Notes de lecture

Goffin, Jean-Pierre

1993-04-01

Notes de lecture

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Les travaux psychanalytiques consacrés spécifiquement à l'alcoolisme sont plutôt rares. Dans les premiers écrits, les propos concernant cette pathologie se retrouvent dans des textes traitant plus globalement des toxicomanies.

En 1973, paraît "Pour une psychanalyse de l'alcoolisme" (Ed. Payot) de A. de Mijolla et S.A. Shentoub. La recherche des auteurs part d'un matériel clinique constitué d'entretiens uniques, d'une heure, avec des patients alcooliques graves, hospitalisés dans un service psychiatrique parisien. L'analyse fine de ces entretiens et l'élaboration théorique qui en découle en font un ouvrage de référence fondamental.

A mes yeux, "La problématique alcoolique" de Michèle Monjauze se révélera comme une autre référence fondamentale à tout analyste ou psychothérapeute, qui a bien réalisé que les patients alcooliques graves le mettaient en contact avec des zones du psychisme, à peine organisées, le confrontant ainsi à des angoisses archaïques, qui rendent la position contre-transférentielle particulièrement inconfortable.

Comme matériel clinique de départ, Michèle Monjauze utilise l'enregistrement de réunions de groupes d'alcooliques, au sein d'un service de psychiatrie. Les groupes ont "une composition mouvante". Y participent des patients hospitalisés depuis longtemps, d'autres en cure de sevrage, certains de "passage" le temps d'une crise, ainsi que plusieurs patients en traitement ambulatoire. Le chapitre intitulé "L'alcoolique caché dans les écrits psychanalytiques qui le décrivent" passe en revue les articles de disciples de Lacan, comme Jean Clavreul, Charles Melman, Michel Lasselin, Jean-Paul Descombey ("Alcoolique, mon frère, toi"). L'approche freudienne classique est représentée par l'ouvrage de Mijolla et Shentoub, que l'auteur analyse en détails.

Le chapitre suivant nous introduit à des travaux qui, s'ils ne parlent pas directement de l'alcoolisme, nous permettent cependant d'en approcher la problématique profonde. Ce chapitre passionnant reprend les notions d'"enveloppes musculaires de substitution" (E. Bick), "d'angoisses d'écoulement" (D. Houzel). L'auteur se réfère fréquemment aux travaux de Didier Anzieu, en s'arrêtant plus longuement à des textes pointant des notions comme celles du "trou qui aspire" ou "un corps liquide qui s'écoule et est agité".

Un rapprochement judicieux est fait entre l'alcoolisme et les pathologies autistiques. L'alcoolique aurait laissé derrière soi une faille autistique de la prime enfance, qui resterait masquée grâce à une certaine adaptation sociale. La "rencontre initiatique" se produirait à un moment précis d'émergence de cette faille profonde, par exemple, à l'occasion de ruptures affectives.

Un autre passage intéressant développe l'hypothèse selon laquelle l'interdit du toucher n'aurait pas pris sens chez les alcooliques. Ils se sentent constamment poussés à s'agripper, pour maintenir entière leur psyché liquide et parer aux angoisses de chute dans le vide. Cela expliquerait, en partie, la grande fréquence des délits sexuels chez les alcooliques.

A partir du cinquième chapitre qui s'intitule "La problématique alcoolique", Michèle Monjauze va développer le corps de son apport personnel en considérant l'alcoolisme grave comme une psychose spécifique. Cette approche originale, à lire dans le détail, éclairera les analystes confrontés, qu'ils le veuillent ou non, à des problèmes d'alcoolisme dans la cure. Les alcooliques semblent s'être fixés à une phase primitive où le psychisme serait représenté par un liquide. Cette notion de soi liquide nous met directement en contact avec les "angoisses d'écoulement". Selon l'auteur, en deça de cette angoisse d'écoulement nous découvririons une angoisse plus archaïque : "l'angoisse de dessication". A la naissance, une fois hors du milieu liquide, le sujet n'aurait pas pu faire une expérience satisfaisante du sec, en raison de certaines carences maternelles précoces. Au contraire, face à cette angoisse de dessication, il est acculé à mettre en oeuvre, de toute urgence, une défense pathologique, visant à le rétablir dans la régression extrême des conditions du "bain utérin".

Un dernier chapitre, passionnant à plus d'un titre, est consacré au lien existant entre la créativité artistique et l'alcoolisme. Une large part est faite à la revue de films illustrant bien la problématique alcoolique profonde. Une place particulière est réservée à la création littéraire, en la personne de M. Lowry, auteur de "Au dessous du volcan", et une autre à la peinture, consacrée à l'oeuvre de Francis Bacon. L'auteur nous montre de façon convaincante le lien étroit existant entre certains phénomènes d'alcoolisation et les vécus de Bacon lors de la réalisation de ses peintures.