Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

1997-10-01

Notes de lecture

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L'ouvrage de Jean Cournut inaugure une nouvelle collection des PUF, "Epîtres", que l'auteur dirige avec Claude Le Guen. Cette collection a pour souci de mettre à la disposition des lecteurs des ouvrages de présentation aérée, ne dépassant pas 160 pages dont une partie consacrée à des articles déjà publiés et, détail non négligeable, vendus à un prix qui se veut démocratique. Parmi les volumes déjà parus à ce jour, citons, l'"Epitre à l'objet" de Florence Guignard, "Le refus du féminin" de Jacqueline Schaeffer, "De la pratique analytique" de Thierry Bokanowski.

De lecture agréable et aisée, l'Epître de Jean Cournut m'a intéressée à bien des égards. Largement inspirée du Rapport présenté avec Monique Cournut à Paris en 1993 au "Congrès des Psychanalystes de Langue Française des Pays Romans" sur le thème "La castration et le féminin dans les deux sexes", Jean Cournut brosse une fresque impressionnante de la métapsychologie freudienne interprétée par la pensée psychanalytique française "traditionnelle". A l'heure où les analystes sont confrontés à la multiplicité des "écoles psychanalytiques" qui impliquent des façons d'analyser parfois très différentes, l'auteur a le grand mérite de préciser la spécificité de la tradition psychanalytique qu'il représente par rapport à d'autres courants de pensée, notamment le courant anglo-saxon. J. Cournut inscrit les différences entre les analystes dans des contextes culturels dont il reconnaît lui-même l'influence. Il relève la "valorisation des représentations (de choses et de mots) et de leur liaison par le langage" dans la culture psychanalytique française "aux détriments peut-être de la prise en compte théorique, clinique, et pratique du registre énergétique, celui des sentiments, des émotions, de la sensibilité, des comportements…" plus volontiers pris en compte par les anglo-saxons. C'est dans cette optique que J. Cournut précise et argumente ses repères en les étayant sur sa connaissance approfondie de l'oeuvre de Freud. Pour lui, l'Oedipe est organisateur des problématiques archaïques, l'angoisse de castration permet l'intégration des angoisses antérieures par la "négociation" (terme cher à J. Cournut) qu'elle permet de "la partie pour le tout", négociation autour de l'"avoir", le pénis subsumant les "avoirs prégénitaux", pour sauver "le tout", entendez pour gérer les manques narcissiques. L'après-coup, notion à peine connue par l'école anglo-saxonne, prend ici toute son importance en tant que "mémoire qui reconstruit en permanence un passé que le présent vient resignifier".

Et vient resignifier dans le présent du transfert. J. Cournut est clinicien, ses textes en témoignent. Il connaît bien les "excès" que la clinique donne à voir, débordements à propos desquels il évoque "la passion", fidèle en cela aux thèmes développés dans l'ouvrage "l'ordinaire de la passion – Névrose du trop, névrose du vide", le fil rouge, PUF, Paris, 1991). On se souviendra que J. Cournut, dans cet ouvrage, insiste sur le point de vue économique (cf. Réflexions critiques : "La passion selon J. Cournut", RBP, n° 21, 1992, J. Godfrind) dont il reprend ici les incidences cliniques, notamment sous forme des interventions auxquelles l'analyste est conduit lors des moments de dérive du patient, quand "la force pulsionnelle excède le jeu des processus de liaison-déliaison". Et J. Cournut de préciser : "Nommer la force des sentiments, sans se perdre dans leur confusion, désigner la violence sans la condamner, telles seront souvent les premières et indispensables approches, avant d'aborder le complexe de castration". On voit que sur le terrain et devant l'urgence des situations limites, les positions françaises ne sont pas si éloignées de celles qui, plus proches des positions anglo-saxonnes, tentent une approche des problématiques relatives aux défaillances psychiques. Mais la différence de finalité est clairement signifiée par le "avant d'aborder le complexe de castration" : le travail de liaison évoqué est un passage obligé pour accéder aux positions oedipiennes porteuses d'intégration psychique. Si je suis d'accord avec J. Cournut pour reconnaître l'importance de l'Oedipe en tant qu'organisateur psychique, j'interroge néanmoins l'absence de théorisation du travail analytique effectué sur les strates éclatées du psychisme et, plus précisément, de l'impact de l'objet analyste sur le psychisme de l'analysant.

Outre la prise en considération de l'"excès", "névrose du trop", comme il l'appelle, l'auteur évoque également les défenses narcissiques, formations protectrices qui peuvent donner lieu à des défenses par le caractère. Notion intéressante en soi, elle donne en outre l'occasion à J. Cournut de laisser libre cours à la verve de sa plume. Dans un style qui n'est pas sans rappeler celui de La Bruyère, notre auteur brosse des tableaux de personnages dont le pittoresque ne peut faire oublier que nous les côtoyons chaque jour, rarement cependant dans nos cabinets de consultation, leur couverture caractérielle les protégeant contre une symptomatologie anxieuse.

La dernière partie de l'ouvrage est consacrée au "sexuel", ou, plus exactement, au psychosexuel pour en cerner la définition et les états. Elle comporte également des vignettes cliniques qui illustrent les implications "techniques" de pareilles références. L'auteur y dévoile généreusement sa façon d'intervenir. A l'heure où tout analyste s'interroge sur sa clinique, l'importance et l'influence de ses appartenances "idéologiques", leur pertinence ou leur relativité, les prises de position de J. Cournut comme ses exemples cliniques offrent un outil de discussion privilégié, qu'on soit ou non d'accord avec lui.