An (Les délices de Tokyo)

Films

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Commençons par oublier l’absurde traduction française du titre : Les délices de Tokyo. C’est un des plus beaux films que j’aie vu ces dernières années, adapté d’un roman de l’acteur Tetsuya Akikawa. Il sort dans les salles bruxelloises au moment où commencent à fleurir les cerisiers du japon, avec un mois d’avance.

An, c’est la pâte de haricots rouges confits, ingrédient essentiel des dorayakis, une pâtisserie traditionnelle japonaise grâce à laquelle survit péniblement Sentaro, un homme solitaire dont la vie se déroule dans quelques mètres entre son appartement à l’étage, la plate-forme sur le toit de l’immeuble, l’escalier extérieur et la petite échoppe.

Une vieille femme charmante aux mains déformées, Tokue, va l’initier à l’art culinaire, qui n’est rien de moins qu’une des voies permettant à l’homme d’exister dans la découverte de son monde. Tout est dans l’attention portée au murmure des haricots, qui racontent en cuisant leur vie dans le soleil, la pluie et le vent. L’absence de cette attention est aussi ce qui éloigne l’homme de son humanité, et l’empêche d’élaborer sa destructivité.

Naomi Kawase (https://www.youtube.com/watch?v=TKFOl9Hm1ss), née en 1960 à Nara (Japon), a obtenu le Grand Prix du Festival de Cannes en 2007 avec La forêt de Mogari. Son œuvre cinématographique nous explique patiemment, tendrement, douloureusement, que les branches, les fleurs et les feuilles des cerisiers forment une enveloppe entre l’homme et le ciel, le soleil et la lune. Leur temporalité saisonnière tente de le protéger de la folie et de l’angoisse qui le pousse, lui modeste locataire, à oublier l’inappropriabilité de la terre (http://www.amis.monde-diplomatique.fr/ article4247.html), et l’engage à se souvenir de son appartenance au monde. Tout ceci n’est pas sans lien avec ce que je tente, dans le domaine de la psychanalyse, de développer avec le concept de dissémination (http://jean-paul-matot.org/).

Jean-Paul Matot

26/02/2016