Toni Erdmann

Un film réalisé par Maren Ade (2016)

Films

Partager sur

De la même manière que le choix du titre du film paraît trivial, le synopsis semble l’être aussi à première vue: un père, soucieux du bonheur de sa fille Inès, vient contrarier la vie terne, morose et fondamentalement esseulée qu’elle mène, au rythme de challenges professionnels et de relations affectives et sociales aseptisées.

Toutefois, le film va prendre de l’envergure et va offrir au spectateur l’occasion de s’imprégner progressivement des différentes émotions éprouvées, souvent réprimées, par les protagonistes.

Inès vit dans un monde métallique, ordonné, lisse et froid. Elle enfuit une douleur et une solitude irrecevables dans le sommeil, dans les lignes de cocaïne et dans une sexualité désincarnée.

Son père, clown triste, va se donner un nom d’emprunt, et se créer un personnage qui, tel un bouffon, s’immisce dans les relations professionnelles et amicales de sa fille. Il la surprend, l’agace, lui fait honte, par des comportements et des propos cocasses, déjantés, impertinents, désinvoltes, provoquants, tendres aussi.

Victor Hugo écrit que « le propre d’un fou de cour, c’est de dire çà et là des choses étranges et folles par l’expression, vraies et sages par la pensée » (Correspondance,1839, p. 569).

C’est exactement ce que fait Toni, le père qui reflète à sa fille la part d’elle qu’elle se refuse de voir, celle qui vibre d’émotions vraies et mises à nu, celle qui se leurre dans un environnement faux ou déshumanisé.

Le film s’achève sur une interrogation : Inès a-t-elle intégré en elle son père vitalisant, anti-dépresseur, anti-narcissique, et va-t-elle voir et regarder le monde autour d’elle avec d’autres yeux, et croquer la vie avec d’autres dents ?

Dans l’après-coup, je me suis imaginée que la fin du film pouvait aussi en être le prélude ; il débuterait alors qu’Inès est revenue sur les lieux de son enfance et pense à ce que son père lui a laissé en héritage. Toni Erdmann devient ainsi l’imago paternelle issue de la vie fantasmatique de la jeune femme ; ce personnage paternel, attentionné, burlesque mais déterminé, puisé dans la veine d’un Surmoi édificateur et protecteur, vient alors marcher dans les rêveries d’Inès et veille à la maintenance coûte que coûte d’une ouverture potentielle du Moi au monde, au respect de soi-même, aux liens d’amour et d’humour.

Claire De Vriendt-Goldma

02/10/2016