Notes de lecture

Rojas Stauv, Elena

2000-04-01

Notes de lecture

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Intéressée par le sujet, et désireuse de revisiter un auteur dont l’œuvre m'était restée inconnue (hormis son "Abrégé de psychologie pathologique"), j'ai décidé de m'y aventurer.

Jean Bergeret est psychiatre et psychanalyste, professeur émérite à l'université, Lyon 2., connu par ses travaux sur les cas limites, la violence fondamentale et la pathologie du narcissisme. C'est dans la continuité de ses hypothèses que ce dernier livre s'inscrit. Il s'entoure de huit psychanalystes pour tenter d'ouvrir un dialogue autour du concept d’homosexualité qui prête à confusion.. Il lui semble nécessaire de sortir des ambiguïtés qui l’entoure depuis le début de la psychanalyse, en se centrant plutôt sur le registre affectif et relationnel que comportemental. Pour ce faire, il prend comme référence l'article de Ferenczi "L'homoérotisme : nosologie de l'homosexualité masculine" (1911). Ce terme lui semble plus pertinent pour décrire la situation relationnelle entre deux êtres qui se considèrent comme semblables. Il s'agit du plaisir recherché dans la contemplation en miroir de l'image d'un semblable ; ce qui relève d'une relation du registre prégénital, puisque selon l'auteur le véritable objet sexuel est défini comme différent du sujet dans sa nature, égal à lui dans ses capacités et jouant un rôle complémentaire. Il réserve le terme "d'homosexualité" seulement aux sujets ayant une organisation oedipienne et régressant pour se rassurer devant les dangers liés à un choix oedipien.

L'auteur reprend la notion de "stade" introduite par Freud en même temps que le concept de narcissisme (1914). Il distingue l'étape narcissique (auto, puis homoérotique) de celle réellement objectale (réservée à l’œdipe).

A l'appui de son hypothèse, l'auteur propose : "Il semble que l'impasse conceptuelle constatée provienne de la vue synchronique des oppositions pulsionnelles (pulsions du moi et sexuelles) au lieu d'envisager une relation diachronique portant sur l'évolution progressive des modes d'investissement des deux groupes pulsionnels comme de leur articulation et de leur étayage, ainsi que Freud l'avait envisagé assez tôt dans ses propres réflexions" (p. 195).

Ce retour aux sources, l'inspire pour tenter de donner un statut théorique à L’homoérotisme, conçu, dès lors comme un stade de la psychogenèse. Il le définit ainsi : "Il s'agit d'une période au cours de laquelle le sujet garçon ou fille, ayant franchi de façon assez positive son étape auto‑érotique préalable auprès d'une mère "suffisamment bonne", va quémander à la mère et au père de la triade narcissique le don du phallus imaginaire qui leur conférera une complétude narcissique vérifiable dans une heureuse jubilation spéculaire" (p. 187).

On perçoit l'importance qu'il confère au narcissisme parental pour que ce don puisse être incorporé, puis introjecté : Cela demande de la part des parents d’accepter de réaliser ce don sans sentiment de perte, voire de dépossession. Il insiste sur la nécessité d'un climat serein, pare-excitant. Il éclaire un peu plus loin ce qu'il entend par imaginaire prégénital et montre l'utilité de le déceler dans ce type des fixations : "A l'étape triadique l'enfant demeure un "petit" cherchant à affermir son autonomie et sa propre identité primaire narcissique en tentant de s'identifier narcissiquement à ces deux cibles relationnelles parentales qui ne sont encore que deux "forts, deux "grands" (…) C'est donc en cherchant à s'appuyer sur de telles représentations enviables que se développerait une sorte de fantasme d'adoubement, c'est à dire d'une réception passive anale de la puissance de l'un puis de l'autre des parents, réception accompagnée d'un érotisme réconfortant. Mais érotisme encore limité ici au registre d'ordre narcissique" (p. 197).

En suivant sa réflexion, on s'aperçoit de l'importance économique accordée à l'intégration de l'analité. Du reste, on peut se demander si cette étape ne correspond pas au seuil de la position dépressive décrite par M. Klein.

Tout au long de l'ouvrage apparaît la question de l'utilité de revenir à la notion de "stades". J’ai personnellement l'impression qu'il durcit la distinction entre économie narcissique et économie objectale afin de s'assurer d'une base plus solide. Mais l'auteur tente de nuancer ses propos… "Chercher à différencier une homosexualité vraiment génitale d'un homoérotisme narcissique demeure une démarche délicate car nous ne saurions considérer les choses de façon trop clivée. La différence essentielle n'est pas de reconnaître "totalement" et "définitivement" une situation sexuelle d'une fixation "entièrement" et "définitivement" prégénitale. Cela serait à la fois arbitraire et surtout bien naïf. La rigueur de l'enquête suppose prudence dans l'écoute et nuances dans la réflexion qui en découle…" (p. 269).

En ce qui concerne la clinique, il met en garde contre la tentation de considérer l'homoérotisme comme une structure de base de la personnalité. "On peut rencontrer d'une façon transitoire ou durable positive ou pathologique, une relation imaginaire de modèle homoérotique au sein de n'importe quel mode de structuration" (p. 186). Pour preuve, dans la troisième partie de l'ouvrage consacrée aux réflexions cliniques, les différentes vignettes étayaient cette diversité structurale. Elles montrent aussi l'intérêt décelé après-coup des aménagements du cadre aussi bien externe qu'interne de la cure (cadre interne s'entend cadre psychique de l'analyste). Ces théorisations peuvent trouver leur pertinence dans le difficile travail de rendre représentable ce qui ne l'est pas encore. Il m'est impossible de rendre compte dans une note de lecture des élaborations théorico-cliniques des auteurs ; les contributions de M.Vermorel "Erotisme et narcissisme à l'adolescence" et de G. Bourdellon "Réussite et échec de L’homoérotisme chez la femme" m'ont semblées particulièrement éclairantes du rôle structurant joué dans l'évolution psychique par la fonction homoérotique.

Par ailleurs, la démarche de Bergeret de reprendre l'article de Ferenczi lui donne l'occasion de réparer d'une façon posthume ce que Freud n'a pas pu faire envers cet élève original qui attendait de son maître un don phallique (d'où son insatiable besoin de soutien). En effet, dans le texte XII des écrits métapsychologiques qui n'a jamais vu le jour du vivant de Freud, "il reconnaissait l'existence d'une pathologie narcissique et prégénitale découlant d'un courant instinctuel primaire violent dont le destin naturel sera de s'intégrer peu à peu au courant pulsionnel de nature sexuel" (p. 322). Une excellente contribution de T. Bokanowski, dans la partie consacrée aux réflexions théoriques, "La relation Freud-Ferenczi : homosexualité psychique ou homoérotisme ?", met en évidence les enjeux narcissiques de leur relation et les capacités élaboratives de Ferenczi devant cette impasse transféro-contrétransférentielle.

Ce livre est complexe, bien à l'image du sujet qu'il traite. Oser ouvrir une recherche psychanalytique appelle à beaucoup de prudence, de rigueur et de liberté d'esprit. Bergeret nous invite à une double exigence méthodologique : "d'une part de vérification des hypothèses trop facilement considérées comme fermement établies et d'autre part d'émission d'hypothèses nouvelles, à vérifier à leur tour, bien sûr" (p. 54). La tentative de conceptualiser l'homoérotisme comme une étape, celle où le sujet serait resté fixé, permet d'envisager avec un certain espoir de mobilisation, l'approche de patients figés dans leurs défenses, et paraissant inaccessibles à la démarche psychanalytique. Nous savons combien ces défenses (notamment le clivage de l'objet) érigées à l'aube de la vie psychique, relèvent de la lutte pour la survie devant des traumatismes infligés par l'environnement.