Jean-Michel Petot. Mélanie Klein

Flagey, Danielle

1982-10-01

Notes de lecture

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Les grands bouillonnements créateurs respectent rarement les bonnes manières épistémologiques.
On peut comprendre les réticences provoquées par l'oeuvre de Mélanie Klein au sein d'une première génération d'analystes trop occupés à baliser le champ d'exploration ouvert par Freud à l'aide d'une métapsychologie toute neuve.

Mélanie Klein bousculait la topique, malmenait la terminologie et son génie interprétatif pouvait laisser sceptique des lecteurs formés à la rationalité française, peu familiarisés de surcroît avec la clinique du jeune enfant.

Ces discussions passionnées et passionnelles autour de son oeuvre ont suscité chez Mélanie Klein ce ton polémique souvent irritant qui a contribué à occulter la valeur de ses concepts. Or, comment se passer aujourd’hui de ses mises en forme des organisations défensives archaïques, des positions schizo-paranoïdes et dépressives ?
Tout analyste a recours à la notion de clivage de l'objet, d'identification projective ou de défense maniaque.
Cette lente assimilation des concepts kleiniens au fond commun de la pensée analytique a sans doute été possible au prix de l'abandon de quelques illusions.
Aujourd'hui, on ne se bat plus guère, chez les analystes, pour défendre un système. Nous savons bien qu'aucun auteur – même Freud – aucune construction théorique ne peut rendre compte complètement des variétés de fonctionnement du psychisme humain. La multiplicité des discours analytiques ne s'articule pas en un tout cohérent. Nous voilà libres de jouer sur plusieurs modèles conceptuels selon la clinique qui nous occupe ; libres aussi d'apprécier plus sereinement l'apport de l'oeuvre kleinienne à la connaissance de la réalité psychique sans avoir à prendre parti dans une guerre de religion.

Il n'en restait pas moins un immense travail de mise en ordre pour dégager les lignes de force de cette oeuvre touffue. La remarquable exégèse de Jean-Michel Petot vient donc à son heure pour nous aider à situer Mélanie Klein et à lui accorder la place qui lui revient.

Nous disposions déjà de l'excellente «Introduction à l'oeuvre de Mélanie Klein» de Hanna Segal (traduite en français en 1964). Les concepts originaux de Mélanie Klein s’y trouvent bien définis. Mais l'originalité de l'étude de J.M. Petot est de nous montrer de façon très complète l’évolution d'une pensée.

Il nous fait voir Mélanie Klein en mouvement et dégage les étapes de sa démarche théorique.
Il définit un premier système «proto-kleinien», théorisation de l’inhibition et de la sublimation dans le droit fil des formulations freudiennes sur la libido, l'oedipe, le refoulement. Ensuite, Mélanie Klein cherche à confirmer les théories génétiques d'Abraham en illustrant par l'exploration des fantasmes du jeune enfant les conceptions de son maître sur les phases pré-génitales du développement de la libido.
J.M. Petot nous montre comment elle finit par faire éclater le cadre de référence génétique des «stades» libidinaux pour aboutir à une dialectique des «positions» schizo-paranoïde et dépressive.

Tous les concepts créés ou remaniés par Mélanie Klein sont minutieusement définis, situés dans leur évolution dans la pensée de l'auteur et remis en parallèle avec la théorie freudienne.
Le chapitre consacré à la comparaison des systèmes théoriques freudien et kleinien nous a paru particulièrement fécond.
L'exégèse de la notion de clivage nous paraît un exemple remarquable permettant la mise en évidence d'une conception originale du développement psychique : clivage dichotomique, organisateur et clivage morcelant, destructeur, ne sont qu'un cas particulier d'une dialectique entre facteurs structurants et déstructurants à l'oeuvre depuis le début de la vie.
A chaque moment, nous voyons se créer des formes d'équilibre, plus ou moins stables ou labiles, qui peuvent dessiner une infinité de figures. Nous sommes loin d'une ligne type de développement (l'échelle d'Abraham qui a eu la fortune que l'on sait) le long de laquelle chacun cheminerait avec ses pannes et ses retours en arrière. Nous avons affaire ici à un schéma infiniment plus complexe mais combien plus proche de la diversité humaine, un parcours à bifurcations multiples, avec impasses, voies de garage ou longs détours vers une infinité de possibles.

J.M. Petot consacre un chapitre passionnant à la mise en regard des hypothèses kleiniennes sur les premières relations d'objet et les études expérimentales les plus modernes sur la perception du nourrisson. Certaines de ces études reprennent en les développant les vues de Piaget sur la coordination des premiers schèmes perceptifs.
L'auteur nous montre la compatibilité remarquable entre les mises en forme kleiniennes du vécu subjectif de l'enfant et les données issues de ces travaux.
Les aspects les plus contestés, les plus critiques pour leur «irréalisme» de l'oeuvre de Mélanie Klein se trouvent ainsi confortés par les travaux les plus objectivistes. Ce n'est pas un des moindre mérite de J.M. Petot de nous l'avoir montré.

Nous retrouvons avec J.M. Petot une oeuvre kleinienne décantée, dépassionnalisée, ordonnée, indispensable, géniale.