Notes de lecture

Flagey, Danielle

1996-10-01

Notes de lecture

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Maurice Berger nous apporte un très riche témoignage clinique et théorique concernant les traces psychiques laissées par des séparations subies précocement. Il envisage trois situations où ce problème se pose : le divorce des parents, l'adoption et le placement en institution ou en famille d'accueil. Tous les cas rapportés, malgré leur grande diversité, montrent l'importance du travail psychique nécessaire pour maintenir un lien vivable avec les objets internes.

La "pathologie du lien" témoigne des traces laissées par ce travail qui laisse persister le plus souvent de lourdes difficultés de représentation, et des mécanismes de déni et de clivage. Il s'agit d'un processus différent du travail de deuil qui suppose, lui, le désinvestissement progressif d'un objet représentable. Cette pathologie du lien est souvent sous-estimée, ce qui peut entraîner des illusions thérapeutiques à propos des psychothérapies.

L'auteur pondère prudemment ces constatations cliniques en observant que celles-ci émanent d'une consultation de pédopsychiatrie, ce qui laisse en dehors de son échantillon les cas pour lesquels aucun avis n'est demandé.

A propos du divorce, il nous montre que les enfants ont à faire de toute façon un travail d'aménagement psychique pour gérer la représentation du couple des parents et maintenir leur lien objectal avec chacun d'eux. Dans les cas les plus problématiques, cette situation peut entraîner la persistance à long terme de mécanismes de clivage et d'idéalisation parfois difficiles à débusquer.

Les observations d'adoptions offrent un vaste champ clinique, des "bons cas" à des pathologies lourdes. La situation est évidemment différente si l'adoption a été très précoce ou si, plus tardive, elle a laissé place à des expériences plus ou moins pénibles dans la famille biologique. L'auteur observe que la situation d'adoption présente toujours un risque narcissique particulier dans la mesure où la filiation n'est pas assurée de manière évidente, et que l'enfant peut toujours imaginer que celle-ci pourrait être remise en question dans des situations trop conflictuelles. Il est donc très difficile pour ces enfants de gérer sainement leur ambivalence. Les conflits évolutifs risquent d'être "résolus" par l'entretien d'un roman familial avec idéalisation des parents biologiques au mépris de toute réalité. Là encore, le clivage risque d'entamer durablement la cohérence psychique interne.

C'est évidemment les enfants placés en institution ou en famille d'accueil, le plus souvent par une décision judiciaire, qui présentent les altérations psychiques les plus lourdes. Il y a là un malheureux cumul des conséquences de la maltraitance et de celles de la séparation. Le plus souvent, les fonctions de représentation sont déjà entravées avant la séparation, et les défenses contre la souffrance impliquent un usage massif des défenses maniaques.

Ce sont donc des cas qui mobilisent un arsenal thérapeutique lourd et original, dont l'équipe de Maurice Berger témoigne d'une longue expérience.

L'auteur insiste sur la nécessité de procurer à de tels enfants des conditions de vie leur permettant concrètement de vivre une expérience nouvelle de lien privilégié. En pratique, il propose, dans le cadre d'un hôpital de jour, des contacts individuels quotidiens avec une éducatrice qui n'interprète pas, mais doit être en mesure de comprendre la subjectivité de l'enfant. Cette démarche peut être un préalable à une éventuelle psychothérapie ultérieure. Il propose d'aménager les contacts entre l'enfant et sa famille par la pratique de visites médiatisées, où la présence d'un éducateur et d'un thérapeute permet à la fois de protéger l'enfant et de décoder prudemment le sens des interactions familiales. Lorsque l'enfant est placé en famille d'accueil, un travail très soutenu avec celle-ci est nécessaire pour que cette expérience ait une valeur thérapeutique.

Il s'agit là d'un travail long et lourd qui mobilise des équipes bien rodées à la compréhension des mécanismes psychiques. La présence d'un psychanalyste y est évidemment bien utile… Mais, comme M. Berger le fait remarquer, la formation psychanalytique n'est en général pas recherchée dans le but de se consacrer à ce genre de travail.

Puis-je me permettre d'ajouter que si la psychanalyse a quelque prétention à l'universalité – et c'était, je pense, l'ambition de son fondateur -, il faudrait pouvoir faire jouer ses concepts pour rendre compte d'organisations psychiques très altérées, mais bien fréquentes, hélas, et que nous ne rencontrerons jamais sur nos divans.