Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

1988-04-01

Notes de lecture

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Le lien nous attache à l'objet, B. Brusset propose comme fil conducteur de son ouvrage, une réflexion sur l'évolution du statut de l'objet dans les théories psychanalytiques de Freud à nos jours.

Pour Freud, dont la métapsychologie concerne avant tout l'intrapsychique (théorie monadologique), l'objet n'est pas mis en rapport avec le sujet mais avec la pulsion ; l'objet est destiné à satisfaire la pulsion, à réduire la tension ; ses qualités intrinsèques sont négligées au profit du plaisir qu'il apporte en satisfaisant l'exigence pulsionnelle ; il est en relation directe avec la théorie de la sexualité qui spécifie le point de vue psychanalytique.

La prise en considération des structures non névrotiques a attiré l'attention des analystes sur l'importance de la relation avec l'objet "externe". Ferenczi le premier a insisté sur l'investissement maternel et la reconnaissance de ses effets traumatiques qui l'incite à tenir compte des visées réparatrices de la cure. Fairbairn va radicaliser cette position et substitue à la notion de pulsion celle de relation d'objet ; la recherche de l'objet remplace celle de la recherche de satisfaction pulsionnelle. (Notons au passage que B. Brusset transmet les théories de Fairbairn dont l'oeuvre n'est que partiellement traduite en français).

L'interrogation centrale que propose B. Brusset est posée : la théorie de la pulsion est-elle aujourd'hui caduque et doit-elle être abandonnée au profit de celle qui repose sur la relation d'objet, ou bien ces deux points de vue sont-ils compatibles, leur développement correspondant à la nécessité de recourir à des modèles complémentaires pour rendre compte de structures psychopathologiques différentes ? (névroses, cas limite, psychoses, etc …).

Mais la notion de relation d'objet est ambiguë. Elle donne lieu à des élaborations théoriques disparates. B. Brusset nous en convainc en nous menant de M. Klein à Lacan, de Luquet à Kernberg, de Kohut à Winnicott, de M. Mahler à M. Khan, de Balint à Bouvet. A travers ces références, il nous convie à envisager les remises en question théoriques qu'entraîne l'éclairage centré autour de la relation d'objet. Parmi celles-ci mentionnons : l'identification en tant que destin de l'objet, comment concilier la notion de narcissisme primaire et celle de relation d'objet précoce, le rôle de l'objet dans la genèse du moi, l'usage et le mésusage de l'objet interne, etc …

Le livre de B. Brusset, de lecture agréable, m'apparaît comme le fruit d'une intégration harmonieuse des multiples théories qu'il survole. Mais surtout, la rigueur de l'apport théorique reste dynamisé par une référence peut-être implicite mais toujours sensible aux répercussions cliniques et techniques qu'implique immanquablement toute théorisation du fonctionnement psychique.

Si la sensibilisation aux liens avec l'objet, organisés autour de l'amour et de la haine, s'avère un paramètre fondamental de notre compréhension du psychisme, le poids accordé à sa prise en considération n'est pas sans risque. En effet, à trop privilégier la relation d'objet, ne court-on pas le danger d'abraser l'inconscient et ses fantasmes, réduisant ainsi notre pratique comme nos théories à une conception psychologisante.

Tout au long du voyage à travers les théories que nous propose B. Brusset, c'est le périlleux maintien de la spécificité de la psychanalyse qu'il interroge et qu'il nous convie d'interroger.

La magistrale préface de Green – qui, comme la plupart des préfaces, gagne à être découverte en postface – se veut la plaidoierie de l'"avocat du diable". Green y développe l'idée que sujet et objet ne peuvent se concevoir l'un sans l'autre ; "l'éclairage apporté sur la polarité de l'objet… renvoie encore plus sûrement à la polarité pulsionnelle". L'élan vital vient du sujet. La pulsion est fondamentalement objectalisante, elle s'adresse à l'objet qui en module le destin. En postulant la dernière dualité pulsionnelle (Eros et Thanatos) qui remplace les pulsions sexuelles par les pulsions de vie ou d'amour, Freud lui-même "semble implicitement reconnaître la place centrale de l'objet". Et Green d'ajouter que "établir la synonymie entre la vie et l'amour, n'était-ce pas admettre implicitement que l'orientation de la vie portait celle-ci vers l'objet, comme on le dirait de l'amour ou comme on ne peut pas ne pas le dire de l'amour" …