Notes de lecture

Alsteens, André

1989-04-01

Notes de lecture

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La naissance de cette nouvelle Revue avait trouvé, ici même (Rev. B. Psychanal. , n° 14, pp. 89‑90), un premier écho. Dès alors, nous évoquions l'intérêt de collecter dès à présent tout document ou étude susceptible de servir demain à l'écriture de l'histoire. Mais loin de se limiter à cet aspect, l'intérêt résidait aussi, pensions-nous, dans le fait de permettre, sans attendre, une lecture nouvelle d'événements dits "passés" et de rendre bien des analystes, essentiellement familiarisés à la relation individuelle, davantage sensibles à la dimension sociale dans laquelle s'inscrit, qu'ils le veuillent ou non, leur travail. Il n'est plus guère possible d'ignorer l'importance de cette dimension à l'heure où l'environnement a retrouvé toute son importance dans notre réflexion et où des travaux remarquables ont dégagé l'impact du "groupal" ou de l'"institutionnel". Cette revue nous y sensibilise par un biais original, celui de l'histoire.

Les textes de ce second volume ne démentent nullement notre propos, ils l'affinent plutôt. Un premier volet présente l'oeuvre épistolaire de Freud, activité "en plus", en marge de la vie normale, "dérobée" à d'autres occupations, et où le poids de l'extérieur se fait sentir. Dans son analyse pertinente ("Images de Freud, au travers de sa correspondance"), Mijolla décode les multiples ressorts d'un tel artisanat : gestion minutieuse du courrier, rituel du graphisme, délai entre lettre et réponse, implications affectives diverses, franchise et pudeur…

"Si les lettres ont autant de valeur, c'est parce qu'elles conservent l'immédiateté de l'existence", notait Goethe : on découvrira avec Fichtner leur intérêt comme "source historique" (avec une étonnante bibliographie à la clé). Le dialogue entre Freud et Fliess, la relation entre Freud et Ferenczi (avec 1.250 lettres conservées, dont plus de 700 de ce dernier !) constituent d'autres temps forts. Haynal suggère avec vigueur la pertinence novatrice de l'attention de Ferenczi pour le traumatisme (complétant ainsi la notion trop solitaire de conflit intra-psychique), pour le contre-transfert sorte de felix culpa, pour l'analyse de l'analyste.

Dans un second volet, le ton change avec l'approche d'une page d'histoire plus récente : la quête par les analystes français de "la formation la plus appropriée" (Freud). Tour à tour, divers témoins (Girard, pour la société psychanalytique de Paris, Arfouilloux et Laplanche, pour la Société Française de Psychanalyse, Didier-Weill, pour l'ex-Ecole freudienne de Paris, Moreigne et Valabrega pour le IVe Groupe) confectionnent en quelque sorte des archives pour demain, sans toujours éviter le plaidoyer "pro domo", même si d'aucuns élargissent déjà leur propos. Textes d'une facture mixte, où le document de travail le dispute encore au document historique. Mais où donc commence l'histoire, où donc s'achève la recherche ?

Une conférence inédite de Freud sur le fétichisme au Cercle de Vienne (1909), divers témoignages et des "Actualités" complètent ce volumineux ouvrage. Pour la petite histoire j'ignore pourquoi le colloque organisé en janvier 1989 à Bruxelles (p. 513) se voit amputé de la conférence inaugurale d'Eugène Enriquez sur "Pourquoi la guerre ?" …

Pour l'analyste intéressé à l'écoute, cet ensemble est éloquent à différents niveaux : en préparant l'histoire de demain, il nous permet aujourd'hui de percevoir différemment la profondeur du champ dans lequel s'inscrit la pratique analytique, celle des "anciens" et la nôtre, spécialement en matière de formation. L'histoire est déjà au rendez-vous, à qui peut en lire l'esquisse. Serait-ce si surprenant, pour nous qui sommes sensés n'ignorer ni l'après-coup ni la construction dans toute démarche analytique ?