Notes de lecture

Delaunoy, Jacques

2004-10-01

Notes de lecture

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Ceux qui connaissent bien l’oeuvre de W.R. Bion savent toute l’importance des idées que cet auteur a apportées à la psychanalyse.

Que ce soit dans le domaine du rêve, des interrelations mère enfant, de la compréhension des mécanismes psychotiques ou des théories sur la pensée, ses écrits, marqués d’une profonde originalité et dans un style inimitable, ont considérablement fait progresser nos conceptions de la vie psychique.

La métapsychologie, la pratique analytique ont reçu des éclairages particulièrement novateurs.

Cogitations avait déjà été publié en anglais en 1992 mais la traduction française vient enfin d’être éditée.

A l’image de W.R. Bion lui-même, ce livre est étonnant et nous surprend constamment.

Il s’agit d’une sorte de journal de bord qui a accompagné Bion tout au long de son travail.

Cogitations, c’est le nom que Bion donnait à des pensées couchées sur des feuilles volantes. Ces pensées prises à la volée, au vif de l’expérience, sont ici rassemblées et couvrent une période de plus de vingt ans (de février 58 à avril 79).

L’on doit à Francesca Bion, sa femme, d’avoir patiemment reconstitué cet énorme puzzle de plusieurs centaines de pages (certaines n’étaient pas datées).

Elle nous dit : « Avec ces écrits d’un moment, il tentait de discipliner, de clarifier et d’évaluer des idées complexes – à la fois les siennes et celles des autres – en les disposant visuellement et souvent en s’adressant à un public imaginaire. Il ne les relisait jamais mais a dû penser qu’elles étaient dignes d’être conservées car elles ont échappé à la consigne de la corbeille lors des séances au cours desquelles nous déchirions joyeusement des papiers … ».

Nous trouvons dans ces pages un matériau très vaste composé de pensées personnelles, d’idées cliniques, d’annotations de livres, d’impressions de vie, des interviews, des conférences, des préfaces, des récits de séances analytiques, des pensées philosophiques, des efforts d’abstraction, des pensées métaphysiques parfois quasi mystiques, des commentaires sur la grille et d’autres concepts.

C’est dire la richesse de son contenu.

Nous retrouvons aussi sous une forme très condensée le style très particulier de Bion, fait de fulgurances, de propos énigmatiques :

« Causé par. Mais aussi les symboles mathématiques pour l’addition, la soustraction, la multiplication et la division. Est-ce que ce sont les expressions d’un rapport ? Et si tel est le cas, quelle est leur histoire dans le développement de l’individu »,

de pensées rédigées souvent avec un très grand sens de l’humour.

« Le moment voulu, je me suis trouvé officiellement qualifié par la Société britannique de psychanalyse et petit à petit de plus en plus impliqué dans des questions qui ne m’étaient pas familières – y compris celles pour lesquelles je n’étais pas du tout qualifié, comme être Président de la Société britannique de psychanalyse ».

« Relisant à nouveau mes notes, je me sens exaspéré par leur futilité, mais au moins suis-je exaspéré par elles. Il doit y avoir, par conséquent, quelque chose en elles, car sinon elles ne pourraient pas m’exaspérer ».

Ceci ne donne évidemment qu’un très faible reflet de l’intérêt de ce livre, fort bien traduit, qui peut être ouvert à n’importe quelle page pour commencer la lecture et qui surprendra toujours par le vaste paysage que l’on y découvre sur la psychanalyse, la linguistique, la littérature, les mathématiques.

Ceci dit il ne convient pas au lecteur qui découvre Bion, il aura intérêt à lire d’abord les grands textes, mais est très instructif pour ceux qui connaissent déjà les idées de cet auteur. Il se termine par un inventaire des livres de Bion et de ses articles traduits en langue française.

On notera aussi que vient de paraître chez le même éditeur la publication des « Séminaires Italiens », animés à Rome en 1977 par Bion et qui restitue sous une forme dialoguée les pensées sur la relation patient analyste.