Notes de lecture

Vaneck, Léon

1989-10-01

Notes de lecture

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Encore un livre sur les psychoses infantiles. C'est vrai. Mais cet ouvrage, issu du 5ème Colloque de Bobigny (Paris Nord) de juin 1987, se veut de faire le point actuel des connaissances concernant l'autisme et les psychoses de l'enfant. Pour ce faire, plus de vingt collaborateurs ont contribué à ce travail, y envisageant différentes perspectives (historique, clinique, neurobiologique, génétique, cognitiviste, psychanalytique, familiale) dans un souci de confrontation pluridisciplinaire aux implications théoriques et pratiques évidentes.

Ce sont S. Lebovici et D.J. Duché qui introduisent le coup d'oeil historique sur les concepts d'autisme et de psychose chez l'enfant, surtout depuis les travaux de L. Kanner de 1943. C'est C. Berguez, l'auteur de "l'autisme infantile, introduction à une clinique relationnelle selon Manner", PUF, 1987, qui resitue clairement, d'un double point de vue historique et théorique, l'autisme infantile et son "inventeur".

D. Houzel formule, pour suivre, quelques réflexions sur la définition et la nosographie des psychoses infantiles, commentant les différentes tentatives de classification ; il critique notamment la DSM 3 qui, sous couvert d'absence de présupposé théorique, évacue toute référence au fonctionnement mental au profit d'une tendance comportementaliste et organiciste ; il rappelle les importantes contributions des auteurs postkleiniens (Tustin et Meltzer) avant de conclure par une intéressante contribution personnelle aux tentatives de classification, contribution – qui s'appuie sur sa définition de la psychose comme effraction d'une des frontières du self.

Un travail collectif étudie ensuite quelques échelles d'évaluation et l'autisme qui, selon les auteurs, apportent des informations précieuses, mais qu'ils refusent de prendre en compte hors de toute approche clinique.

Aux lecteurs peu familiarisés avec les perspectives organo-génétiques, je recommande particulièrement une lecture détaillée des chapitres 5 à 9.

  • Les "causes organiques" de l'autisme infantile. Problèmes posés par l'association de l'autisme à des affections organiques.
  • Les recherches biochimiques dans l'autisme infantile.
  • Neuropsychologie et cognition.
  • Génétique et autisme infantile. Bilan des travaux récents.
  • Point de vue génétique sur les enfants de parents psychotiques.

Ces chapitres très instructifs ne peuvent être "résumés" eu égard à leurs contenus et je ne peux qu'inviter le lecteur à les appréhender de façon détaillée.

J'ai cependant estimé utile de reprendre les quelques éléments conclusifs les plus évocateurs :

  • "Compte tenu des données cliniques et des modèles actuels du développement psychique, dans lesquels on considère que les facteurs liés à la structure neurobiologique et les facteurs liés à l'environnement relationnel et éducatif interagissent constamment, l'hypothèse d'un déterminisme plurifactoriel de l'autisme nous parait vraisemblable et c'est, selon nous, dans une telle perspective que l'intervention des facteurs organiques et, plus généralement, biologiques est à envisager. De ce fait, la découverte de facteurs organiques ne devrait pas exclure la prise en considération de facteurs psychogénétiques (pas plus que l'inverse)…".
  • "Il apparait difficile aujourd'hui de préciser la relation des perturbations biochimiques rencontrées chez les enfants autistes et les manifestations cliniques".
  • "Il y a grand danger à passer d'une interprétation purement affective de l'étiologie à une interprétation purement cognitive".
  • "Si la confrontation des observations cliniques et des données apportées par l'analyse des processus cognitifs et émotionnels permet d'envisager la description d'un pattern cognitif anormal sous tendant la pathologie des autistes (incapacité d'analyser la signification abstraite d'un stimulus, absence de conceptualisation et de représentation mentale interne, dysfonctionnement des mécanismes d'expression, de contrôle et d'interprétation des émotions), le problème de la spécificité de ce pattern "cognitif émotionnel" reste entier… L'examen des interrelations entre sphère sociale et sphère cognitive dans une perspective développementale parait indispensable… Il est nécessaire de définir des modèles intégrant le développement cognitif, émotionnel et social…".
  • "L'hétérogénéité étiologique est peut être le trait le plus saillant des travaux génétiques relatifs à l'autisme, qu'il s'agisse des analyses généalogiques ou des recherches gémellaires… Le moyen le plus efficace pour décrypter cette hétérogénéité est de procéder à une série d'études épidémiologiques… Cependant, il serait souhaitable que l'étude des facteurs sociaux et affectifs ne fasse pas oublier les espoirs qu'offrent les récents développements de la génétique moléculaire".
  • "Les travaux sur les enfants abandonnés de schizophrènes dégagent l'hypothèse qu'ils sont certainement des enfants "à risques" dans la mesure où ils ont une probabilité plus élevée de présenter des troubles mentaux que les enfants abandonnés de non-schizophrènes. Mais de quels troubles mentaux s'agit-il ? A quoi attribuer l'augmentation du risque chez ces enfants ? A des facteurs génétiques ? A des facteurs environnementaux ? Actuellement, les études ne permettent pas de démontrer l'existence de facteurs génétiques dans l'étiologie des schizophrènes. Ils ne permettent pas non plus de démontrer les effets de l'environnement parental post-natal…".

Bref, la lecture, passionnante par ailleurs, de ces chapitres d'ordre étiologique, laisse les portes ouvertes vers des perspectives polymorphes à condition de les entrevoir dans des perspectives pluridisciplinaires intégrées plutôt que réductionnistes quand elles ne sont pas quasi idéologiques.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître aux lecteurs d'une Revue psychanalytique, je serai très bref pour ce qui concerne les trois chapitres suivants, dans la mesure où ils sont écrits par des auteurs qui leur sont plus que certainement familiers.

  • G. Haag leur propose une "Approche psychanalytique de l'autisme et des psychoses de l'enfant", dans le droit fil conducteur de ses travaux antérieurs, à savoir essentiellement le souci d'approfondir sans cesse plus en détail les toutes premières étapes de la formation du Moi, du Moi corporel, mais dans une étroite collaboration avec les autres professionnels (éducateurs, pédagogues, cognitivistes…). Elle reprend clairement l'importance de la rencontre élationnelle pour la formation des premiers symboles constituant en quelque sorte les phantasmes inconscients représentant les liens, zone indifférenciée qui semble devoir se dédoubler, ou tout d'abord se fabriquer en double dans cette même rencontre élationnelle, ce double feuillet s'entretenant d'abord dans l'autoérotisme.
  • J. Hochmann dont le lecteur connaît plus que certainement les travaux antérieurs et notamment "Pour soigner l'enfant psychotique. Des contes à dormir debout" (Privat, 1984), émet quelques considérations intéressantes sur "Le dehors et le dedans dans l'approche psychothérapeutique de l'enfant autiste" sur base de considérations cliniques et de son expérience institutionnelle.
  • Ph. Mazet aborde les dysfonctionnements interactifs précoces et l'évolution autistique ultérieure.

Le dernier chapitre, par G. Lucas, est une considération catamnestique d'autant plus intéressante que ce genre de recherche est relativement rare. Il s'agit d'un "Point de vue sur les études catamnestiques. Le devenir des psychoses de l'enfant traité en Hôpital de Jour". Ce travail reprend les considérations que l'auteur avait développées dans sa communication orale lors de la journée du 10ème anniversaire de l'Hôpital de Jour de Marcinelle et je suggère vivement au lecteur d'articuler ce travail fort instructif avec celui que J. Manzano avait exposé à la même journée et qui a été publié sous deux formes différentes chez Cesura (Lyon) : "Vingt ans de psychose" et "Considérations psychodynamiques sur l'évolution des enfants psychotiques" dans "L'enfant psychotique et son évolution", dont j'ai eu le plaisir de diriger la publication.

En terminant la lecture de cet ouvrage, mes références initiales "Encore un livre sur les psychoses infantiles" se sont totalement dissipées. Au contraire, j'estime qu'il représente une remarquable mise à jour des nombreux et complexes problèmes cliniques et théoriques qui ne cessent d'alimenter les interrogations et réflexions de tous les cliniciens confrontés avec la psychopathologie de l'autisme et des psychoses infantiles précoces.