Le fœtus/bébé au regard de la psychanalyse 

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« Le fœtus/bébé au regard de la psychanalyse », 2021, ed. PUF, Le fil rouge/Enfance, Paris

Sylvain Missonnier et Bernard Golse

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à dire combien j’ai apprécié le livre de Sylvain Missonnier et Bernard Golse que j’ai trouvé particulièrement « décoiffant ». Nos deux auteurs déclinent des idées passionnantes et révolutionnaires tout en étant étayés sur de solides bases scientifiques. Et ceci dans un style rigoureux et à la fois poétique et humoristique. Chaque page est source de découverte et les croisements multiples entre la psychanalyse, l’historicité des concepts, l’apport des auteurs contemporains, les neurosciences, la philosophie et l’art apportent de nouvelles ouvertures vers l’indispensable interdisciplinarité pour penser la clinique périnatale mais aussi post-natale d’aujourd’hui.

Après avoir revisité les auteurs psychanalytiques du siècle dernier, entre autres en relisant l’histoire de la rupture entre Freud et Rank autour du « traumatisme de la naissance », le « sentiment océanique fœtal » de Ferenczi, « l’objet transitionnel » de Winnicott et bien d’autres, S.M. et B.G. font le lien avec les auteurs psychanalytiques contemporains. Ils passent ensuite aux nouvelles connaissances sur le développement de l’embryon et du fœtus. Les auteurs nous emmènent vers une métapsychologie de la grossesse et du fœtus, une véritable métapsychologie périnatale.

Cette conceptualisation n’est pas sans susciter des controverses pour différentes raisons. Tout d’abord, pour de délicates raisons idéologiques, et éthiques : l’existence ou la non-existence du fœtus. Ensuite, parce que ce propos questionne notre métapsychologie classique, celle des conflits névrotiques et œdipiens et celle d’une relation d’objet qui se construirait après la naissance. Les auteurs mettent en avant une conflictualité archaïque complexe, ambivalente et une relation d’objet prénatale dont les pré-représentations se déploieraient pendant la grossesse avant que l’objet ne soit différencié. Ils utilisent d’ailleurs le terme de « relation d’objet virtuelle », c’est-à-dire, en devenir, en potentialité.

La grossesse, comme une hétérogreffe réussie, contiendrait déjà en elle une greffe de la part paternelle, peut-être précurseuse d’une future triangulation biologique voire psychique ? Le placenta pourrait être le premier objet tiers pour le fœtus, son compagnon de voyage, il a de multiples fonctions de communication biologique avec celui-ci mais il est aussi source d’un environnement rythmé globalisant pour le futur bébé, qui fait penser aux fonctions de maintenance, de contenance, de protection et de pare-excitation décrites dans le « moi-peau » de Didier Anzieu. Plusieurs théorisations sur la défaillance de ce placenta ont amené à questionner les troubles psychosomatiques.

Les compétences sensorielles du fœtus lui permettent dès les premières semaines de gestation d’avoir des communications avec son environnement, entre autres l’environnement sonore et « l’objet sonore » (Maiello) de la voix maternelle, véhicule des états émotionnels de la mère et de ses pensées, représentant « le principe de l’altérité, de l’autre avec lequel il est possible d’entrer en relation ». Voix qui parle et qui se tait et qui pourrait être la précurseuse de la perception du couple présence/absence fondamental dans le développement du psychisme.

Ce qui interroge sur l’impact des nouvelles technologies « médicalisées » comme la gestation pour autrui (GPA) qui donnerait au fœtus l’environnement sonore de la mère porteuse et du père, de sa famille aussi et que le bébé perdrait, alors, lors de la naissance et de son adoption par d’autres parents. Comment réfléchir à ce brutal changement de paradigme en s’appuyant sur toute l’importance de tout ce qui se développe pendant la vie fœtale ?

Les auteurs nous amènent à penser la continuité entre vie fœtale et période post-natale. Comment imaginer la pensée qui se développe chez le fœtus en s’appuyant sur ses capacités sensorielles qui s’enrichissent au cours des semaines de gestation ? S.M. et B.G. défendent « l’hypothèse d’une condition fœtale propice à l’étayage dialectique d’une conscience thétique (assertive, existentielle) qui émergerait sur une conscience préréflexive ».

Le sens tactile est extrêmement précoce, les récepteurs somesthésiques se développent dès les premières semaines, viennent ensuite l’odorat, le goût, l’audition, la vision, la proprioception en coordination avec tous les sens, ce qui permet de déployer ce dialogue tonico-émotionnel fœto-maternel qui participe certainement aux interactions prénatales et aux prémices d’une organisation relationnelle. Les paragraphes sur la motricité active et passive du futur bébé, sur comment la « motricité libérée » pourrait venir en écho à la liberté de penser sont absolument passionnants pour appréhender la différence entre le sentiment d’être et le sentiment d’exister. « Vivre le fait de vivre » dans le ventre maternel, sans conscience réflexive, pourrait engendrer, peut-être de manière très précoce le sentiment d’être mais pas encore le sentiment d’exister qui lui se développerait en présence de l’objet réel. Il y aurait, d’une part, une continuité entre les potentialités prénatales du fœtus, qui, bien sûr, continuent à se développer après la naissance et celles du bébé qui se déploieraient en interactions avec le cheminement prénatal et postnatal des parents.

L’observation échographique prénatale nous montre, à travers de nombreux exemples scientifiques et cliniques, les compétences du futur bébé et les dialogues qui se déclinent avec son environnement. Les auteurs soulignent combien cet espace échographique peut devenir un lieu privilégié d’échanges et d’ouverture psychique avec les devenant parents à condition d’être à leur écoute. Plusieurs vignettes cliniques enrichissent ce chapitre et font prendre conscience de la délicatesse à avoir et de l’importance des mots à utiliser vis-à-vis des futurs parents pendant ces moments d’examens.

L’échographie permet aussi de mettre en évidence la continuité, malgré sa rupture lors de la naissance, entre un certain nombre d’expériences à retrouver après-coup durant toute la vie (travaux de Biontelli).

D’après S.M. et B.G., les représentations parentales se déclineraient à 3 niveaux :

  • La place de cet objet fœtus particulier
  • Celles des futurs liens qui se noueront avec lui
  • Celles de l’enfant en tant que tel

L’enfant fantasmatique et narcissique sont les représentations de l’enfant à venir et l’enfant rêvé, mythique ou culturel seraient plutôt la représentation des futurs liens avec celui-ci.

Les auteurs font un détour aussi par la théorie de l’attachement, celle de l’amour primaire et de l’après-coup fantasmatique de la sexualité infantile de la psychanalyse tout en insistant sur l’idée que ces différentes conceptualisations ne leur semblent pas antinomiques mais bien complémentaires.

S.M. et B.G. évoquent un inconscient fœtal, ce qui peut sembler tout à fait surprenant, en proposant un inconscient sous forme de noyaux sensoriels qui seraient secondairement sexualisés dans la rencontre avec le fonctionnement psychique de l’adulte. A propos des théories du traumatisme en lien avec celles du stress, mot employé à toutes sauces aujourd’hui, les auteurs insistent sur l’angoisse, particulièrement « l’angoisse signal » en disant combien celle-ci peut être une forme de protection pour les parents enceints sauf si elle devient trop invasive. L’environnement de la devenant-mère et l’importance du devenant-père sont soulignés à plusieurs reprises.

Est-ce que, en tenant de tout ce qui est développés comme hypothèses sur la relation d’objet pendant la vie fœtale, le père n’aurait-il pas encore plus de place que nous l’imaginons s’il est très présent et interagit concrètement et psychiquement avec le futur bébé ? Plusieurs études ont démontré, par exemple, combien dans les situations de grossesse et de PP difficiles, le fait d’avoir un conjoint attentif et soutenant pour la mère est précieux pour sa santé psychique et l’évolution du bébé.

La question de l’intersubjectivité est également passionnante, celle-ci adviendrait lors de la rencontre avec les parents en post-natal mais sur fond d’une intersubjectivité primaire qui serait déjà présente en prénatal. Ceci se joue dans le domaine de l’interpersonnel (entre les personnes) tandis que la subjectivation qui se joue dans le registre de l’intrapsychique se fait par l’intériorisation et la spécularisation des représentations intersubjectives teintées par la dynamique familiale, l’histoire parentale, l’histoire conceptionnelle, l’inter et le transgénérationnel, le contexte culturel, etc.

Propos qui amènent à la notion « d’identité conceptionnelle », je reprends la définition de Benoît Bayle : « nous sommes tous conçus d’un homme et d’une femme à tel moment de l’histoire de l’humanité et en tel lieu du monde avec l’ensemble des déterminants psycho-, socioculturels que cela suppose ». Ce concept questionne en profondeur ce qui se joue lors de la conception d’un enfant, sujet qui, actuellement, est à l’avant-plan clinique en psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent. Les praticiens d’aujourd’hui reçoivent dans leurs consultations toute la gamme des contextes conceptionnels : du « simple » désir d’enfant à sa conception dans un contexte traumatique tels qu’un inceste ou un viol ou dans un dispositif de PMA, avec des technologies de plus en plus complexes à intégrer sur le plan psychique (qui peuvent entraîner des réductions embryonnaires, par exemple). Ces cliniques mettent à mal les fantasmes originaires des thérapeutes et sollicitent leurs mouvements contre-transférentiels.

Le chapitre sur l’épigénèse, question qui se déploie beaucoup dans la théorisation psychanalytique actuelle, permet également de soulever mille questions autour de l’inné et l’acquis, cette vieille discussion est donc toujours bien vivante.

Encore un mot sur la relation d’objet virtuelle (ROV), la relation d’objet en devenir, concept que S.M. a proposé et qui serait « la constitution du lien biopsychique qui s’établit en prénatal entre les (re)devenant parents qui opèrent une nidification et le fœtus qui s’inscrit dans un processus de nidation ». Ce travail psychique conscient et inconscient du développement de la ROV aurait comme repères les notions de transitionnalité, de malléabilité et de transformation tout au long de la vie.

Le livre se termine sur la proposition d’une troisième topique qui « serait une topique de la représentation mentale du lien avec l’idée que les liens primitifs pourraient être investis avant même que le sujet et l’objet soient clairement délimités ».

Le lecteur ne peut que remercier chaleureusement Sylvain Missonnier et Bernard Golse pour cet ouvrage qui s’appuie sur plusieurs vignettes cliniques dont certaines sont déployées dans leur processus.  Ce livre est non seulement un outil précieux dans le domaine de la psychopathologie mais son étayage conceptuel, analytique, scientifique, son associativité culturelle, philosophique, poétique, artistique, son ouverture à de nouvelles idées nous permettent d’enrichir la clinique périnatale et post-natale mais aussi la clinique de toute une vie.

Christine Desmarez (SBP/IPA)