On avait pu se féliciter à l'époque de voir de M'Uzan rassembler dans un volume, De l'art à la mort (1983) des textes publiés au fil du temps. On se félicitera de disposer aujourd'hui d'un nouveau recueil, qu'il qualifie lui-même de "suite naturelle" tant les notions déjà évoquées dans un premier temps trouvent dans un second divers prolongements.
Sans doute, à collecter ensemble des textes d'origines diverses, l'unité n'est pas d'emblée acquise, l'unité n'en est même pas, à mes yeux, vraiment nécessaire ! Certes un fond stable d'inspiration anime l'ensemble, mais pourquoi faudrait-il avoir affaire à une totale cohérence ? Ce qui me semble plutôt l'essentiel, c'est le regard obstiné porté par l'auteur sur le travail de l'analyste, sur sa capacité à se laisser modeler (à ce titre, les notions de système paradoxal et de spectre d'identité indiquent impérativement les conditions de l'accès à ce qui se donne de l'inconscient), sur la créativité qui en résulte dans la naissance d'une "chimère", oeuvre commune de l'analysant et de son analyste. L'auteur interroge de cette manière, et sous diverses facettes, le bien fondé, la pertinence et l'efficacité de l'interprétation.
"Essais" sur l'interprétation, écrit-il, en employant le pluriel, et il a raison. Il n'existe pas un mode d'accès, mais de multiples, et l'interprétation ne se laisse pas plus museler que l'inconscient. La "bouche de l'inconscient", a-t-il choisi pour titre, pensant au silence de l'analyste, et combien a-t-il raison d'en rappeler la nécessité, la nécessaire fécondité, si l'on veut vraiment changer de registre, opérer une mutation, et ne pas céder au leurre de l'effort psychothérapique.
On l'aura compris, c'est d'analyse qu'il est question, de l'émergence d'un processus, des exigences auxquelles sont convoqués autant l'analyste que l'analysant. Le contre-transfert est ainsi placé au centre de ses préoccupations, et je ne peux me passer du plaisir de citer les trois dangers qu'il décèle à cet égard : la ponte lorsque l'analyste dépose dans l'analysant, et les y entretient, des parties de lui-même, bribes théoriques comprises, bien entendu ; la convoitise, quand il cède au penchant d'utiliser à ses fins les ressources psychiques du patient ; la domination enfin, là où un contrôle rigoureux façonne et croit définir le fonctionnement psychique de l'analysant ! Rarement s'est exprimé aussi clairement le pouvoir redoutable des déviances de l'analyste…
Il n'est pas dans mon propos de rendre compte plus en détail de cet ouvrage. Cela fut-il possible, il y manquerait la densité de l'écriture, au contact de laquelle le lecteur mesurera mieux la portée extraordinaire du processus analytique. de M'Uzan opère une sorte de percée, en affirmant clairement l'aspect novateur et créatif de cet affrontement patient-analyste, et sans ressentir le besoin, que du contraire, de creuser un fossé avec les auteurs traités, avec légèreté sinon dédain par certains, de "classiques".
Ce recueil réjouira ceux que l'analyse passionne, par les notions nouvelles qu'ils pourront y trouver, par le vent de fraîcheur qui anime ces pages, et par la possibilité ainsi offerte à chacun d'en apprendre plus sans se sentir colonisé.
