Notes de lecture

Alsteens, André

1996-04-01

Notes de lecture

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Les trois termes du titre pourraient à première vue surprendre. Côte à côte, ils n'en connotent pas moins une dialectique foncière. Le moi naît au monde par les mots. Ce serait évidemment trop réducteur de s'en arrêter là. Il faudrait poursuivre : les mots nous façonnent à partir du monde maternel. Plus encore, les mots nous possèdent à notre insu. Davantage, ils sont toujours en train de naître, à travers nous, entre eux.

Le silence imposé à Freud par sa patiente Emmy ouvre la voie à ce "qu'au-delà de parler de - de soi, de son enfance, de ses amours, du monde, … - le patient viendra, il vient, peu à peu, se laisser parler, laisser passer les mots à travers soi comme la fenêtre entrouverte laisse passer le vent". C'est la solidité du cadre analytique qui permettra cette acceptation du moi à se laisser fragiliser.

"Pas de trajet à proprement dit, commente Gantheret à propos de l'analyse, début, développement et fin, mais un agrandissement, un approfondissement qui semble naître au centre, au sein même des mots et, comme une onde dans l'eau, gagner jusqu'aux confins… Ici, comme dans le poème, ce à quoi l'on s'ouvre, c'est à l'émergence, au surgissement".

Cette ouverture à l'invisible, à l'au-delà de soi, au pouvoir impuissant à "parler" le monde, au pathos humain, s'illustre en quelques belles pages autour de la rencontre de Rilke et Lou Andréas-Salomé, introduisant de cette manière l'ensemble du texte : la fonction poétique du langage, l'espoir moteur du pouvoir de la parole, le verrouillage de certains destins par des mots, les vertus de l'interprétation lorsqu'elle donne à penser à cette remarque de Bousquet à Eluard : "Vous avez permis que je devienne celui qui dans ma voix m'écoute !".

La trame particulière de l'écriture rend heureusement illusoire toute velléité de rendre compte de ce que recèle cet ouvrage. A l'image des mots en faveur du pouvoir desquels il milite, Gantheret traduit par son écriture même la proximité nécessaire de l'expérience poétique contre le rabattement fréquent des mots à du pur explicatif ou référentiel. Les mots sont aussi trace et chair, ils ont leur vie à eux comme nous la nôtre, même si elles se croisent sans cesse.

Peut-être certaines errances lacaniennes ont-elles rendu parfois méfiant envers trop d'attention au langage. A travers cette lecture, il nous est donné de retrouver le charme, le mystère et l'énigme des mots, certes dans notre travail d'analyste, mais d'abord en tant que les mots participent à notre originaire singulier.

Les inconditionnels de la rigueur de l'écriture seront peut-être désarçonnés ; ceux qui tentent les chemins de traverse, ravis.