Lire le nourrisson Une observation clinique par le détail Claire De Vriendt-Goldman

Jacques Delaunoy

Notes de lecture

Partager sur

 

La première chose qui a attiré mon regard en découvrant ce livre, c’est le très joli dessin d’un nourrisson tendrement endormi.
Il avait l’air si heureux, on aurait eu envie d’être à sa place.
On a tous été bébé, non !

Mais ce qui m’a intrigué ensuite c’est le sous-titre : une observation clinique

par le détail.

Que voulait dire ce par le détail ?
Que recouvrait cette drôle d’expression qui nous invitait à ne pas simplement s’arrêter à ce bébé mais nous poussait à aller plus loin, dans les détails.
Cela a stimulé ma curiosité, j’ai ouvert le livre et je n’ai pas été déçu.

Je connaissais les travaux de Brazelton.
Je me souviens l’avoir vu examiner un nourrisson en présence de ses parents.
Il lui montrait une balle rouge que l’enfant regardait intensément.
Puis il entrait en interaction avec lui, le touchant, le manipulant, lui parlant et montrait peu à peu aux parents éblouis toutes les compétences de leur enfant.
Le but de Brazelton était de favoriser un bon contact entre parents et nourrisson au moment de leurs premières rencontres.
Il avait par la suite élaborer un protocole d’examen très codifié que les thérapeutes de la petite enfance utilise couramment.

Claire De Vriendt nous détaille dans un chapitre la grille d’évaluation du Brazelton et reprend en détail et avec minutie ce qu’il est.
On lira avec intérêt toutes les composantes de cette passation.

Ce qui frappe dans cette approche, c’est qu’il s’agit à la fois d’un examen neurologique (présence des réflexes archaïques, estimation du tonus etc.) mais aussi et surtout d’observer et d’apprécier la manière qu’à un nourrisson d’interroger le monde qui l’entoure, de réagir aux stimuli, avec plaisir ou surcharge, de se calmer, bref d’exprimer toute une série d’accordages et de désaccordages.

C’est un processus très dynamique.

Mais, et c’est là que « par le détail » prend tout son sens, Claire De Vriendt va beaucoup plus loin en « revisitant » le Brazelton.

  1. A)  Durant la passation qu’elle effectue de manière très rigoureuse, elle est, en même temps, très attentive à ses propres vécus internes, agréables ou désagréables, en réponse aux messages du nourrisson (« as-t-on déjà vu un neurologue s’interroger sur son vécu ?).

    L’auteur, psychanalyste, ajoute la dimension contre-transférentielle au protocole qui apporte dès lors à la fois des données objectives, quantifiables mais aussi une dimension subjective pleine de perspectives.

  2. B)  Le Brazelton se déroule en présence des parents. Claire De Vriendt s’en saisit pour ouvrir un autre espace, celui d’observer les réactions émotionnelles et associations des parents face à ce bébé qui tantôt les comble, tantôt les déçoit, parfois les horripile, les épuise, ou les rend perplexes.

    Cet enfant réveille chez eux toutes sortes de vécus qui peuvent être déposés dans le cadre de cette rencontre, accueillis, nommés, élaborés.

    Voici ce qu‘en dit l’auteur :

    « Tout en respectant les dimensions d’évaluation et d’observation

conjointe des expressions comportementales du nourrisson, nous accordons une valeur messagère aux réponses primitives du bébé, une attention particulière aux discours et aux projections des parents ainsi qu’aux éprouvés contre-transférentiels de l’examinateur et une fonction de media thérapeutique à la passation ».

C’est là bien sûr que les choses se complexifient mais révèlent aussi une richesse d’élaboration insoupçonnée.
L’examinatrice est donc tout à la fois une neuro-pédiatre mais pas que, une psychanalyste mais pas que, une psychodynamiste de groupe mais pas que !

Elle se situerait plutôt au croisement de ces différents modes d’approche et, par son dispositif, permettrait à différentes dimensions d’apparaître.
J’ai souvent pensé à une sorte de cheffe d’orchestre attentive aux multiples harmoniques entendues.

Je suis convaincu qu’il faut plusieurs « casquettes » pour lire le réel et bien comprendre l’épistémologie.
Mais le plus ardu reste alors de tenter une certaine synthèse.
Ce livre y parvient et c’est sa valeur.

Claire De Vriendt va s’employer à montrer par de nombreux exemples tirés de sa pratique les possibilités d’intervention que ce modèle apporte et en quoi cette scène où se rencontrent le bébé, les parents, l’examinatrice est féconde.

Nous ferons connaissance avec Alexia à la recherche de la bonne distance, Adèle qui se noie dans l’air ambiant, Ella arrivée trop tôt et qui veut qu’on la

laisse dormir, Dario de la tristesse au plaisir de la rencontre, Lino trop nourri de stimulations, Florent rempli d’effroi et qui hurle, Petite Fille qui attend toujours son prénom, Athena qui chantonne pour mieux se retirer dans sa bulle, Rose qui indispose fortement sa mère.

Tous ces exemples nous montrent de façon convaincante les différentes facettes de l’intervention qui peut déboucher :

sur le dépistage et la prévention des premiers troubles relationnels ; sur la clinique précocissisme des retraits autistiques ;

Et sur le Brazelton comme passerelle vers une prise en charge psychothérapeutique et une aide aux parents.

Encore un point :
Ce qui se joue sur cette scène n’est pas toujours idyllique.
Quand on parle du nourrisson, on aurait vite tendance à idéaliser cette situation (cf. Mon intro) et à n’y voir que des émotions positives.
On remerciera Claire De Vriendt d’insister non seulement sur les compétences du nourrisson mais aussi de ne pas occulter les déficiences voire les déficits dans une sorte d’idéalisation dont on n’aurait que faire et qui balayerait sous le tapis les vrais problèmes.
Le métier de thérapeute n’est pas toujours « tout sucre, tout miel ».

En ouvrant ce si « joli petit livre » avec ce si « beau bébé », je ne m’attendais pas à découvrir un mode aussi vaste et riche d’enseignements.
J’ai bien fait de le lire.

J.Delaunoy Décembre 2023