Notes de lecture

Watillon, Annette

1997-04-01

Notes de lecture

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Dans ce passionnant ouvrage, Antonino Ferro nous donne une description des tendances actuelles de la psychanalyse des enfants en Italie, ainsi qu'un aperçu des conceptions de l'école psychanalytique italienne peu connue des lecteurs francophones. François Sacco, dans la post-face, salue la traduction du livre de A. Ferro "comme un événement dans l'édition française pour la connaissance de l'apport des psychanalystes italiens au mouvement psychanalytique international".

Appliquant, dans son introduction, les modèles théoriques de la psychanalyse adulte au travail avec les enfants, l'auteur aboutit à une tripartition théorique. Il essaye de caractériser les différents modèles théoriques existants, à partir de la façon dont les faits racontés en séance et les personnages de la séance sont envisagés :

-en premier, le modèle freudien considère les personnages de façon prépondérante comme les noeuds d'un filet de rapports historiques ;

-le second, kleinien, comme les noeuds d'un filet de relations intrapsychiques ;

-et le troisième, bionien, comme les noeuds d'un filet narratif interpersonnel, "ou plutôt intergroupal (le groupe à 2 de Meltzer) qui naissent comme des "hologrammes" de l'interrelation émotionnelle actuelle analyste/patient".

A partir des thèmes envisagés successivement : le dessin, le jeu, le rêve, le "personnage" et le récit, A. Ferro explicite sa manière de travailler principalement au niveau de l'échange émotionnel entre patient et analyste. Pour lui, les différents éléments précités sont des indicateurs du "fonctionnement du champ relationnel dans lequel patient et analyste sont impliqués et à l'intérieur duquel ce qui est important n'est pas tant l'interprétation que les capacités d'opérer un changement et une transformation de la psyché du patient.

Par "champ", l'auteur entend le fait que dans l'analyse deux psychés sont en relation et que dans ce champ bipersonnel, les modalités de la relation et les faits émotifs qui s'y produisent sont l'élément primordial. "Les personnages du dialogue, du dessin, du jeu ou du rêve témoignent de l'élaboration réalisée par les psychés des identifications projectives réciproques et sont un moyen par lequel peut être communiqué en images et en histoires partageables ce qui est en train de se passer dans le couple analytique : en ce sens, on peut dire que les personnages éclosent en tant que nécessité du texte relationnel d'exprimer émotions et affects" (p. 37).

L'interprétation n'est pas considérée comme quelque chose qui, selon un code donné, permet d'extraire une signification mais comme la proposition d'un sens toujours non-exhaustif, en devenir, insaturé (Bion) qui trouve dans les émotions du couple l'impulsion pour de nouvelles significations.

A. Ferro insiste sur le fait que ce "vertex d'écoute ne peut être constamment le seul, parce que l'on aurait alors une relation qui s'enroulerait sur elle-même, tandis qu'au contraire on doit pouvoir réaliser une alternance continuelle des vertex d'écoute, celui de l'histoire, celui du monde interne, celui des fantasmatisations et celui que je pense entre tous privilégié, scientifique, et de la plus grande profondeur psychanalytique, c'est-à-dire l'écoute de ce que le patient dit (ou ne dit pas) comme quelque chose qui ne cesse de raconter ce qui est en train de se passer entre deux pychés en séance, un vertex que nous devons partager pour rejoindre le patient là où il est" (pp. 38-39).

Cette dernière phrase de l'auteur résume assez bien son livre. En effet, A. Ferro déclare tenir compte des différents vertex précités mais comme il veut démontrer la justesse de sa théorisation et l'importance du champ interpersonnel, il développe très longuement cet aspect, risquant de donner l'impression que son travail analytique y est uniquement consacré. L'ouvrage contient une quantité importante d'exemples cliniques, tous intéressants et témoignants de la finesse clinique de l'auteur ainsi que de son savoir faire et sa grande modestie.

A. Ferro donne du métier d'analyste une image idéale et difficile par la perpétuelle remise en question du travail accompli. Ses exigences sont grandes, ses aspirations élevées ; ceci l'amène à envisager la "sauvegarde de l'analyste" (thème peu abordé dans la littérature psychanalytique). Les fonctions de la psyché de l'analyste qui risquent d'être mises en crise les premières sont : la rêverie (fonction la plus sensible et expression ultime et la plus accomplie du fonctionnement mental de l'analyste) ; ensuite, la capacité de contention, puis, risquent d'être activés, à l'intérieur de l'analyste, la persécution et le besoin d'évacuer les éléments bêta du patient et les siens. L'auteur décrit l'inversion du flux des identifications projectives en séance (donc de l'analyste vers le patient) dans trois situations : celle où l'analyste se trouve envahi de façon brutale par un patient particulièrement perturbant ; celle où l'analyste est surchargé par ses propres angoisses non encore métabolisées ; et celle où l'analyste, dans son travail normal, voit des parties de lui-même, pourtant tenues éloignées, interférer dans sa relation avec le patient. Il évoque Rosenfeld qui parle de la capacité qu'ont certains patients de rêver les parties clivées de la psyché de l'analyste. Le travail sur le contre-transfert est donc essentiel pour lui ; il utilise le "champ" lui-même et ce qui s'y passe (jeu, rêve, dessin, récits et personnages) comme panneau de signalisation et d'indices du fonctionnement mental de l'analyste. Ce haut niveau d'exigences l'amène tout naturellement à évoquer la sauvegarde de l'analyste par des périodes de repos, par la diversification des activités (recherche, lecture, écriture, rencontres avec des collègues).

Ceci le conduit également à considérer comme critères d'analysabilité la question de savoir si l'analyste a la disponibilité mentale, la santé et la force suffisantes pour accueillir un nouveau patient (moi je dirais : ce patient-là).

"L'enfant et le psychanalyste" est un livre qui fait réfléchir ; il se situe résolument dans la suite des idées de Bion et rappelle les écrits de Lang par certains aspects d'exigence dans la relation analyste-patient. Toutefois, une certaine lassitude peut gagner le lecteur par la répétition des exemples cliniques qui illustrent uniquement l'utilisation du vertex que l'auteur privilégie. Il me semble qu'au lieu de donner une multitude d'exemples ponctuels, l'auteur aurait mieux défendu sa thèse en racontant plus longuement une cure et montrant quand et pourquoi il choisit l'un ou l'autre vertex.

Je peux recommander la lecture de ce livre à tous les analystes d'adultes ou d'enfant qui sont prêts à envisager la fonction analytique comme un travail de transformation et ne craignant pas, comme l'écrit S. Decobert dans la préface, "l'intensité aussi exaltante qu'effrayante" d'une perpétuelle remise en question de leur fonctionnement mental.