tristant et Isolde – un transitionnel wagnérien?

Comment dire en mots la force, la profondeur et la continuité des émotions suscitées, à l’Opéra-Bastille, par la magie d’une œuvre lyrique exceptionnelle? La tentative ici présentée s’appuie largement sur les textes remarquables du programme réalisé par l’Opéra de Paris.

Une œuvre charnière

En 1857, Richard Wagner (1813-1883) interrompt la composition de Siegfried pour se lancer dans Tristan et Isolde : il écrit le livret en septembre, achève le premier acte en avril 1858, le deuxième en mars 1859, et le troisième en août de la même année.

L’inspiration en est diverse : sa liaison amoureuse passionnelle cachée avec l’épouse du mécène zurichois qui l’héberge, Mathilde Wesendonck ; la révélation de cette relation adultère en 1858 et le départ pour Venise où il compose le deuxième acte ; mais, plus fondamentalement, l’influence de la philosophie de Schopenhauer, Le monde comme volonté et représentation (1818), qu’il découvre en 1854 ; et une évolution de sa pensée musicale qui le conduit, à partir des conceptions théorisées dans Opéra et drame (1851), vers les nouveaux développements de La musique de l’avenir (1860).

La mise en scène de Peter Sellers et Bill Viola

Elle allie une grande sobriété du décor, écrin sombre où se déploie le drame passionnel, à la magie des vidéos de Viola, déployant au centre de la scène les visions colorées d’un espace intermédiaire entre trame narrative et interprétation orchestrale et lyrique.

Issue du Tristan Project, scansion des trois actes en trois soirées, créé pour la Philharmonie de Los Angeles en 2004, puis rassemblée en une soirée – plongée profonde où l’écoulement du temps est comme suspendu – dans la production de 2005 à l’Opéra Bastille, salle à l’acoustique exceptionnelle, la co-création Sellers-Viola revient à l’affiche cet automne 2018.

La composition comme transition entre configurations psychiques

« Il est dans ma nature profonde de changer rapidement et violemment d’humeur, passant d’un extrême à un autre … Je reconnais maintenant que la composition particulière de ma musique (en rapport étroit, par nature, avec le modèle poétique) … doit surtout sa structure aux sentiments les plus délicats qui me permettent de me pencher sur la transition et sur le processus d‘évolution entre ces humeurs. Je voudrais maintenant appeler mon art le plus subtil et le plus profond ainsi : l’art de la transition … Mon plus grand chef-d’œuvre dans l’art subtil de la transition est certainement la grande scène du second acte de Tristan et Isolde » (lettre de Richard Wagner à Mathilde Wesendonck, 29 octobre 1859).

Les ingrédients de l’art de la transition

L’orchestre, « élément unificateur du drame … par la réalisation de l’harmonie et par ses couleurs propres … révèle la voix chantée et devient un élément déterminant du drame car il assure une partie prépondérante de l’expression du discours dramatique. Mieux, la couleur sonore devient le drame lui-même, d’où l’importance des leitmotive qui tissent leur toile dramatique sous la déclamation chantée et qui forment … un drame sous-jacent, qui est l’expression du drame en soi sans les interférences de l’action dramatique » (Jean-Jacques Velly).

L’ambiguïté musicale : Makis Solomos parle d’un « tournant capital pour l’histoire de la musique » : « il faut d’abord évoquer le terrible travail de sape de la tonalité que met en œuvre Tristan. Le premier outil d’une telle démolition, le plus évident, qui surgit dès les premières notes du prélude, est le chromatisme … la fonction symbolique de l’opposition chromatisme / diatonisme y est atténuée … Une très grande partie des leitmotive de Tristan est constituée tout simplement de fragments de la gamme chromatique : le motif du « désir ardent » (quatre notes chromatiques ascendantes : sol //la-la//-si), celui de la « colère » (…), celui de « Tristan guéri par Isolde » … Les enchaînements harmoniques sont aussi dominés par le chromatisme … Autre symptôme musical d’une musique à venir : l’émancipation de la dissonance … Dans le système tonal, la dissonance doit être préparée et résolue. Dans Tristan, elle survient souvent brusquement et n’est pas nécessairement résolue … La tonalité … se caractérise avant tout par la « fonctionnalité » qui préside aux enchaînements harmoniques (les successions d’accords obéissent à des schémas sous-jacents très simples et standards, un peu à la manière des fonctions grammaticales des mots). Dans Tristan, les accords ainsi que les tonalités se succèdent presque sans « plan tonal » : … les racines du surréalisme musical – enchaînements d’accords par associations d’idées – sont déjà posées … La non-fonctionnalité tonale, c’est aussi le secret wagnérien par excellence qu’on pourrait appeler : Tristan ou l’art de l’ambiguïté …

L’informe

« Les configurations harmoniques sont prises comme des sons (complexes) en soi, dont il s’agit de creuser la profondeur et non les liens avec les autres sons … Dans son travail de transformation constante des motifs …, Wagner annonce l’ « ultrathématisme » … construction quasi « fractale » aux schémas d’une infinie généralité, qui accorde l’apparence d’informe : l’auditeur se noie dans le même, le même du même, etc. » (Solomos). Si j’ai cité longuement les analyses d’un agrégé et docteur en musicologie, utilisant des concepts d’une discipline qui me passe très largement au-dessus de la tête, c’est qu’elles me semblent bien montrer combien l’émotion musicale chez Wagner repose sur la maîtrise d’une technique de composition qui déconstruit la tonalité et les harmoniques pour laisser place à l’ambiguïté et à l’informe comme support d’une dynamique des transitions. Dans un langage plus familier, Adorno, cité par Solomos, remarque que « si Wagner a aboli les formes données, les caractères connus de l’opéra : air, récitatif, ensemble, cela ne veut pas dire que sa musique n’a pas de forme, qu’elle est informe comme on disait au XIXè siècle. (…) Ce qui est vrai, c’est que la musique wagnérienne n’a pas de terre ferme sous ses pieds, d’où ce sentiment étrange de planer : la forme comme authentique devenir, non comme objet, voilà qui est un de ses éléments constitutifs les plus féconds ».

Le texte du livret

Wagner s’inspire de poèmes anglais et allemands du Moyen-Age s’inscrivant dans la continuité d’une tradition orale bretonne. Emporté par la passion fougueuse d’Isolde, Tristan éprouve la pure destructivité de l’amour face à la douleur de Marke, l’ami trompé :

« A moi tout ceci ?

Tout ceci, Tristan, à moi ?

Où chercher la fidélité, si Tristan m’a trompé ?

Ou donc chercher l’honneur,

La franchise des gestes,

Si le rempart de tout honneur,

Si Tristan, lui, les a perdus ?

Celle qui s’était choisi Tristan pour bouclier,

La vertu, où maintenant s’est-elle enfuie,

Si elle a fui mon ami,

Si Tristan m’a trahi ?

(…)

As-tu donc compté pour si peu

La reconnaissance d’un homme

Qui t’avait fait l’héritier et le maître

De ce que tu lui avais acquis,

La gloire, le royaume ?

Jadis, quand disparut

Sa femme, sans enfant,

Il t’aima tellement, ce Marke,

(…)

Tristan, alors, comprend la musique lancinante qui l’agit :

« Est-ce donc là ce que tu veux me dire,

Toi, la vieille et grave chanson,

Avec tes échos plaintifs ?

A travers les souffles du soir,

Jadis elle portait l’angoisse

Pour annoncer à un enfant

La mort de son père.

Dans la grisaille du matin,

Angoisse encore et plus qu’angoisse,

Pour apprendre au fils

Le sort de sa mère :

J’eus un père mourant en me donnant la vie,

Une mère mourant en me mettant au monde.

La vieille chanson

D’angoisse et désir

Porta sa plainte

En eux aussi ;

C’est la même qui aujourd’hui

Me demande, comme jadis :

À quel destin étais-je ainsi voué,

Qui m’expliquera pourquoi je suis né ?

A quel destin ?

La vieille chanson

Vient me le redire :

Brûler de désir … et mourir !

Non ! Ah non !

Elle me dit autre chose !

Désir ! Désir !

Jusque dans la mort brûler de désir,

Au désir de ne jamais mourir ! »

Ainsi le texte wagnérien inscrit-il, sur le fond continu de transformation des émotions violentes qu’installe le travail musical de l’informe et de l’ambiguïté, la différenciation du sens des mots qui dénoncent la répétition mortifère, tout comme les voix des ténor, soprano, basse et baryton s’élèvent de la scène sombre du drame, animée, en son centre, par la transformation continue des images de la création vidéo de Bill Viola, reprenant, dans le registre visuel, la dynamique même des transitions de la composition wagnérienne.

Nul doute que nous ayons, en tant que psychanalystes, bien des choses à tirer de cette intégration, dans une telle mise en scène de l’œuvre lyrique de Wagner, de niveaux de symbolisation hétérogènes, pour nous risquer à affronter le fond mélancolique du désir passionnel.

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La Flûte Enchantée, mise en scène par Romeo Castellucci

Je ne suis pas musicologue, ni musicienne mais j’ai eu envie de mettre en mots mes impressions et mes émotions face à ce spectacle très controversé de la Flûte Enchantée. Ce n’est pas vraiment « la Flûte » qu’on voit, mais une version écourtée dans une chronologie un peu différente, à laquelle se rajoutent des scènes avec des textes récités, écrits par la sœur de Castellucci. Même si on s’y attend après avoir lu les critiques, on est déçu de ne pas retrouver la magie et la beauté de ce conte.

Cet opéra se déroule en deux parties à dessein très contrastées.

La première partie est très belle, très froide, toute en blanc et en neige ; les personnages évoluent en costumes d’époque derrière un voile comme des ombres chinoises fantomatiques qu’on a du mal à identifier ; les tableaux superbes se succèdent comme un rêve qui se déroule, avec cette musique magnifique qui nous entoure. Chaque scène est dédoublée de manière symétrique, il y a deux Tamino, deux Papageno, deux Pamina, deux Papagena.

Après l’entracte, le contraste est saisissant. On se retrouve devant un décor terne et sinistre qui évoque la salle d’attente un peu délabrée et sale d’un bâtiment administratif au temps du communisme. A l’avant-plan arrivent des femmes aveugles et des hommes grands-brûlés qui, entre les morceaux de chant, nous racontent à tour de rôle leur histoire extrêmement traumatique ; c’est à la fois effractant et bouleversant, comme la scène dans laquelle les femmes touchent sans le voir le corps dénudé et mutilé des hommes. Après le rêve, on est heurté de plein fouet par la violence et l’injustice de la vie ; l’enchantement est stoppé net. Même la musique semble s’effacer. Est-ce cela qu’a voulu montrer le metteur en scène, la souffrance terrible derrière la beauté, la réalité crue et dure sous le rêve ? La souffrance de Mozart au moment où il a écrit cet opéra ? Ou s’agit-il de la métaphore d’hommes qui se sont trop approchés du feu et de femmes plongées dans une nuit éternelle ?

De toute façon, cette mise en scène me parait un exercice maladroit et laborieux, dont je ne vois pas en plus le lien avec l’esprit de cet opéra de Mozart ; les textes récités sont plats et peu élaborés. Cette représentation me fait penser à une équation symbolique sans l’épaisseur des transformations en lien avec le processus de la création artistique ou encore à un rêve traumatique imprégné de la réalité crue. Dans Orphée et Eurydice déjà, Castellucci avait fait le choix de montrer en vidéo la descente aux enfers, dans la réalité, d’une jeune femme enfermée dans un « locked-in syndrome » ; à la fin de l’opéra, il a introduit une scène imaginaire, un tableau magnifique laissant voir ce qu’aurait pu être cet opéra traité sur un autre mode.

Bref, de mon point de vue, une interprétation de de la Flûte Enchantée particulière, très personnelle, qui ne me parle pas et une mise en scène un peu ratée.

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La Flûte Enchantée, mise en scène par Romeo Castellucci

Je ne suis pas musicologue, ni musicienne mais j’ai eu envie de mettre en mots mes impressions et mes émotions face à ce spectacle très controversé de la Flûte Enchantée. Ce n’est pas vraiment « la Flûte » qu’on voit, mais une version écourtée dans une chronologie un peu différente, à laquelle se rajoutent des scènes avec des textes récités, écrits par la sœur de Castellucci. Même si on s’y attend après avoir lu les critiques, on est déçu de ne pas retrouver la magie et la beauté de ce conte.

Cet opéra se déroule en deux parties à dessein très contrastées.

La première partie est très belle, très froide, toute en blanc et en neige ; les personnages évoluent en costumes d’époque derrière un voile comme des ombres chinoises fantomatiques qu’on a du mal à identifier ; les tableaux superbes se succèdent comme un rêve qui se déroule, avec cette musique magnifique qui nous entoure. Chaque scène est dédoublée de manière symétrique, il y a deux Tamino, deux Papageno, deux Pamina, deux Papagena.

Après l’entracte, le contraste est saisissant. On se retrouve devant un décor terne et sinistre qui évoque la salle d’attente un peu délabrée et sale d’un bâtiment administratif au temps du communisme. A l’avant-plan arrivent des femmes aveugles et des hommes grands-brûlés qui, entre les morceaux de chant, nous racontent à tour de rôle leur histoire extrêmement traumatique ; c’est à la fois effractant et bouleversant, comme la scène dans laquelle les femmes touchent sans le voir le corps dénudé et mutilé des hommes. Après le rêve, on est heurté de plein fouet par la violence et l’injustice de la vie ; l’enchantement est stoppé net. Même la musique semble s’effacer. Est-ce cela qu’a voulu montrer le metteur en scène, la souffrance terrible derrière la beauté, la réalité crue et dure sous le rêve ? La souffrance de Mozart au moment où il a écrit cet opéra ? Ou s’agit-il de la métaphore d’hommes qui se sont trop approchés du feu et de femmes plongées dans une nuit éternelle ?

De toute façon, cette mise en scène me parait un exercice maladroit et laborieux, dont je ne vois pas en plus le lien avec l’esprit de cet opéra de Mozart ; les textes récités sont plats et peu élaborés. Cette représentation me fait penser à une équation symbolique sans l’épaisseur des transformations en lien avec le processus de la création artistique ou encore à un rêve traumatique imprégné de la réalité crue. Dans Orphée et Eurydice déjà, Castellucci avait fait le choix de montrer en vidéo la descente aux enfers, dans la réalité, d’une jeune femme enfermée dans un « locked-in syndrome » ; à la fin de l’opéra, il a introduit une scène imaginaire, un tableau magnifique laissant voir ce qu’aurait pu être cet opéra traité sur un autre mode.

Bref, de mon point de vue, une interprétation de de la Flûte Enchantée particulière, très personnelle, qui ne me parle pas et une mise en scène un peu ratée.

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