Notes de lecture

Querinjean, Richard

1988-10-01

Notes de lecture

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"Psychanalyse des comportements". Le titre même de ce livre est provocant pour des psychanalystes aux dires de l'auteur qui pense que ces deux termes s'excluent a priori, le comportement s'opposant à la pensée, la cachant. Mais le comportement peut aussi prendre sens pour le psychanalyste et la recherche de ce sens est une démarche qui va amener des remaniements économiques, lesquels peuvent amener l'individu à devenir sujet de son histoire.

"Comportements violents". L'existence d'une pulsion de mort est une option de départ, cette pulsion dont "le but est de briser les rapports et donc de détruire les choses". Pour l'auteur, cette option va se modifier au fil des pages pour faire place à "ce qui se joue dans le mouvement de constitution de l'objet et d'individuation du sujet". L'auteur a observé et traité des délinquants qui sont le plus souvent des post-adolescents c'est-à-dire des patients en pleine réorganisation. Il évoquera encore cette période de la vie en rappelant ce qu'en ont dit, entre autres, G. Diatkine qui a parlé de la position dépressive accompagnée du danger du recours à des défenses de type psychologique et Ph. Jeammet qui dit l'importance des imagos archaïques (…) avec leurs caractères menaçants, intrusifs.

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L'auteur donne une description du cadre matériel et clinique de son travail. Médecin, psychanalyste, Claude Balier travaille dans un centre médico-psychologique pouvant accueillir 22 patients. Ce centre dépend du Ministère de la Santé mais il se trouve à l'intérieur d'une prison … Les patients sont donc des détenus au sens propre. Ce chapitre, essentiellement descriptif, est cependant émaillé de réflexions sur les pathologies rencontrées dans un tel milieu, sur le rôle, pas toujours négatif, du milieu carcéral, sur son rôle de protecteur, de pare-excitations.

Ces réflexions devraient tempérer certaines discussions polémiques sur les méfaits "incontournables" de l'enfermement, discours qui ont été remplacés ici par un projet thérapeutique et des réalisations accompagnées et soutenues par une recherche théorique.

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La "recherche de concepts opératoires" permet au lecteur de faire ou refaire le tour des thérapies concernant la psychopathie. L'auteur veut d'abord fournir une grille de lecture pour les cas cliniques qu'il va présenter. On retrouve D. Winnicott et la tendance antisociale, G. Diatkine qui insiste sur le rôle primordial de l'environnement, L. Cassiers qui rappelle la sémiologie psychiatrique, H. Flavigny qui parle de l'empreinte en creux, perturbation précoce des relations objectales et qui insiste aussi sur l'importance des épisodes dépressifs. La question de l'existence ou non d'un sentiment de culpabilité ramène en première ligne M. Klein et le Surmoi écrasant.

L'agressivité, au centre du passage à l'acte (acting de comportement et pas acting de transfert) est également un sujet de réflexion important pour l'auteur. "Parler d'agressivité libre revient à admettre l'action de la pulsion de mort par l'effet de la désintrication". L'agressivité est le résultat de la pulsion de mort. Il ne s'agit pas uniquement d'une décharge de tension. Ceci annonce d'autres développements théoriques, eux-mêmes à la base d'attitudes thérapeutiques originales.

L'auteur insiste aussi pour qu'on ne ramène pas toutes les pathologies rencontrées dans ce milieu et qui sont en rapport avec la violence à la seule psychopathie. L'auteur rappelle la "psychose froide", d'E. et L. Kestemberg où la notion de clivage du Moi a été introduite. Les perturbations narcissiques et les états limites sont aussi évoqués.

Le point central des pathologies observées serait finalement l'échec de l'accession à la position dépressive. Cet échec se marque par le maintien de défenses archaïques telles que le clivage, l'identification projective, l'identification à l'agresseur, l'Idéal du Moi mégalomaniaque.

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Des descriptions cliniques viennent ensuite illustrer ces propos et préparer l'élaboration théorique personnelle. Sans doute prennent-elles une place importante dans le livre (p. 61 à p. 138) mais il s'agit pour le lecteur de véritables rencontres avec des hommes porteurs de pathologies complexes et pris dans des "histoires" particulièrement dramatiques. Par la suite, on voudra retrouver André et Christian, Daniel et Eric et, à la lumière de la théorie, donner sens à ces vies mouvementées.

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Dans son chapitre consacré à l'élaboration théorique, Claude Balier vise à "identifier des complexes psychiques que l'on retrouve chez tous" les patients décrits et qui ont tous des comportements violents bien qu'ils relèvent de pathologies différentes. Il ne faut donc pas s'attendre à trouver ici une nouvelle interprétation de la pathogénie de la psychopathie mais plutôt des réflexions approfondies et étayées par les observations cliniques sur quatre sujets : le rêve, les phobies, le déni et le clivage. Ces sujets paraissent centraux à l'auteur dans cette pathologie particulière de la violence.

Quand l'auteur parle ici de rêves, il s'agit surtout de rêves d'angoisse, survivance d'un état affectif très chargé et qui ne peut être contrôlé par le Moi, lui-même organisé d'une manière particulière. Ces rêves ont aussi souvent des caractéristiques de rêves traumatiques, entre autres leur caractère répétitif. Cette situation exigerait alors une décharge réalisée par le passage à l'acte dirigé vers l'extérieur ou par une automutilation. Ce phénomène, trop vite appelé tentative de suicide, est très souvent observé dans les institutions fermées. L'automutilation remplace le passage à l'acte "classique" souvent rendu impossible par les mesures de sécurité prises dans ces milieux. Les rêves, rarement élaborés, rarement suivis d'associations signent quand même une amorce de travail psychique vers une certaine élaboration. Mais la menace du surgissement de l'objet, en relation avec "l'irrépressible fantasme de marricide" (J. Bergeret), l'envahissement par l'excitation traumatique est tellement intense que ces rêves échouent dans leur métabolisation et laissent place au recours de l'agir.

Les phobies sont très fréquentes chez ces sujets. Cette observation est rarement faite et pourtant elle est importante. Il s'agit là aussi d'une ébauche de travail psychique. Ces phobies appartiennent au domaine prégénital. Elles signent "la menace de surgissement d'une forme, de l'objet dangereux qui serait l'image maternelle". Il s'agit d'essayer de projeter à l'extérieur des parties mauvaises du Self afin de protéger les bons objets internes. On débouche ainsi sur une caractéristique de ces sujets violents : le Moi est préservé "de justesse" "en sauvegardant l'existence de l'objet d'une manière singulière et paradoxale par le meurtre".

L'auteur insiste sur le fait que ses patients ne sont pas psychotiques. Le clivage, et le déni qui y est lié, est une manifestation (une de plus) qui trahit le défaut de capacité synthétique du Moi. Mais il signe en même temps un potentiel d'auto-conservation de ce Moi parfois préservé au prix d'actes d'une violence extrême.

La faille observée au niveau du narcissisme doit se situer au tout début du développement psychique, ce qui explique le recours à des moyens de défense archaïques.

Un autre constat, aux implications thérapeutiques évidentes, est la difficulté pour ces patients de trouver des états de bien être. Ce malaise est lié à des perturbations au niveau de l'auto-érotisme. Ces remarques renvoient à la conception du Moi-Peau (D. Anzieu), à l'importance du contact corporel avec la mère durant les premiers temps du développement psychique. Les problèmes au niveau du vécu corporel, liés à une mauvaise relation à la mère, à l'insuffisance du pare-exictations, seraient à l'origine de cette incapacité à réussir un équilibre entre les identifications aux sources gratifiantes et frustrantes.

On en revient aux caractéristiques essentielles des patients-détenus quand l'auteur reparle de la prévalence des pulsions agressives. C'est de l'agressivité libre dont il s'agit ici, résultat de la désintrication des pulsions. Quand il y a union entre les pulsions, c'est l'agressivité qui se met au service d'Eros ; quand il y a désunion, c'est l'agressivité qui l'emporte (Freud).

Je retiendrai aussi le passage où l'auteur parle de la fonction de l'objet externe et en particulier de la place du père. C'est M. Fain qui parle de la "communauté du déni" entre la mère et l'enfant vis-à-vis du désir paternel : "la représentation de l'objet tiers ne se fera pas…".

Au terme de cette élaboration théorique, le passage à l'acte violent et plus singulièrement au meurtre, "se situe dans un ensemble de mécanismes primaires destinés à défendre le Moi de la faillite psychotique". Phobies primaires, rêves d'angoisse sont les symptômes clés.

Sans viser trop haut sur le plan thérapeutique, on peut espérer une réduction du clivage, une réintrication pulsionnelle, une modification des imagos.

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A quel "programme" thérapeutique tout cela a-t-il abouti au CMPR ? Comment donner les meilleures chances d'un fonctionnement mental plus satisfaisant ? Derrière des propos tels que "restauration de la fonction de pare-excitations", "assurer la fonction d'objet externe" se trouve une réalité quotidienne difficile, pleine d'embûches pour le thérapeute qui s'y attache. Pour le patient, l'intériorisation du cadre pénitencier (Surmoi rudimentaire) doit être une première étape. Il faut pouvoir laisser se développer les fantasmes les plus archaïques. Un travail d'équipe est indispensable pour vivre ces situations où des identifications projectives difficiles à maîtriser sont toujours possibles.

Un passage original de ce chapitre consacré à la thérapeutique a été écrit par un collaborateur de l'auteur. André Guérillat aborde plus précisément ce travail d'équipe et l'approche corporelle basée sur la relaxation. Baisse de la charge énergétique, production accrue au niveau imaginaire et réviviscence de souvenirs sont décrits comme les principaux effets de cette thérapie.

Les thérapeutes et plus particulièrement le psychanalyste travaillant avec des patients ayant la violence comme premiers symptômes vivent les limites de leur parole et de leur écoute. Ils seront très intéressés par ces approches dont la référence théorique a été évoquée plus haut.

Ne se trouve-t-on pas dans une impasse thérapeutique dans la mesure où les thérapeutes et leurs équipes pédagogiques continuent à "parler", à "tenir des discours", relais des discours de la société, ici représentée par les discours du Juge tout-puissant ?

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La voie ouverte par Claude Balier mérite sans aucun doute plus qu'un intérêt scientifique, intellectuel, par ailleurs incontestable. Son livre va toucher les analystes et leurs collaborateurs qui travaillent dans ces milieux difficiles.