Prix Maurice Haber 2020

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Le prix 2020 a été décerné à l’occasion du 4è Colloque international de la Revue belge de psychanalyse.

Les quatre articles retenus pour l’attribution étaient :

Didier Lippe : Fille vs Garçon : Entre croyance et conviction ? Revue n° 72, 2018-1

Brindusa Orasanu : Le cynisme, messager hâtif de thanatos. Revue n° 74, 2019-1

Kostas Nassikas : Le transfert fabrique du signe. Revue n° 74, 2019-1

Thierry Bastin : Du potentiel transformateur de l’inquiétante étrangeté dans la clinique infanto juvénile et dans la formation psychothérapeutique. Revue n° 75, 2019-2

Le jury, composé de 2 membres du comité de rédaction (Marianne Van Bourgonie et moi-même), de deux membres du Conseil d’Administration de la SBP (Arlette Lecoq et Christine Franckx) et de deux correspondants étrangers (Ellen Corin de Monréal et Luc Magnenat de Genève),  a délibéré le 19 septembre 2020 et a attribué le Prix Maurice Haber 2020 à Didier Lippe pour son article :

« Fille vs Garçon : entre Croyance et Conviction ?  RBP, n°72, 2018-1

Le jury a trouvé très courageux pour un psychanalyste de se lancer dans un sujet aussi difficile et pourtant très actuel, de cette recherche d’identité à corps perdu.

L’auteur a ouvert la réflexion  sur la croyance et la conviction, privilégiant la reconnaissance d’un dol, appelant réparation. Le travail du psychanalyste est abordé avec beaucoup d’humilité quand les limites du monde interne et celles de l’externe s’entremêlent.Pour cette ouverture et la qualité agréable de l’écriture, pour les questions que le texte a suscitées et le souhait de pouvoir en discuter encore, le jury a  décidé d’octroyer le prix Maurice Haber à Didier Lippe. Qu’il en soit chaleureusement félicité. Il recevra un patagon par la poste puisque malheureusement les conditions sanitaires ne nous ont pas permis de l’accueillir aujourd’hui.

Blandine Faoro-Kreit

La lettre de remerciements de Didier Lippe

28/09/2020

Il est très difficile de commencer un discours de remerciements sans commencer par « Je », et de résister à une petite inflation narcissique, mais voilà c’est fait, et je peux donc vous dire que « je » suis très heureux et très honoré de recevoir ce prix Maurice Haber de la RBP, qui récompense un article de psychanalyse, et qui de plus, est décerné par des collègues.

Je remercie les membres du jury, ceux du comité éditorial de la RBP qui m’a accueilli dans ses pages, et puis les analystes de la Société Belge de Psychanalyse que j’ai rencontrés avec beaucoup de plaisir à Dakar où j’ai évoqué le sujet de cet article. Leurs appréciations chaleureuses m’ont encouragé pour sa rédaction, et en particulier celles de Jean-Paul Matot qui m’a sollicité pour la revue et que je remercie particulièrement.

Je ne voudrais pas être trop long, d’autant qu’un message lu est toujours plus fastidieux à écouter, mais je voudrais remercier aussi tous les psychanalystes anciens et actuels, c’est-à-dire pas seulement ceux cités dans l’article, qui m’ont aidés à former – et non pas forger-, ma pensée, et qui ont participé à mon plaisir de penser ; penser bien sûr la théorie, mais aussi la pratique au service de laquelle elle est. Je suis donc d’autant plus heureux de ce prix qu’il s’attache à distinguer la dimension clinique de la psychanalyse.

L’objet de cet article relatif aux questions sur le genre et les identités sexuées est issu de ma pratique individuelle, mais cette réflexion part aussi des développements et évolutions sociétales qu’on ne peut ignorer et qui influent sur ces questions. Celles-ci sont également étroitement intriquées, chez les adolescents notamment, avec de nouvelles modalités d’appréhender et de s’approprier leur corps, leurs relations amoureuses, et avec les possibilités offertes par les progrès de la médecine, de la chirurgie, et de la PMA.

« L’être fille » et « l’être garçon » ne sont plus les évidences qu’elles étaient et sont aujourd’hui questionnés, jusqu’à l’évocation de « l’être neutre » et aux demandes de changement d’identité sexuée et de sexe, de « transition », « M to F »-« Male to Female », ou « F to M »-« Female to Male ». Les représentations identitaires en sont profondément remaniées avec toutes leurs implications sur les organisations familiales et sociétales, et sur les relations profondes et intimes entres les individus. S’agit-il dans ces demandes de changement d’identité sexuée, d’un profond mal-être intérieur qui cherche sa résolution anatomique et chirurgicale, ou bien d’une simple, et en fait jamais si simple, réassignation de ce qui serait une  «erreur originelle» de la Nature comme veulent le présenter parfois certaines de ces personnes, qui prônent dès lors la dépathologisation de leur demande?

Ces mouvements, qui se veulent « de libération », personnelle et sociétale, font évoluer profondément nos relations et nos rapports aux autres, à l’autre, et bien sûr en retour à nous-mêmes, et vont jusqu’à questionner, au-delà de la différence des sexes, la ou les définitions mêmes « d’être humain » et les représentations qui y sont rattachées.

En retour également, ces évolutions, qu’elles soient symptomatiques ou structurelles, questionnent profondément nos théories et nos concepts, qui reposent en partie sur ces représentations et sur les rapports réactualisés entre « Nature » et « Culture ». La différence des sexes, l’organisation oedipienne, les identifications primaires et secondaires, le rapport au réel ou à la réalité pour ne citer que celles-là…, déterminantes pour le développement et la construction identitaire du Sujet, sont mises à l’épreuve de ces évolutions sociétales et culturelles. Comment penser dès lors ces profondes et réelles souffrances identitaires dans lesquelles le changement ou la « réassignation » de sexe, portées par une croyance et une conviction souvent inébranlables, sont vécues comme seul horizon possible d’une ligne de vie ?

A la croisée du plus intime individuel et de son environnement sociétal, ces problématiques nous imposent en tout cas des réévaluations et des révisions théoriques et pratiques, dont dépendra la possibilité d’une relation transférentielle efficiente, moteur tout à la fois silencieux et bruyamment tumultueux de la cure. C’est aussi à ces conditions que la psychanalyse, qui reste malgré tout celle de l’élaboration freudienne, peut rester vivante et actuelle.

J’espère que cet environnement hostile qu’est « la » covid (elle semble, elle, avoir fait sa transition « M to F »), qui bouscule et questionne aussi à sa façon nos pratiques, va bientôt nous « fiche la paix », pour permettre des réunions « en présence » autrement plus agréables.

Avec toutes mes amitiés.

Didier Lippe