Notes de lectures

Delahaye, Baudouin

1984-10-01

Notes de lecture

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Décidément, il se passe quelque chose concernant la psychanalyse. Un léger frémissement est en train de s'opérer dans les mouvements psychanalytiques qui s'interrogent sur la méthodologie et les processus propres de la théorie psychanalytique. Est-ce le choc de "l'effet centenaire" de la psychanalyse, si l'on admet qu'elle est issue de l'après-coup dans la pensée de Freud de la cure de ramonage (talking cure) que mena en 1880-1882 Breuer avec Anna O. ? Est-ce l'effet de désillusion qui a saisi de nombreux psychanalystes ou la conséquence de la désaffection de nombreux candidats analystes et candidats analysés ? Est-ce l'effet en retour après la mort de Lacan qui avait envahi toute la scène au point de la figer ? Est-ce l'arrivée en force des sciences fondamentales et tout particulièrement de la biologie (je pense particulièrement à Atlan) dans les champs de la conscience qui pousse la psychanalyse à reformuler l'enceinte épistémologique dans laquelle elle se mouvait, quelque peu hautaine et dédaigneuse jusqu'à présent ? Ce livre est très certainement un effet de ce frémissement. L'article provoquant de F. Roustang (Sur l'épistémologie de la psychanalyse) constitue un aiguillon pour la pensée. Si l'inconscient, cet objet précieux de la psychanalyse, n'était qu'une fiction, un mythe, peut-être pourrions-nous repenser notre pratique moins en fonction d'un dogme que d'une réalité inconnaissable que nous avons à affronter avec imagination. Provocation pour nous peut-être, mais certes pas pour Freud qui n'a cessé d'affirmer que l'inconscient n'était qu'une hypothèse (1915e) et d'insister sur l'aspect provisoire de cette hypothèse. A nous tenir strictement à ce que Freud a écrit, la littérature psychanalytique n'est qu'une immense mythologie. Wittgenstein ne s'y est pas trompé d'ailleurs. Ce qui amène Roustang à écrire : "Etablir la logique de l'inconscient ou dégager les formations de l'inconscient, est une opération semblable à celle qui voudrait décrire les dieux et les connaître". En somme, cela reviendrait à s'interroger sur le statut de la théorie en psychanalyse et c'est peut-être justement cette interrogation là qui peut donner "à la pratique analytique l'espace libre dont elle a le plus urgent besoin". Et Freud, déjà, avait insisté sur l'importance d'un espace du "fantasieren" dans toute théorisation.

Dans le même esprit, Jeanne Favret-Saada (auteur d'un merveilleux livre sur la sorcellerie contemporaine dans le bocage normand : Les mots, la mort, les sorts, paru chez Gallimard en 1977 et plus récemment en Folio-Essais) et Josée Contreras vont introduire par le biais ethnologique (L'embrayeur de violence) une réflexion sur la relation "thérapeutique" : la sorcellerie, c'est de la parole, mais une parole qui est pouvoir et non savoir ou information. Alors, la psychanalyse ne serait-elle qu'une forme de sorcellerie édifiée en théorie, en savoir ? Les ethnologues vont-ils nous faire douter du statut de scientifi¬cité que nous avons si péniblement adjoint à nos plus belles théories ? Cette perte serait-elle si déchirante ? En tout cas, la description d'une cure de désorcèlement ne peut que laisser le psychanalyste rêveur…

Le travail de J. Hochmann (La paranoïa revisitée), bien connu pour son livre : Pour une psychiatrie communautaire (Seuil, 1971), traite des rapports ambigus qu'entretiennent la psychanalyse et la psychiatrie concernant la psychose et plus particulièrement la paranoïa. En l'illustrant par des cas cliniques surprenants, il montre combien la théorie analytique peut prendre une place dans la pratique psychiatrique : "La théorie, c'est ce qui renforce le cadre et fait rempart contre la confusion".

Relevons, enfin, deux petits essais d'Octave Mannoni, l’un sur La désidentification, l'autre sur Le rire, documents de travail plutôt qu'essais, livrés à nos appétences pour y associer librement.

Ce livre se lit dans l'ensemble avec un certain plaisir, mais surtout, il nous pousse à une réflexion sur les rapports entre la théorie et la pratique analytique. Le titre, cependant, Le Moi et l'Autre m'a laissé quelque peu perplexe, mais c'est vrai que la psychanalyse traite nécessairement du moi et de l'autre…