Notes de lectures

De Rijck, Arsène

1985-04-01

Notes de lecture

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La Nouvelle Revue de Psychanalyse n'a sans doute plus besoin d'être présentée ; cependant, à l'occasion de cette présentation de quatre numéros récents et de la préface de J.B. Pontalis au trentième numéro, il n'est pas inutile de jeter un regard en arrière.

La Nouvelle Revue de Psychanalyse a été fondée en 1970 par quelques analystes bien connus qui font partie de l'Association Psychanalytique de France (e.a. J. B. Pontalis, D. Anzieu, F. Gantheret, G. Rosolato, V. Smirnoff). Mais dès le début, la rédaction a voulu marquer son indépendance à l'égard de n'importe quelle association ; c'est ainsi qu'elle s'est adjoint la collaboration de A. Green et de Masud Kahn. Comme leur souci est d'éviter de s'enfermer dans un cadre de pensée trop strictement analytique, ils ont sollicité des contributions venues d'autres horizons, comme celles de philosophes, d’éthologues ou d'historiens.

Autre moyen de sortir d'un savoir tout tracé : la proposition d'un thème à chaque numéro, inspiré des mots du langage courant. Par exemple, le numéro 13 "Narcisses" pour narcissisme, le n° 19 "L'enfant" pour la névrose infantile, le n° 29 "La Chose sexuelle" pour la sexualité. La polysémie de ces mots facilite la mise en lumière des différents aspects du thème et aide à éviter les explications classiques.

Enfin la rédaction envoie un "argument" aux collaborateurs sollicités qui leur serve de synthèse d'un premier "brain-storming", effectué par les rédacteurs, espérant ainsi éviter les redites et faire jaillir des idées nouvelles, des connexions inédites, un peu à la manière d'un processus analytique en cours.

L'impression est celle d'une unité certaine dans la diversité. Le thème est développé dans toutes ses nuances et rend compte de l'état actuel de la question. Et ce qui ne gâche rien, on sent la préoccupation constante de ne pas tomber dans le piège de la répétition stérile. Il se dégage de ces textes une impression de fraîcheur et d'originalité. On est parfois saisi, en cours de lecture, par une perspective nouvelle, par de l'inattendu, ce qui compense largement l'impression parfois rébarbative que certains textes, un peu trop philosophiques ou littéraires, pourraient laisser chez des analystes plus cliniciens.

Faute de pouvoir présenter le contenu de ces quatre numéros, je me bornerai à dégager quelques lignes de force et en extraire les perspectives nouvelles qui m'ont frappé.

"Liens" (n° 28) reprend le thème de la "Bindung" (Freud), lien à l'objet certes, mais aussi liaison de l'énergie et liaison des représentations entre elles.

On peut considérer le lien transférentiel comme le paradigme de tout lien, de sa permanence comme de sa dissolution progressive ou de sa rupture violente. Ce lien témoigne aussi de toutes les qualités et nuances que les liens peuvent revêtir : amour, amitié, sympathie, antipathie… et bien sûr la question se pose pour chaque analyste de ses liens avec ses patients et l'analyse.

L'approfondissement du thème révèle pas mal de contradictions. Ainsi, l'opposition entre la pulsion à la recherche d'un objet qui lui donne pleine satisfaction et qui ne peut jamais être totalement adéquat et, d'autre part, l'existence d'une relation d'objet relativement stable et constante. La clé de la solution viendrait des exigences du narcissisme : un objet stable serait un objet qui, comme le Moi, s'offre comme une totalité. S'il est toujours vrai que la liaison à un objet est l'effet de l'Eros, il apparaît que s'accrocher à lui signifie une certaine dénégation de ses désirs. En outre, la liaison des représentations fixe le fantasme et sa répétition, ce qui alimenterait la pulsion de mort.

"La chose sexuelle" (n° 29) pose la question : "Que pensent les analystes d’aujourd'hui de la théorie de Freud du primat de la sexualité ?". Toute une série de données cliniques, théoriques et sociales, culturelles ou scientifiques, nous invitent à rouvrir le débat. Nous sommes amenés à repenser la théorie à partir des divers éléments qui la constituent : le déterminisme de certaines maladies d'origine sexuelle, le rôle des moeurs du temps, la fonction civilisatrice de la sexualité en tant que liée à l'interdit (sublimation).

Dans toute une série de troubles (troubles de caractère, névroses narcissiques, cas limites, affections psychosomatiques, personnalités "as if", certaines dépressions), l'accent est davantage mis sur des problèmes plus fondamentaux concernant l'identité, la constitution et les limites du Moi ainsi que sur des modalités d'angoisse plus archaïques que celles liées au conflit oedipien et même préoedipien. De même, certains tableaux cliniques bien établis, comme la névrose obsessionnelle ou la perversion, sont moins situés comme un conflit entre les pulsions sexuelles et les exigences du Surmoi que comme une couverture d'un noyau psychotique et une protection à l'égard de la persécution. L'hypersexualisation de l'hystérie serait elle-même défensive, et la solution sexuelle recherchée un masque.

Dans l'évolution des conceptions de Freud, on voit qu'il accorde de plus en plus d'importance à la destruction et surtout à l'autodestruction. Certaines idées en germe se trouvent plus clairement exprimées par ses successeurs, et notamment que la sexualité n'est pas nécessairement un des pôles du conflit, ou encore que le démoniaque dans l'homme se situe du côté des forces de répétition et de mort.

La plupart des post-freudiens vont dans le sens de cette restriction du rôle de la sexualité. Mélanie Klein, malgré la grande importance qu'elle continue à accorder à l'Oedipe, fait des pulsions de destruction le point de gravité de son oeuvre. Fairbairn affirme que la libido recherche moins le plaisir que l'objet et Winnicott a minimisé l'importance de la sexualité infantile : il s'agit d'abord "d'être", "First being !". Kohut a attaché beaucoup d'importance au narcissisme et décrit une ligne de développement, indépendante du développement sexuel. Lacan, plus réservé à cet égard, a tout de même subordonné la sexualité à la suprématie du signifiant.

Enfin il y a les facteurs sociaux (culturels ou scientifi¬ques), qui ont changé les modalités et le statut de la sexualité dans notre société. La plus grande permissivité à l'égard de la sexualité, ne conduit-elle pas à rechercher, en dehors d'elle, la rencontre avec un interdit ? On peut penser à l'usage de la drogue, au recours à la violence. Le conflit vie-mort se substituerait ainsi au conflit sexuel. Il se dessine de plus en plus un idéal d'une sexualité sans conflit, ni avec ses objets, ni avec elle-même. Les coups portés par la biologie à certaines lois de la nature (sexualité séparée de la reproduction), conduit à accréditer certains fantasmes, tels la parthénogenèse. Comment évaluer alors ce que de tels changements sociaux ont pu faire bouger en profondeur ?

"Destin" (n° 30) peut étonner par son titre. Pourtant cette notion est profondément enracinée dans la pensée psychanalytique. Freud parle du destin à propos des pulsions ("Triebschicksale") et de l'enracinement biologique, notamment le "roc" de la différence des sexes ("l'anatomie c'est le destin"). Cliniquement il y a le retour accablant du Même et la répétition à laquelle on ne peut se dérober. Topiquement le destin est une formation surmoique.

Comment cette notion de destin se fait-elle jour dans la pensée psychanalytique actuelle ? Avant, c'était le caractère qui constituait le destin de quelqu'un. Aujourd'hui on parle plutôt de structure. On peut changer le caractère mais peut-on changer la structure ?

Le "Daimon" intérieur (statut surmoïque du destin) ne se fait-il pas jour dans certaines structures inaccessibles, comme par exemple le "fantôme" de N. Abraham et M. Torok ?

L'idée de destin ne se fait-elle pas sentir lourdement dans tout un champ de la psychopathologie, qui échappe largement à la psychanalyse, c'est-à-dire la délinquance, la psychopathie et la toxicomanie ?

Même chez les lacaniens, on retrouve les traces d'un destin implacable puisqu'on met l'accent sur "l'assujettissement", sur l'illusion de toute liberté du sujet (qui est plus parlé qu'il ne parle), sur l'implacable consistance de la "chaîne" des signifiants et enfin sur l'irréversibilité de la forclusion.

Si le destin est lié à la répétition, quelle est la possibilité du "nouveau" en psychanalyse et quelles sont les conditions de son émergence, une création pareille n'étant pas nécessairement appelée par l’état antérieur du système ?

"Les Actes" (n° 31) s'occupe d'un sujet dont il est fort question aujourd'hui. On commence à se rendre compte que les actes ont été mal jugés dans le passé dans bon nombre de cas. Dès qu'un acte surgissait dans la cure, on pensait à un défaut d'interprétation de la part de l'analyste ou à une élaboration insuffisante de la part de l'analysé. On agissait souvent, affirmait-on, pour ne pas penser, on court-circuitait la représentation pour couper une énonciation qui risquait d'ébranler le Moi. Depuis on a appris à nuancer ce genre d'affirmation…

Il y a lieu de ne pas trop accentuer l'opposition entre la représentation et la parole d'une part, l'acte et la décharge motrice d'autre part.

Les paroles ne sont pas seulement porteuses de sens, mais elles cherchent également à produire un effet et obtenir un résultat. "Dire c'est faire".

Qui ne connaît ces analyses sans fin où le patient passe tou¬jours par le même trajet de représentations et leurs connexions et se refuse à toute épreuve de réalité qui passe nécessairement par l'acte ? Des réalisations, des choix, des décisions donnent la preuve de l'efficacité de l'analyse. Enfin, pas d'analyse sans transfert et le transfert est défini par Freud comme une modalité de "l'Agieren", parce qu'il actualise le passé.

Il y a donc en psychanalyse une ambiguïté, attachée à l'acte et qu'on essaie de résoudre en distinguant "l'action" et "l’agir". L'action serait plus branchée sur la réalité, tandis que l'agir ne serait que répétition stérile et déréelle. Il reste cependant souvent difficile de dire si une décision, prise par un patient, représente un progrès réel et témoigne d'une levée d'inhibition, ou si elle vient comme écraser un besoin naissant.

Il reste beaucoup à dire sur l'actualité clinique de l'acte. Dans beaucoup de tableaux cliniques actuels, c'est moins le couple désir-refoulement (avec dramatisation et symbolisation) qui joue, qu'un "irreprésentable" accompagné d'inhibitions généralisées ou d'agir répété. Pensons aux psychoses et aux états limites.

D'autres questions ont trait à la clinique psychopathologique, par exemple : quel est le statut de l'acte dans la perversion, comment envisager les pathologies de l'acte (délinquance, toxicomanie, psychopathie) ? Que penser des pathologies du non-agir, qui tendent à se développer et à être socialement renforcées, telles l'adolescence prolongée, les inhibitions multiples.

Enfin, dans les cas limites ou dans les moments "limites" de chaque analyse, se manifeste un besoin d'autre chose que de mots, notamment un besoin d'acte ou de jeu (au sens de Winnicott), sorte de moyen terme en acte et symbolisation. Il s'agit là d'un besoin d'éprouver (quand il n'y a rien à remémorer) et que ressentir et élaborer est aussitôt ruiné par des attaques contre le cadre et contre le lien.

Voilà quelques idées maîtresses de ces quatre derniers numéros de la "Nouvelle Revue de Psychanalyse" qui ont le don de stimuler chez le lecteur sa propre pensée et sa recherche personnelle et méritent l'attention de tous ceux qui s'intéressent aux nouveaux développements dans la psychanalyse.