Notes de lecture

Vaneck, Léon

1995-04-01

Notes de lecture

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Pour la vaste question du Surmoi, le Comité de Rédaction des Monographies a estimé indispensable d'y consacrer deux volumes.

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Surmoi I aborde le concept freudien et la règle fondamentale. C'est Jean-Luc Donnet, seul, qui parcourt l'itinéraire de Freud en développant longuement une première partie: "Ambiguïté du Surmoi freudien".

Dans un premier chapitre, Jean-Luc Donnet reprend la 31ème Nouvelle Conférence de Freud. "La décomposition de la personnalité psychique". Jean-Luc Donnet commente, après 1920, la 2ème topique avec l'accès au Moi et la différenciation Moi-Surmoi, l'analyse du Moi, ainsi que l'extrémité opposée de l'appareil psychique, le Ça. Il se penche sur différentes perspectives du Surmoi : structure acquise comme "héritier" avec l'étude de l'identification et de sa réussite, ensuite le Surmoi, héritier du complexe d'Oedipe, et le Surmoi porteur de la fonction de l'idéal. L'auteur reprend les conditions et sources du Surmoi, toujours dans la perspective freudienne, pour évoquer par après, en psychanalyse appliquée, la psychanalyse des masses et le Surmoi transsubjectif et transgénérationnel, point de vue que j'ai personnellement relu ici avec beaucoup d'intérêt.

Le second chapitre commente la 32ème Nouvelle conférence sur "Les pulsions du Surmoi", avec, bien évidemment, toute la question de la cruauté du Surmoi, et ses rapports avec la pulsion de mort, le besoin de punition, la réaction thérapeutique négative etc… C'est le grand revirement de la métapsychologie freudienne d'après 1920 et de ses enjeux spéculatifs ultimes, pour reprendre les propos de J.L. Donnet, dont il est question dans ce chapitre, ce qui rejoint les récents propos de R. Roussillon lors de ses dernières conférences de décembre 1995 à la Société Belge de Psychanalyse et à l'A.P.P.Psy.

Poursuivant l'itinéraire freudien auquel il nous a conviés, J.L. Donnet reprend, dans "Malaise dans la civilisation", les deux sources de l'agressivité du Surmoi (ch. 3) ; puis, à partir de "Le Moi et le Ça" il commente le Surmoi en tant qu'Oedipien-postoedipien : l'organisation phallique et la menace de castration, le complexe d'Oedipe, bisexualité et disposition triangulaire et enfin le Surmoi postoedipien et la question des deux identifications accordées de quelque façon l'une à l'autre (ch. 4).

Un très intéressant chapitre, le 5, est consacré aux embarras de Freud quant au Surmoi, qu'il va dès lors laisser "en chantier". Le premier embarras, et non le moindre, concerne la double exigence d'une ontogenèse du Surmoi et d'une référence structurale, ce qui soulève du même coup la question des identifications, postoedipiennes secondaires et primaires. Un autre embarras, nous montre J.L. Donnet, provient de l'hiatus d'écriture chez Freud entre la théorisation du Surmoi et la problématique de la castration. J.L. Donnet terminera sa lecture de Freud en se référant à "L'humour", écrit en 1927. Cet article, bref et saisissant, dit-il, propose un aperçu profond sur la fonctionnalité la plus subtile du Surmoi, en même temps qu'il illustre, discrètement, un embarras crucial de Freud, qui tient au fait, selon J.L. Donnet, que l'humour contient, résume et exacerbe en son microcosme, toutes les ambiguïtés que Freud a rencontrées dans l'articulation du concept et que J.L. Donnet analyse avec pertinence. Bref, Freud désigne une "incertitude essentielle sur l'"essence" du Surmoi".

Dans une deuxième partie, "La règle fondamentale et le Surmoi", plus brève mais combien pertinente, J.L. Donnet commente les trois temps de la règle : celui de son émergence, le premier, puis le second qui est logique autant qu'historique, enfin le troisième qui part du constat qu'en offrant la règle comme support d'une fonction tierce, l'analyste s'expose inéluctablement à l'interprétation du besoin qu'elle manifeste. Et il s'en explique très clairement.

Ce faisant, il en arrive à considérer que ce troisième temps pose que son destin transférentiel est à la fois inéluctable et imprévisible, ce qui nécessite de nous intéresser sur la fonction pratique de son énonciation par l'analyste, exemple de Freud à l'appui. Ainsi se dégagent les rapports entre la règle fondamentale et l'analyse du Surmoi, que J.L. Donnet développe remarquablement, à travers, notamment la sémantique des énoncés. Résumant le problème posé par la fonction de la différenciation Moi-Surmoi en faisant valoir que la règle fondamentale est nécessairement et d'emblée porteuse d'une double logique à l'oeuvre dans la contribution que la dite règle apporte à la surmoïsation-désurmoïsation de la situation analytique, J.L. Donnet en arrive à des conclusions où il revient aux trois "temps" de la Règle : celui de la répudiation hypnotique, le premier. Le second temps correspond alors à la reconnaissance de ce que la situation analytique et son cadre n'exorcisent pas la suggestion, mais permettent d'en présentifier les enjeux et d'analyser le transfert qui en est le ressort. Enfin, le troisième temps correspondrait, poursuit J.L. Donnet, à la saisie de ce qui rend concrètement tenable le pari analytique : comment la règle assure-t-elle sa fonction d'organisateur diachronique, en convoquant, d'emblée de jeu, le registre surmoïque de la prescription-permission, ce en quoi la règle donne une base – un gage – au transfert : le transfert de base.

La "proposition" de la règle ouvre ainsi une perspective qui s'organise autour de deux enjeux essentiels : le premier, temporel, le second, topique, où l'analyse par le Moi conduit à l'analyse du Moi, cet exercice impliquant, à certains égards, le régime d'une pensée dénégatoire (cfr la Négation) ; au-delà de celle-ci on vise une modalité de conviction beaucoup plus proche de "l'expérience", de l'éprouvé, de l'affirmation primaire, souvent au décours d'une "inquiétante étrangeté" qui annonce chez Freud, l'au delà du principe du plaisir. La règle fondamentale est donc paradoxale : elle permet ce qu'elle ne peut empêcher et prescrit ce qui met en crise sa prescription. Ce risque de la règle ne doit être pris qu'à bon escient : il a comme corrélation l'étayage sur le cadre et l'engagement d'interpréter. Et nous retrouvons R. Roussillon.

Quel beau travail de réflexion et d'élaboration de la métapsychologie et de la technique psychanalytique, remarquablement complété par une bibliographie freudienne sans faille !

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Le second tome, Surmoi Il, est consacré aux développements postfreudiens et se développe selon trois axes :

– "Surmoi, Moi idéal et Idéal du Moi", avec des articles de E. Jones, D. Lagache et J. Chasseguet-Smirgel.

– "Complexité du Surmoi chez les autres postfreudiens". J. Begoin y aborde le Surmoi dans la théorie kleinienne et postkleinienne ; B. Penot commente l'instance du Surmoi dans les "Ecrits" de J. Lacan, tandis qu'A. Frejaville étudie le Surmoi dans les textes psychanalytiques anglais et américains.

– "Inscription du Surmoi dans la vie du sujet". S. Lebovici livre quelques réflexions sur la genèse et l'évolution du Surmoi, G. Diatkine nous parle des psychopathes et de leur Surmoi, J. Cosnier du Surmoi de la femme.

C'est M. Vincent qui présente, pour terminer, une bibliographie très fouillée de plus de dix pages.

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Je pense que ces deux tomes des Monographies de la Revue Française de Psychanalyse constituent une très précieuse mise au point historique et actuelle d'une notion métapsychologique tout à fait fondamentale et constituent incontestablement une pièce maîtresse de ces remarquables Monographies.