Les Poétiques du corps : Actes de naissance en analyse

Nicolas Evzonas

Notes de lecture

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Sylvie Le Poulichet continue à affiner l’exploration des registres de l’informe en psychanalyse dans son dernier ouvrage. Elle érige ainsi en art la communication entre la métapsychologie et l’écoute qui met en suspens le déjà su pour laisser émerger l’inconnu à chaque fois singulier issu de la rencontre entre deux « je » palimpsestes. Une écriture élégante et parfaitement fluide présente sept cures analytiques, qui témoignent de la magie d’un transfert capable de recomposer l’épaisseur d’un « espace temps corporel », mais aussi de reconfigurer des zones érogènes effacées et de redessiner les contours d’un Moi corps déformé par des traumatismes précoces. Le résultat de cette écoute ouverte à « la poiêtikê grecque, désignant la vertu de créer et de fabriquer », est une créativité qui laisse éclore un plaisir de co-pensée, associé à d’inévitables crises de vertige, favorisant l’accomplissement des véritables « actes de naissance en analyse ». Le potentiel créateur de l’analyse peut désormais se révéler puisque « l’analyste se fait luimême matière à transformer dans le transfert » (p. 135).

L’auteure convoque des auteurs comme Winnicott, Pontalis, Tustin, Haag, Searles ou McDougall, mais aussi Merleau-Ponty, Levinas et Michaux. Et la capacité d’innovation, qui traverse jusqu’au bout cet ouvrage, se reflète à la fois dans la théorisation et dans la posture clinique de son auteure, l’amenant à élaborer de nouveaux concepts. Se séparant radicalement de la conception déficitaire du symptôme et du stad-isme normatif qui hantent une certaine littérature psychanalytique, elle oriente son écoute vers les processus créateurs sousjacents aux manifestations insolites chez ses patientes. Ce qui n’est point anodin quant à la qualité du travail thérapeutique. La prérogative octroyée à l’énigme exubérante du symptôme en quête d’une nouvelle adresse et la confiance donnée à l’incroyable plasticité du Moi corps conduisent à des devenirs transférentiels insoupçonnables, contrairement à une approche qui figerait le sujet souffrant dans une « structure » ou un « état » supposés immuables. C’est pourquoi Sylvie Le Poulichet évite de se précipiter dans des diagnostics qui contrediraient la processualité et les mutations dynamiques ici envisagées, préférant évoquer l’« impersonnalité » de ses analysantes, transférentiellement maniable, qui « résulte d’une mise en suspens de l’organisation psychique et corporelle » (p. 7).

Que se passe-t-il lorsque la rupture d’un lien précoce arrache le sujet à son inscription spatio-temporelle ? Entre autres, l’auteure explore à travers les différents chapitres la notion du « mythe personnel de la naissance », « le fantasme de gestation simultanée entre mère et fille », « l’identification au lien sexuel entre les parents », des phénomènes de « désarticulation des zones érogènes », des compulsions qui « fabriquent une contenance et mettent en scène du tiers », des phobies qui tentent de « fermer le corps » et des craintes de « chuter à l’intérieur de son propre corps ». Sylvie Le Poulichet questionne alors la manière dont « les événements corporels transférentiels » amènent à reprendre corps et origine. Le fait que l’analyse livrée en clôture de l’ouvrage est celle d’une adolescente n’est pas dépourvu de signification. L’émergence des « enveloppes sensorielles paradoxales » et des « théories fantastiques de l’adolescence » à tonalité délirante, qui témoignent de l’inventivité foisonnante du symptôme, constitue sans doute une métaphore de la créativité analytique dont témoigne toutes les pages du livre. La néogenèse du « je » corporel à la puberté ferait ainsi écho aux nouveaux « actes de naissance en analyse », puisque, en de nombreuses cures, il s’agit de « continuer de venir au monde par la construction de passages pour le Moi corps » (p. 9).