Le défi des états limites Bérengère de Senarclens, campagne première, 2022, Paris Préface de René Roussillon

Notes de lecture

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Comme le titre l’annonce, c’est à une réflexion théorico-clinique sur les états limites que nous convie l’auteure. Livre dense, foisonnant, riche en exemples cliniques, il couvre avec générosité ce qu’on peut considérer comme l’extension actuelle du champ de la psychanalyse. L’auteure est à cet égard très claire : les états limites relèvent de ce qu’il est convenu d’appeler une cure psychanalytique pour autant que soit élargie la « théorie de la technique » propre à pareille approche, Et c’est à cet exercice qu’est consacré cet ouvrage qui, partant de références à l’œuvre freudienne, intègre les positions d’auteurs contemporains.

Il est difficile de résumer un ouvrage comme celui-là qui interroge la clinique des états limites en même temps qu’il élabore les hypothèses métapsychologiques qu’elle soulève. J’ai choisi dès lors de souligner quelques repères clefs de l’ouvrage.

A travers son livre, B. de Senarclens décrit abondamment les troubles qui caractérisent les états limites, « troubles identitaires narcissiques », troubles de la représentation, de la contention psychique laissant ces patients en butte à des souffrances inélaborées, à des manifestations émotionnelles incontrôlées, à des mécanismes de défense archaïques comme le clivage et le déni… La clinique du trauma, ses dommages et son écoute retiennent tout particulièrement son attention.

Comme les auteurs contemporains, elle attribue ces troubles du narcissisme à des troubles de la relation précoce mère/infans installant la fixation à un noyau de fonctionnement précoce. Mais, aspect intéressant de ses propos, elle attribue à l’analité un rôle important dans les disfonctionnements des états limites. Elle évoque les apports de l’analité dans son rôle d’organisateur tant des fondements d’un narcissisme de vie que des bases de la relation à l’objet et attribue aux « ratés » de l’analité une large contribution aux troubles de l’organisation psychique des états limites

L’originalité de son propos réside pour moi dans la subtilité avec laquelle elle interroge tout au long de son ouvrage les modalités de la pratique propre à la rencontre avec de tels patients. Elle insiste sur les difficultés contre-transférentielles inévitables de l’analyste dans pareille entreprise mais aussi de l’apport majeur de leur analyse. Elle interroge la nature de l’engagement requis pour espérer des transformations psychiques en insistant sur la part prise par le corps de l’analyste comme de l’analysant. Elle termine d’ailleurs par des hypothèses sur la clinique psychosomatique.

Devant la diversité et la complexité des tableaux que donnent à voir les états limites, B. de Senarclens insiste sur l’impérieuse nécessité de s’adapter à chaque patient en particulier, sans « grille » préalable dans l’écoute, sans préjugé théorico-clinique, position contre-transférentielle nourrie d’intuition mais aussi de doutes, d’incertitude, qui laisse cependant toute sa place à la construction, recherche de sens déjà préconisée par Freud, mais pour autant qu’elle se fonde sur l’écoute de la communication infra-verbale qui la soutient. L’auteure interroge également les conditions de cadre qui permettent un tel travail, choix du divan ou du face à face, aménagements de cadre, place du silence de la formulation de l’interprétation etc… Ces interrogations sont illustrées par de nombreux cas cliniques.

Et de terminer sur une note pleine de modestie mais aussi d’espoir. Je la cite alors qu’elle évoque ce que lui ont apporté ses patients : « Certitude de la richesse de notre outil et doute quant à l’étendue de nos capacités de changer les choses. Ce que l’on apporte au patient est essentiel mais limité », paroles qui traduisent bien l’esprit que dégage cet ouvrage, celui d’une recherche sans relâche et sans concession à partir d’une clinique éprouvante mais combien enrichissante.