Daniel Luminet

In memoriam Professeur Daniel Luminet

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J’ai rencontré pour la première fois le Dr.D.Luminet au début de l’année 1974.

Il avait posé sa candidature au poste de professeur ordinaire du service de Psychologie Médicale de l’Université de Liège, un service orphelin. Ici, un peu d’histoire s’impose.

Ce service avait été créé de toutes pièces dans les années soixante par son prédécesseur le Pr.Dongier qui, venant de France, avait implanté à Liège un service très dynamique qui avait pour objet l’étude et l’enseignement des troubles névrotiques et psychosomatiques.

L’ambition était grande, elle comportait non seulement le développement de différentes psychothérapies d’inspiration psychanalytique mais aussi la création d’un laboratoire de psycho-physiologie qui devait déboucher sur l’étude des potentiels lents cérébraux comme marqueurs de troubles mentaux.

Un service hospitalier flambant neuf avait été inauguré ainsi qu’un hôpital de jour promis à un bel avenir.

Mais, en 1971, assez brusquement, le Pr.Dongier décida de poursuivre sa carrière au Canada. Voilà pourquoi le service était orphelin, sans professeur attitré pendant 3 ans. Les liégeois sont des êtres accueillants, du moins se plaisent-ils à le penser, mais ils ont le sang fier. Les membres du service avaient le sentiment de n’avoir été qu’une étape dans le parcours de leur professeur qui s’en était allé vers une université plus « prestigieuse », outre-atlantique. Personne au sein du service ni à Liège n’ayant repris le flambeau, c’est donc de Bruxelles qu’arriva le Dr.Luminet.

Je ne sais s’il avait mesuré les difficultés de l’entreprise mais il s’y attela courageusement.

Dans ce service orphelin, les seniors avaient pris l’habitude de marquer leur territoire n’ayant été chapeautés que pour les intérims administratifs et, échaudés par ce qui était arrivé, regardèrent le nouveau venu avec une certaine réserve, c’est le moins que l’on puisse dire.

Pourtant le professeur Luminet avait un parcours solide. Docteur en médecine, psychiatre, psychanalyste, membre formateur de la Société Belge de Psychanalyse, il avait longuement étudié les troubles psychosomatiques à la prestigieuse école de Chicago.

Après tout, si l’ un était parti outre-atlantique, au moins celui-ci en revenait et s’était intéressé, avec bienveillance, au devenir de chacun d’entre nous.

Maintenir vivante une pensée psychodynamique n’est pas une sinécure tant elle soulève de résistances et s’oppose à un enseignement ex-cathedra dont est friande l’université. Elle commande une formation analytique personnelle et un engagement profond vis à vis des patients.

Le courant psychodynamique propose la compréhension de la subjectivité du patient et essaie de travailler avec une certaine collaboration de sa part en préservant son humanité fondamentale.

Maintenir cette position où le médecin n’est ni un mentor, ni un monsieur « je sais tout » qui impose au patient ce qu’il doit faire mais au contraire cheminer avec lui, est difficile à faire comprendre.

Je me souviens de la désolation du Pr.Luminet qui, après avoir fait circuler un questionnaire parmi les étudiants leurs demandant quelles étaient les qualités d’un bon médecin, avait constaté que plus de 60% d’entre eux avaient répondu que le médecin sait et que le malade doit être compliant.

Un questionnaire éthique avant la lettre. Il y avait du boulot !

C’est à cet effort que j’ai pu assister pendant les trois années que j’eus comme « patron » le Pr.Luminet, puisque je devais quitter l’université en 1977.

C’était un être sensible, aimant par dessus tout la clinique et le respect de l’individualité du patient. Sa culture était grande.

Les enjeux politiciens, les aspects administratifs ou politiques, pourtant nécessaires dans sa position, n’étaient franchement pas sa tasse de thé.

Le Pr.Luminet développa l’approche psychodynamique notamment au travers des psychothérapies brèves qui connurent un réel essor et auxquelles nombre d’entre-nous s’attelèrent multipliant les vidéos à l’usage de son enseignement.

Je me dois d’associer à ce travail de grande ampleur son épouse Malou Dowiakowski qui était devenue une collègue estimée et capable de pondérer les inévitables conflits d’un service universitaire.

J’ai gardé de cette époque, l’idée que le Pr.Luminet n’était pas un tribun mais un clinicien plein d’humour et de bienveillance. Je devais en avoir confirmation quelques temps plus tard. Quand je quittai l’université, je décidai de poursuivre ma formation psychanalytique.

Celle-ci, du moins à la Société Belge de Psychanalyse, impose, outre une analyse personnelle et le suivi de cours théoriques pendant 3 ans, de débuter sa propre pratique par l’analyse de deux patients sous supervision de deux analystes plus chevronnés. Je choisis le Pr.Luminet comme un de mes superviseurs.

Cette manière de procéder, qui a tout d’un compagnonnage, m’a fait passer dans le domaine clinique du prêt-à-porter au sur-mesure.

Cette supervision dura quatre ans.

Quatre ans durant lesquelles j’ai pu m’appuyer sur les profondes connaissances du Pr.Luminet, sa finesse clinique, ses qualités humaines, sa pratique si affutée. Il avait également un très grand respect pour le rythme du patient et accompagnait plus qu’il n’imposait ses propres vues.

Je le revois encore, avec ses deux doigts devant sa bouche, m’intimant « bouche cousue » à mes interprétations trop fougueuses.

« Cela ne sert à rien de montrer votre intelligence à votre analysant, c’est lui que vous devez aider à comprendre ».

Respect, respect humain !

Bien des années plus tard, devenu moi-même formateur, je repris cette position si essentielle qui m’avait été inculquée par lui.

Travailler 4 ans avec une telle intensité crée évidemment des liens très forts.

Nous nous sommes fréquentés comme collègues au sein de la S.B.P. et j’ai eu aussi le plaisir de travailler avec son épouse dans un groupe qui dura plusieurs années.

Peu à peu, il devint un ami que je commençais, difficilement, à tutoyer.

Lors de quelques repas mémorables, nous échangions nos souvenirs de sa période liégeoise, nos adresses de restaurants et nos bonnes trouvailles de

voyages.

Deux photos se trouvent sur mon bureau. L’une représente le Pr.Dongier à la barre d’un voilier au grand large, c’est avec lui que j’ai découvert la psychologie médicale. L’autre figure le Pr.Luminet. Le temps est magnifiquement ensoleillé, il est assis dans un jardin à l’ombre de grands arbres. Il est tout bronzé et affiche un sourire incroyablement bienveillant, avec ses petits yeux qui pétillent de malice. Il va nous gratifier d’un trait d’humour, c’est certain ! Il tient dans la main droite un verre de vin blanc qu’il tend vers l’objectif : « à votre santé ». Au dos de la photo, ce simple mot : « Je reste avec vous tous… ».

Il a été mon professeur, mon superviseur, mon collègue. Il était devenu un ami.

Au revoir Daniel.

Jacques Delaunoy

Jacques Delaunoy