Notes de lecture

Watillon, Annette

1990-10-01

Notes de lecture

Partager sur

Ce livre, publié dans sa version originale après la mort de D.W. Winnicott, fut écrit en 1954 et rapidement achevé dans sa première version, mais non publié. Par la suite et jusqu'à sa mort, nous dit Clare Winnicott, il ne cessa de la soumettre à critiques et révisions. Il s'agit d'un ensemble de conférences que Winnicott a données, depuis 1936, à la demande de S. Isaacs, à des professeurs des petites classes et après 1947, à l'Université aux étudiants se destinant à un travail social. Selon son épouse, "Winnicott aima ces conférences qui étaient pour lui une source permanente d'excitation et l'encourageaient à clarifier son point de vue et à modifier ses idées à la lumière de ce que lui renvoyaient son auditoire et sa propre expérience".

L'auteur est conscient de l'énormité de la tâche que laisse présumer le titre : la nature humaine. Il veut parvenir "à une description personnelle – et dès lors, on le comprendra, limitée – d'un thème qui n'a pas de limites". Dans la préface, il donne un bref mais instructif résumé de son évolution professionnelle. J'y relèverai sa remarque que pour lui la psychiatrie de l'enfant participe au premier chef de la pédiatrie. Winnicott a commencé sa vie professionnelle comme pédiatre et c'est une pratique qu'il n'a jamais abandonnée.

Le lecteur peut s'étonner et se sentir légèrement contrarié par une étude du développement régrédiente. En effet, Winnicott étudie d'abord l'enfant de quatre ans, pour remonter progressivement vers la naissance. Il s'en justifie dans l'introduction ; il commence par le domaine le mieux connu pour n'atteindre qu'ensuite les zones les plus obscures.

Le résumé de son livre est donné dans l'introduction, où il précise combien il est important, lorsqu'on veut étudier et comprendre le genre humain de pouvoir tenir compte de toutes les méthodes d'approche telles que la psychanalyse, la pédiatrie, la religion, la philosophie, la génétique, la sociologie, etc…

"En choisissant d'aborder l'étude de la nature humaine par la question du développement, qui permet le recentrage des différents points de vue, j'espère pouvoir rendre clairement la façon dont, à partir d'une fusion primaire entre l'individu et l'environnement, quelque chose fuse, l'individu mettant en jeu ce qu'il veut en devenant capable d'exister dans un monde qui ne veut rien ; ensuite le self se renforce jusqu'à devenir une entité, et c'est la continuité de l'être, lieu où et d'où émerge l'unité du self, c'est-à-dire quelque chose qui est lié au corps et aux soins qu'on lui prodigue ; puis c'est l'éveil d'une double prise de conscience (et conscience sous-entend existence de l'esprit), celle de sa propre dépendance et celle de l'existence de la mère, de sa fiabilité et de son amour, qui devient sensible à l'enfant grâce aux soins et à son adaptation attentive aux besoins ; puis vient le consentement personnel aux fonctions et aux pulsions avec leur acmé, et la reconnaissance progressivement acceptée de la mère comme autre être humain, et dans le même temps, d'impitoyable, l'enfant devient soucieux ; ensuite arrive la reconnaissance du tiers, et de l'amour compliqué par la haine, et du conflit affectif ; le tout s'enrichissant de l'élaboration imaginative de chaque fonction, et de la croissance de la psyché en même temps que celle du corps, également la spécialisation de la capacité intellectuelle, dépendante de la qualité du cerceau et de ses dons ; et toujours en même temps que tout cela, le développement progressif de l'indépendance par rapport aux facteurs de l'environnement qui finalement conduit à la socialisation".

Le livre se compose de nombreux chapitres, relativement courts, dans le style inimitable de Winnicott ; apparemment simple, sans redondances mais nécessitant plusieurs lectures pour en comprendre toutes les implications et la profondeur. Certaines démonstrations sont agrémentées de schémas, qu'il faisait au tableau noir pour éclairer son propos.

Le lecteur perçoit qu'il s'agit de textes rédigés à partir de conférences, avec une double conséquence : d'une part, l'impression "d'entendre parler" Winnicott, l'illusion de l'avoir connu et côtoyé mais d'autre part aussi le sentiment de rester sur sa faim, de lire un plan, un schéma où l'on aimerait connaître le développement plus détaillé du sujet.

Globalement, les idées exposées dans ce livre ne semblent pas neuves ; des thèmes connus sont repris par l'auteur. Le style néanmoins est plus familier, plus proche et l'on perçoit plus clairement la clinique tant pédiatrique que psychanalytique. De ci, de là, on glane une pensée qui frappe, étonne et ouvre des horizons. Celle-ci par exemple : "Les plus grandes souffrances dans le monde des hommes sont probablement celles des personnes mûres ou normales, ou en bonne santé. Ceci n'est en général pas admis".

J'ai beaucoup aimé le chapitre sur la position dépressive avec la notion du cercle protecteur, ainsi que celui sur "L'établissement de la relation avec la réalité extérieure".

Parfois décevante, parfois irritante, la lecture de ce dernier livre de D.W. Winnicott est aisée et permet encore plus de découvrir le côté profondément humain de cet auteur, ainsi que l'originalité du développement de sa pensée.