Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

1987-10-01

Notes de lecture

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"Qui était Grete Lainer ?" interroge la manchette publicitaire de l'ouvrage. En principe, une jeune viennoise, auteur d'un journal qui relate ses années d'adolescence (11 ans à 14 ans 1/2) dans une ambiance culturelle et psychologique conforme au milieu de vie des patientes de Freud. "Ce journal est un petit joyau", écrit ce dernier dans la préface qu'il dédia au livre dont l'édition suscita, en son temps, scandale et interdiction.

Mais aujourd'hui, la nouvelle édition nous est proposée assortie d'une information explosive : eh non ! Grete Lainer n'est pas celle qu'on croit. Son témoignage qu'on a cru naïf et innocent, serait un texte apocryphe ; qui plus est, l'auteur en serait Hermine von Hug-Hellmuth, psychanalyste disciple de Freud !

L'esprit du lecteur dans sa découverte du "petit joyau" se trouve évidemment radicalement modifié selon qu'il connaisse ou non ses origines. Il est piquant de lire les deux préfaces de M. Neyraut, l'une qu'il rédigea "mystifié" en 1974, l'autre qu'il ajouta en 1988, après la "révélation". N'avait-il pas intuitivement soupçonné le subterfuge quand il écrit en 1974 : "… Ce texte pose des questions si conformes aux réponses psychanalytiques et les questions psychanalytiques y trouvent des réponses si conformes à leur formulation que les unes et les autres semblent se compléter pour former une sorte d'emboîtement catéchétique".

En tant que lecteur informé de l'identité de l'auteur, on ne peut s'empêcher de lire son ouvrage à l'affût des intentions destinées à verser de l'eau au moulin des hypothèses étiologiques du maître dans ses études sur l'hystérie. Est-ce à dire que la démystification des mobiles secrets qui animèrent l'auteur constitue le seul intérêt de cette lecture ? Certes, non. Après tout, Madame von Hug-Helmuth fut une petite viennoise de son temps. Elle fait vivre avec talent un climat bourgeois, son hypocrisie de bon ton, son érotisme caché, voire sa perversité insidieuse. Il est vrai que le scandale du charme discret de la bourgeoisie viennoise ne nous étonne plus. Mais peut-être est-ce justement la désuétude de provocations jadis percutantes qui révèle aujourd'hui le véritable talent de l'auteur : celui de faire vibrer en des accents toujours actuels les orages émotionnels d'une préadolescente en recherche d'elle-même.