Notes de lecture

Flagey, Danielle

1991-04-01

Notes de lecture

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Les auteurs présentent une revue critique d'un ensemble de travaux psychanalytiques ayant trait à la constitution de l'appareil psychique, et plus particulièrement à la notion de contenant. Ceci concerne donc les fondements de l'identité. Ils construisent leur exposé en partant des conceptions d'Esther Bick sur la "peau psychique". Les écrits de M. Klein, D. Winnicott, W. Bion, D. Anzieu, F. Tustin, P. Aulagnier, G. Haag, pour ne nommer que les principaux auteurs cités, sont analysés et confrontés. Nous voyons ainsi se dégager des convergences, malgré des langages différents, qui nous aident à nous représenter et à articuler les étapes de la constitution d'un contenant psychique, et d'un espace psychique qui se différencie et s'individualise progressivement. Chaque étape, ou plutôt chaque position, est marquée par la prédominance de mécanismes particuliers d'identification et de protection contre les risques de désintégration. Les auteurs décrivent ainsi la position autistique, la position symbiotique ou schizo-paranoïde, et la position dépressive, auxquelles correspondent la dominance de l'identification adhésive, projective ou introjective.

Ce travail considérable constitue une introduction très bien faite pour aborder les différents auteurs dont cet ouvrage résume la pensée. Rien qu'à ce titre, il constitue une référence et un outil de travail. J'ai, d'autre part, été particulièrement intéressée par la façon dont sont mises en perspectives les données issues de la psycho-pathologie et celles que l'on peut considérer comme faisant partie d'un développement suffisamment bon. Les auteurs proposent l'hypothèse séduisante que les mécanismes psychiques que nous observons dans les cas pathologiques ne sont pas la reproduction de phénomènes qui n'auraient comme seul défaut que leur anachronisme, mais qu'il s'agit plutôt d'une altération de leur fonctionnement par un excès de destructivité. Cette distinction me parait comparable à l'opinion d'auteurs comme Meltzer et Bion à propos de l'identification projective et du clivage.

Ils ont en effet montré qu'il existe une forme normale, structurante, au service de la croissance psychique, de l'identification projective. Celle-ci peut soulager un psychisme à la cohérence encore précaire, et stimuler la fonction alpha de la mère, mais peut aussi se dégrader en identification projective intrusive violente. De même, le clivage binaire de l'objet décrit par M. Klein peut soit se figer en se rigidifiant, soit se dénaturer en clivage morcelant et devenir ainsi un facteur de déstructuration. Il me semble qu'une réflexion analogue peut être faite à propos du recours à des objets autistiques. Ceux-ci peuvent constituer une utile protection contre l'angoisse de désintégration, pour autant que leur usage reste réversible, ou se maintient éventuellement comme un registre défensif parmi d'autres potentialités. Ne peut-on également imaginer que des mécanismes de ce type : se servir de l'accrochage aux qualités sensorielles de certains objets pour maintenir la cohérence psychique, puissent, en se transformant et s'élaborant, servir de matrice à un certain plan de la sensibilité esthétique et de la créativité ?

Un autre aspect du point de vue génétique sur lequel insistent nos auteurs, c'est le mouvement oscillant entre différentes positions qui caractérise très précocement tout développement psychique normal : oscillation entre le narcissique et l'objectal, entre les diverses modalités d'identification, adhésive, projective, introjective, etc… La centralité de la position dépressive, et de la douleur dépressive, qui mobilise les ressources psychiques disponibles dans les différents registres utilisables, est ici soulignée.

Dans leurs considérations concernant l'étiologie des troubles précoces de la structuration de l'appareil psychique, les auteurs insistent sur la complémentarité des facteurs d'environnement et des facteurs constitutionnels. Ils remarquent par ailleurs que l'entrave au développement psychique vient principalement des systèmes défensifs mis en place par une psyché encore fragile pour assurer sa survie face à des situations traumatiques précoces. Les défenses autistiques massives en constituent l'exemple le plus radicalement invalidant. L'attention portée à l'inadéquation de "l'objet contenant" amène les auteurs à proposer un recours à la psychothérapie familiale dans de nombreux cas de pathologie de l'enfant où celui-ci reste très dépendant des altérations actuelles des systèmes d'interactions.

Ce livre contient de nombreuses illustrations cliniques empruntées au domaine des psychoses précoces. Une seule observation concerne une adulte "névrosée" présentant certains mécanismes autistiques. Ils nous montrent là comment une meilleure compréhension des facteurs à l'oeuvre dans la construction même du psychisme peut conduire le psychanalyste écoutant des patients adultes apparemment non psychotiques à être sensible aux conséquences de failles précoces souvent très dissimulées. Le chapitre sur la "formation seconde peau" nous montre l'étendue de ce vaste champ clinique auquel tout psychanalyste est nécessairement confronté.

Ce livre est à lire. Il a le grand mérite de nous fournir un guide clair et concis des principaux courants de la pensée génétique dans la psychanalyse contemporaine.