Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

1990-04-01

Notes de lecture

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Le deuil – son travail, ses implications cliniques – est une notion d'actualité mais dont l'usage, parfois inflatoire, ne va pas sans ambiguïté. Freud, dans "Deuil et mélancolie", élabore les conséquences de la perte réelle d'un objet ; M. Klein utilise le terme de "deuil" en référence à la perte de l'objet premier, séparation d'avec la mère.

Nachin cerne clairement son propos : c'est de "maladie de deuil" qu'il entend parler, à savoir les conséquences pathologiques sur le psychisme humain de la perte réelle d'un être cher. Son ouvrage, comme il le dit, ne "s'applique parfaitement qu'au cas où un amour exceptionnel, trop tôt interrompu, unissait le futur patient et son objet d'amour perdu", deuil d'amour subi dans l'enfance, l'adolescence ou même la vie d'adulte. L'auteur illustre son propos en rapportant, de son expérience de psychiatre consultant, de nombreux exemples cliniques qui mettent en évidence l'hétérogénéité des pathologies mentales auxquelles peuvent être associés les deuils subis ; de ses observations, il retient notamment l'importance des lieux et surtout des dates commémoratives des pertes subies. L'exposé d'une cure de longue durée s'ajoute au dossier clinique. Ce dernier est complété par l'analyse de textes relatifs aux enfants survivants des familles victimes du génocide ainsi que par un chapitre consacré à la vie et l'oeuvre de Romain Gary.

Les élaborations théoriques qui suivent nous conduisent de Freud à M. Klein, en passant par K. Abraham et D. Lagache. Mais c'est surtout aux travaux de N. Abraham et M. Torok que l'auteur fait référence pour penser "la crypte" et les "inclusions du Moi" créés par les deuils non faits. En suivant ces auteurs, Nachin reprend les notions complexes d'introjection et d'incorporation ; l'incorporation correspondant à une forme d'absorption de l'objet perdu, les fantasmes répétitifs d'incorporation bloquant l'introjection libératrice.

L'auteur termine son livre en rappelant la difficulté d'atteindre les zones clivées du Moi qui abritent les "Maladies du deuil", les maladresses qui guettent l'analyste dans la reconnaissance de ces problématiques, l'éventualité d'une nécessaire interruption d'analyse pour que leur abord devienne possible.

Nachin insiste beaucoup sur la spécificité de son propos : c'est de pertes réelles qu'il nous entretient ; à ses yeux, des deuils relativement tardifs peuvent être à l'origine d'une symptomatologie spécifique. Sans doute a-t-il raison de souligner l'impact de traumatismes moins précoces sur l'équilibre psychique et de se méfier d'un archaïsme abusif.

Pour ma part, je reste cependant persuadée qu'il existe une dialectique entre les effets d'une perte réelle et les cicatrices psychiques laissées par la perte première à laquelle chaque être humain a dû faire face. En ce sens, les remarques pertinentes sur la clinique de la cure analytique de patients endeuillés qui clôturent l'ouvrage de Nachin dépassent, selon moi, la catégorie d'analysants qu'il envisage et s'appliquent aussi bien à ceux dont les soubassements psychiques s'organisent autour d'une perte d'objet premier (au sens de M. Klein) mal élaborée. Il me semble que cet élargissement n'aurait en rien entamé l'intérêt du domaine envisagé par l'auteur, celui des conséquences psychopathologiques que donnent à voir les analysants chez lesquels nous pouvons constater l'existence d'une perte objective, dont il n'est évidemment pas question de nier ici l'importance traumatique. Mais pour accepter ce rapprochement, il eut fallu intégrer davantage le deuil au sens kleinien. L'orthodoxie freudienne revendiquée par l'auteur s'en serait, semble-t-il, peu accommodée.