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20/09/2017: Les mille et une facettes de l’identification

20.09.2017

Depuis son introduction en 1896, le concept d’identification qui a subi de nombreux développements, reste et s’impose comme un concept psychanalytique central.

Si Freud aborde les processus identificatoires essentiellement du côté de l’intrapsychique, Marie France Dispaux se propose dans cet exposé introductif, d’aborder la pensée d’autres analystes (M. Klein, Bion,) qui eux mettront en évidence le rôle fondamental de l’objet: devenir soi implique d’en passer par l’autre, un autre comme objet identificatoire réfléchissant, au risque de ne plus être soi.

Les exposés de cette année vont donc illustrer la variété et la complexité des mécanismes identificatoires, au regard de différents courants de pensée.

Nous commençons par la projection d’un extrait du film de Woody Allen, Zelig (1983); véritable homme caméléon, il capable d’endosser toutes les apparences pour se faire apprécier, et invite le spectateur à la réflexion suivante: comment ne pas se conformer à l’image qu’autrui a de nous?

A propos de l’identification

L’identification est une notion difficilement cernable qui “travaille en silence”, nous dira Freud, et dont les approches ont été multiples. De Mijolla a en effet répertorié plus de 60 qualificatifs pour définir l’identification: primaire, secondaire, adhésive, en abime, etc.

Reprenant le dictionnaire, Marie France Dispaux souligne les deux principes opposés qui sont présents dans l’identification: le principe de similitude et le principe de distinction. Ceux-ci se retrouvent dans les trois formes du verbe identifier: forme active (identifier quelqu’un), passive (être identifié par), forme réfléchie (s’identifier à).

Dans le dictionnaire de la psychanalyse (Laplanche et Pontalis), s’identifier est à la fois devenir comme, prendre en soi un peu de l’autre, et en même temps devenir soi.

Marie France Dispaux se propose de choisir le caractère contradictoire du processus identificatoire comme fil rouge à son parcours; une recherche de ce qui serait du côté des “bonnes identifications”, celles qui enrichissent la personnalité, et ce qui serait du côté des “mauvaises identifications”, celles qui appauvrissent, qui empiètent.

Marie France Dispaux commence par brosser un tableau des différents modes d’identification chez Freud.

• 1900: premier modèle: l’identification hystérique. Il s’agit d’un processus d’appropriation

inconscient, à l’oeuvre dans les rêves, mais aussi lié à la construction du moi .

• 1909: deuxième modèle: l’identification narcissique. Dans “un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci”, la première théorie du narcissisme apparait, liée à un double mouvement identificatoire; Freud y décrit le processus d’homosexualité primaire, la première identification à la mère, chez les deux sexes

Dans “Totem et Tabou”, l’identification va s’étayer sur l’incorporation orale de type cannibalique, apparaissant comme une forme archaïque de deuil.

• 1920: avec la deuxième topique, distinction entre 
- l’identification primaire: forme la plus originaire et archaïque du lien affectif à l’objet avant la différenciation moi/non moi.
- l’identification secondaire: héritière du complexe d’Oedipe, quand les investissements sur les parents sont peu à peu abandonnés et remplacés par des identifications.

Marie France Dispaux précise la distinction (pas toujours nette chez Freud) entre l’identification et d’autres processus proches comme l’incorporation ou l’introjection.

• L’incorporation recouvre trois processus: se donner du plaisir en faisant pénétrer un objet en soi, le détruire, et assimiler ses qualités en le conservant au-dedans de soi. Ce dernier aspect fait de l’incorporation la matrice de l’identification.

• L’introjection: processus décrit par Ferenczi, par lequel le sujet fait passer sur un mode fantasmatique du dehors au dedans des objets ou des qualités de l’objet. “Tout amour objectal chez le sujet normal comme chez le sujet névrosé est un élargissement du moi, une introjection”. Freud reprendra l’introjection dans “Pulsions et destins des pulsions”, l’opposant à la projection, mais sans prendre la visée de croissance du processus soulignée par Ferenczi.

La différence bonnes/mauvaises identifications ne sera pas abordée explicitement par Freud, néanmoins dans ses textes sur le narcissisme, il montrera à quel point l’identification narcissique est un processus massif et économiquement plus rigide. 

S. Ferenczi

L’identification à l’agresseur. Face au traumatisme, la peur ressentie par l’enfant l’oblige à se soumettre à la volonté de l’agresseur, à deviner ses moindres désirs, à s’identifier à lui.

L’enfant en sort dans la confusion et clivé.

M. Klein va mettre en évidence l’identification projective et introjective.

L’identification projective se fonde sur l’intrusion dans l’objet de parties du soi, nous rappelle Marie France Dispaux. Tout d’abord présenté comme mécanisme de défense où il s’agit de projeter les mauvaises parties du soi, Mélanie Klein va dégager la possibilité d’identification projective des bonnes parties du soi, permettant ainsi au nourrisson de développer de bonnes relations à la mère et d’intégrer son moi.

Identification projective des bonnes parties du soi et introjection du bon objet se retrouvent comme deux processus contemporains de la même fonction d’intégration. 
Dans l’identification projective des mauvaises parties du soi, celles-ci devront rester clivées, projetées dans l’objet, plutôt là comme un refus d’identification. 
Pour M. Klein, l’identification introjective est au coeur de la position dépressive et est proche de l’identification secondaire chez Freud.

P. Luquet (rapport des Romanes 1961) met en opposition deux processus identificatoires:

• L’identification imagoïque: processus d’incorporation contre l’absence de l’objet, mais provoquant une inclusion du mauvais objet qui demeure non assimilé. Le moi reste dépendant de cet objet.

• L’identification assimilatrice: si l’objet par contre est satisfaisant, il va se confondre avec le moi et viendra enrichir celui-ci, étayer son narcissisme et favoriser son indépendance.

Pour M. Abraham et M. Torok, poursuit Marie France Dispaux, l’incorporation correspond à un fantasme de non-introjection qui dispenserait du douloureux travail de deuil.

L’introjection est liée à des expériences de vide dans la bouche doublée d’une présence maternelle; ce vide, s’il n’est pas nourri de mots de la mère, sera vécu non comme un creux mais un vide sans fond et l’enfant aura alors recours au fantasme d’incorporation.

W. Bion reprendra ce rôle actif de la mère en parlant de “la capacité de rêverie de la mère”, lieu contenant et actif de transformation des identifications projectives du bébé.

Dans le cas contraire, si cette disponibilité n’est pas présente, l’identification projective s’intensifie et D.Meltzer parle “d’identification dans le claustrum”, fantasme omnipotent.

Piera Aulagnier va reprendre ces hypothèses en présentant la mère comme porte parole du corps et des affects de l’enfant, au sens d’une interprétation qui va donner sens à ceux-ci.

Mais, souligne-t-elle, pour que cette interprétation ait lieu, il est indispensable que le je de l’enfant soit d’emblée pensé comme non-identique au je de la mère; une fonction maternelle d’appropriation risquerait en effet de priver l’enfant de tout espace psychique propre.

Cl. Athanassiou (Aux sources de la vie psychique), à partir de son expérience avec les tout petits, nous confronte à un univers bi-dimensionnel avec l’identification adhésive, et unidimensionnel avec l’identification par agrippement, différents modes présents à des degrés divers dans les identifications narcissiques.

Face à la sensation de tomber dans le vide, le bébé va s’agripper à quelque chose de concret, objet inanimé ou sensation corporelle, qu’il pourra abandonner au retour de la mère.

Ce recours au “concret” renvoie, selon M. Abraham et M. Torok “à ce fantasme d’essence narcissique qui tend à transformer le monde plutôt qu’à porter atteinte à l’omnipotence du sujet”.

Marie France Dispaux fait alors un retour à Freud, et à la vision prévalente de la deuxième topique où le narcissisme serait un état d’autarcie. En 1914, dans “Pour introduire le narcissisme”, il semble tout prêt de découvrir le rôle de l’objet dans le passage de l’auto-érotisme au narcissisme, établissant la différenciation entre narcissisme de vie en lien avec l’objet, et narcissisme de mort tuant la présence de celui-ci.

Pour conclure, Marie France Dispaux évoque l’image d’une substance chez le bébé activement en quête de forme, qui va rencontrer un contenant actif lui aussi; forme qui, quand elle est suffisamment solide, va entamer le processus de différenciation.

Ainsi, termine t’elle “pour passer des identifications narcissiques aux identifications introjectives, il faut accepter le lâcher prise, de vivre un moment de creux, dans lequel coexistent le même et le différent, suspendu au dessus du filet patiemment tissé par le psychisme de la mère… ou de l’analyste”.

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Pinocchio, mensonges et liberté…

10.09.2017

La création lyrique de Philippe Boesmans, à l’affiche de LA MONNAIE ce mois de septembre, en collaboration avec Joël Pommerat qui en a réalisé l’adaptation théâtrale, donne une ampleur inégalée au conte original de Carlo Collodi (1881).

Un narrateur … Pinocchio adulte ? … qui a marché avant de voir … autant dire que d’emblée, on ne sait pas où on va, où nous portent nos mouvements ataxiques : la pulsion est aveugle, le monde est sans image.

Un homme, Gepetto, timide paraît-il, perdant l’arbre, voisin et interlocuteur privilégié, entreprend de faire naître, d’un reste du tronc foudroyé, un compagnon éternel pour son existence hallucinée : un pantin.

Un enfant carencé, fruit de la chair d’un arbre-mère et de la vision créatrice d’un sculpteur psychotique, grandit donc comme un pantin : dans les concordances et les discordances du monde de ses parents, entre règne végétal et aliénation humaine.

Mais il cherche, cet enfant, un ailleurs qu’il pressent, dans la face cachée des choses, hors la loi, forcément, puisque la loi des hommes exclut les végétaux, les aliénés et les pantins.

Le mensonge, mode mineur et pis-aller de la magie, est son arme, sa fierté, tout ce qui lui reste. Les fées n’existent pas, ce ne sont que ruses de maîtresses d’école et promesses mensongères. Car il dit vrai, cet enfant, sa richesse lui a été dérobée, la magie de l’arbre lui a été arrachée, il lui faut seulement la retrouver, c’est sa quête, quel qu’en soit le prix de souffrance mortelle, elle est la seule voie possible. Il ne va pas se laisser mener par le bout du nez.

Même si, découverte cruelle, la liberté animale est pareillement aliénée dans l’enfer des hommes, cet univers consumériste de marchandises et de poubelles auquel n’échappent pas davantage les créatures mythiques qui subsistent encore dans les grands fonds marins.

Pinocchio va-t-il abandonner, se résigner à partager pour toujours le claustrum paternel ?

Le mensonge a changé de nature, il n’est plus révolte contre la perte injuste de l’omnipotence, mais force vitale qui ne renonce pas, corps sensible qui s’étend, comprend, et parle. Parle, et parle encore. Le mensonge, c’est la puissance de la parole, qui, désarticulant la voix, libère l’enfant.

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Pinocchio, mensonges et liberté…

La création lyrique de Philippe Boesmans, à l’affiche de LA MONNAIE ce mois de septembre, en collaboration avec Joël Pommerat qui en a réalisé l’adaptation théâtrale, donne une ampleur inégalée au conte original de Carlo Collodi (1881).

Un narrateur … Pinocchio adulte ? … qui a marché avant de voir … autant dire que d’emblée, on ne sait pas où on va, où nous portent nos mouvements ataxiques : la pulsion est aveugle, le monde est sans image.

Un homme, Gepetto, timide paraît-il, perdant l’arbre, voisin et interlocuteur privilégié, entreprend de faire naître, d’un reste du tronc foudroyé, un compagnon éternel pour son existence hallucinée : un pantin.

Un enfant carencé, fruit de la chair d’un arbre-mère et de la vision créatrice d’un sculpteur psychotique, grandit donc comme un pantin : dans les concordances et les discordances du monde de ses parents, entre règne végétal et aliénation humaine.

Mais il cherche, cet enfant, un ailleurs qu’il pressent, dans la face cachée des choses, hors la loi, forcément, puisque la loi des hommes exclut les végétaux, les aliénés et les pantins.

Le mensonge, mode mineur et pis-aller de la magie, est son arme, sa fierté, tout ce qui lui reste. Les fées n’existent pas, ce ne sont que ruses de maîtresses d’école et promesses mensongères. Car il dit vrai, cet enfant, sa richesse lui a été dérobée, la magie de l’arbre lui a été arrachée, il lui faut seulement la retrouver, c’est sa quête, quel qu’en soit le prix de souffrance mortelle, elle est la seule voie possible. Il ne va pas se laisser mener par le bout du nez.

Même si, découverte cruelle, la liberté animale est pareillement aliénée dans l’enfer des hommes, cet univers consumériste de marchandises et de poubelles auquel n’échappent pas davantage les créatures mythiques qui subsistent encore dans les grands fonds marins.

Pinocchio va-t-il abandonner, se résigner à partager pour toujours le claustrum paternel ?

Le mensonge a changé de nature, il n’est plus révolte contre la perte injuste de l’omnipotence, mais force vitale qui ne renonce pas, corps sensible qui s’étend, comprend, et parle. Parle, et parle encore. Le mensonge, c’est la puissance de la parole, qui, désarticulant la voix, libère l’enfant.

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29/06/2017: Table ronde autour des défenses et de leur dynamique

29.06.2017

La sublimation et quelques mécanismes de défense chez M. Duras

Theresa SPADOTTO

Tout au long de cette année, les séminaires ont été abondamment illustrés par des supports médiatiques et culturels : textes et dessins de patients, extraits de film, extraits de romans ou témoignages. Ces productions sont à la fois les représentations de certains mécanismes de défense mais aussi, souligne Teresa Spadotto , l’expression d’un travail de sublimation des différents auteurs.

Il sera question ici de l’ aspect du concept de sublimation comme réalisation pulsionnelle, production. Dans un second temps, TS évoquera le travail de sublimation chez Marguerite Duras.

Qu’est-ce que la sublimation ?

Freud aura recours à cette notion tout au long de son œuvre. Au départ, elle est associée principalement à l’activité artistique et culturelle ; la pulsion est dérivée vers un but non sexuel, visant des objets socialement valorisés. Freud parle de travestissement pour « passer outre la censure », ou encore « d’enjolivement des contenus représentatifs » (in correspondance avec W Fliess).

En 1905, dans les « 3 Essais », Freud définit la sublimation comme la capacité d’échanger le but sexuel originel contre un autre but ; dans « Le Moi et le Ca », en 1923, il ajoute la modification de la nature de la pulsion, c’est-à-dire la désexualisation de celle-ci , ainsi que le changement d’objet. La sublimation recouvre alors un champ d’activité de plus en plus large, et inclut l’ensemble du travail de pensée.

Deux sens peuvent être dégagés :

• La sublimation comme travail de désexualisation de la pulsion sexuelle, qui conserve son objet mais change de but ; elle est ici garante du lien social.

• Le détournement de l’énergie des pulsions sexuelles dans un champ non sexuel, mais sans refoulement, et qui se porte alors sur un autre objet valorisé socialement. La sublimation est ici promotrice de culture, de civilisation.

La sublimation est l’un des destins les plus accomplis des pulsions partielles prégénitales, se constituant à partir de l’excès de celles-ci, non utilisées dans la vie sexuelle adulte.

La satisfaction directe ne pouvant avoir lieu, la libido d’objet va se transformer en une libido narcissique désexualisée. Mais cette « démixion pulsionnelle » laisse libre cours à la pulsion de mort, qui met alors le Moi en péril. Cette dimension désobjectalisante de la sublimation est alors génératrice d’angoisse et de culpabilité, toute créativité étant vécue comme une transgression (Mac Dougall). On peut faire l’hypothèse que cette pulsion de mort a pu être à l’origine du suicide de nombreux artistes (P. Levi, M. Rothko, etc.).

La sublimation est-elle un mécanisme de défense ?

Elle est bien une modalité de défense, qui oppose un barrage à la réalisation pulsionnelle directe, laquelle risque de déborder le Moi. Mais à la différence des mécanismes de défense, si l’interdit est dépassé, contourné, la pulsion est transformée pour produire autre chose.

Pour M. Klein, la sublimation ne porte pas uniquement sur la pulsion, mais implique d’emblée l’objet maternel et vise à sa réparation : la position dépressive est aux sources de la sublimation et de la créativité.

Pour d’autres analystes (de M’Uzan, Séchaud, De Mijolla), l’acte créateur concerne aussi la réparation du sujet lui-même, travail psychique de liaison, de transformation d’éléments traumatiques qui sont à l’origine du processus créateur.

Lorsque les expériences de satisfaction infantiles ont été suffisantes, dans un environnement « suffisamment bon » qui a pu transformer les traumatismes primaires, celles-ci pourront engendrer une représentation créatrice qui symbolisera l’absence.

Dans le cas contraire, il ne s’agit plus d’une perte de l’objet, mais d’une perte du Moi qui va constituer un trou psychique, un vide, chez le sujet. Les formes créatrices sont alors des tentatives d’élaboration de vécus sensoriels archaïques, à partir de restes. Chez l’écrivain, l’acte d’écrire est alors une exigence vitale face à « l’échec de sa propre capacité de rêverie face à la prolifération des images qui l’envahissent, le plongeant dans une situation traumatique » (de M’Uzan).

Bion parle du langage d’écriture comme « d’un instrument pour communiquer à autrui une expérience psychique impensée » ou, comme le dira S. Korff-Krauss, « les éléments beta qui émergent de la matrice du proto-mental et poussent à l’écriture. ».

TS nous parle ensuite de M. Duras. Elle décrit sa vie traversée de nombreux traumatismes, en premier lieu la relation d’aliénation et d’emprise maternelle, qui se retrouve au cœur de son œuvre.

Faisant référence aux deux livres autobiographiques que sont « l’Amant » et « La Douleur », TS nous montre les mécanismes de défense à l’œuvre dans l’écriture de M. Duras, tels que la crypte, le clivage et le déni.

A partir des vides au sein du texte, du blanc des affects, M. Duras laisse toute la place au trou, au manque, témoignant de l’absence de l’objet maternel et de son impossible rencontre. Ecriture contre le chaos interne,la souffrance, l’acte d’écriture comme survie, conclue T. Spadotto.

 

Les défenses autistiques chez les personnes souffrant d’addiction

Françoise LABBE

F. Labbé décrit ces défenses comme des ilots de fonctionnement archaïques ,enclavés dans la personnalité, et qui restent inaccessibles et inchangés ; ils ont été décrits en particulier par F. Tustin dans son ouvrage « les trous noirs de la psyché ».

Ces patients ont une conscience déchirante d’être corporellement séparés de leur mère, et éprouvent des angoisses de dissolution et de chute sans fin, sans ressentir aucune attention chaleureuse et porteuse.

A propos des pathologies addictives,F. Labbé cite M. Monjauze, qui décrit les tentatives de maîtrise d’expériences traumatiques par la répétition et la mise en acte. Le toxique serait utilisé répétitivement comme réactivateur d’une faille traumatique précoce et de défenses primitives contre celle-ci. Réponse qui court-circuite la pensée, tient la relation à l’écart, enjoint le sujet à une sorte de régression « animale ».

Chez l’alcoolique ou le toxicomane, l’objet d’addiction présente confusion et paradoxe : en effet, la réponse toxicomaniaque à l’angoisse psychique est une réponse du corps : l’objet alcoolique, surinvesti, n’a pas de représentation fantasmatique : sa présence est donc indispensable , et s’inscrit selon la fixité d’un pictogramme (P. Aulagnier). Comme dans l’autisme, l’absence est un trou que l’objet à la fois creuse et obture.

Le toxicomane cherche à revivre des stimulations indifférenciées, mêlant le corporel et l’émotionnel, analogues aux excitations précoces restées sans signification, et donc traumatiques.

La prise de toxique remet en jeu la pulsion de mort en même temps que l’autodestruction s’opère, la drogue donnant l’illusion d’en triompher.

F. Labbé reprend un certain nombre d’hypothèses concernant l’alcoolique, formulées par M. Monjauze :

– Angoisse de dessiccation liée au traumatisme de la naissance,

– Angoisses d’inanition suite à l’irrégularité des tétées,

– Réflexe de déglutition surinvesti, au détriment de l’oralité. Pas de corps érogène chez l’alcoolique.

– Angoisses de chute liées à une insécurité du holding (Winnicott), avec comportements d’agrippement.

– L’alcool fonctionne comme un rempart pour créer un Soi enfin protégé du Non-Soi sur le modèle de l’enclavement autistique, réalisant une hallucination négative dont la fonction serait d’annuler le monde extérieur.

– l’alcool, qui entraîne coloration et bouffismes de la peau, amène un épaississement pseudo-protecteur de l’enveloppe-peau,

– La rythmique compulsionnelle dans le geste de boire renvoie aux stéréotypies de l’autiste.

– M. Monjauze reprend les développements de G. Haag sur les trois obstacles à la relation introjective, aux premiers niveaux de symbolisation du corps :

– échec d’un premier contenant rythmique,

– clivage vertical,

– non-intériorisation d’un lien primaire d’indifférenciation.

– Une carence maternelle dans la tenue, entraînant la persistance de la phase liquide du Moi.

– Le Moi-Peau de D. Anzieu, fonction unificatrice , est perturbée chez l’alcoolique ; il ne serait constitué que par la fragile tension qui s’exerce à la surface d’un liquide.

– La kinesthésie alcoolique serait une seconde peau gestuelle-et non musculaire-, comme un mouvement perpétuellement entretenu (chutes, rechutes, etc..).

F. Labbé termine son exposé par la définition de J. Mac Dougall :

L’ » acte-symptôme dévoile une carence de l’élaboration psychique, un défaut de symbolisation, lesquels sont compensés par un agir compulsif, visant à réduire par le chemin le plus court la douleur psychique. »

 

Comment faire face aux mécanismes de défense des patients ?

M. F. DISPAUX

M. F. Dispaux se propose de survoler les caractéristiques des institutions et de voir comment leur structure peut aider, ou pas, les soignants à faire face aux défenses souvent drastiques des patients.

Les institutions

Les patients ont besoin d’un toit, d’un lieu de vie, et de rencontres avec l’autre ; besoin de temps pour déposer leurs angoisses, temps également indispensable aux équipes qui supportent et contiennent ces angoisses ou colères au quotidien.

C’est un lieu vécu comme un contenant large et rassurant, une « maison » qui matérialise l’institution, première interface entre le dehors et le dedans, cadre où viennent se déposer les parties les plus archaïques du patient.

L’institution va aussi servir de contenant à un deuxième espace, quand il peut se créer, le cadre psychothérapeutique au sens large. Cet appui va fonctionner tant pour les patients que pour les thérapeutes comme médiation tiercéisante. Outre la dimension de contenant, l’institution va diminuer la toute-puissance du soignant, la peur de la dépendance, et permettre la diffraction du transfert.

Ce deuxième espace de la relation psychothérapeutique est un espace plus intime, mais contenu dans celui plus large de la « maison ». Le moment où le patient pourra « différencier » son thérapeute témoigne d’un mouvement de subjectivation qui se remet en route.

Les patients dans les institutions

M. Balint est le premier à avoir parler de diffraction : tout d’abord dans les groupes de supervision, où le transfert est diffracté de façon horizontale entre les participants, et non comme dans la séance analytique, de façon longitudinale.

Dans le groupe, la diffraction opère à partir de l’association libre, d’où vont se dégager les perspectives multiples des déterminants inconscients. Dans le cas contraire – une pensée unilatérale – Balint parle d’effet de résonnance.

Bion et les groupes

Quand le groupe s’oppose à la fonction élaborative, Bion parle de fonctionnement en « présupposé de base « : il s’agit de formations rigides, inaccessibles au changement. Ces présupposés de base font partie du système protomental et se rattachent à l’aire psychotique ; ils constituent en effet une défense contre les angoisses catastrophiques.

La diffraction selon Kaes

Avec la condensation, que l’on retrouve chez le rêveur, la diffraction est l’un des éléments principaux de la groupalité interne. La diffraction du Moi du rêveur produit une figuration groupale à partir de la décondensation du Moi ; elle permet aussi une répartition des charges pulsionnelles sur plusieurs objets, soulageant ainsi le fonctionnement psychique.

La diffraction opère donc dans le rêve, dans le ou les transferts, dans les groupes ,et donc dans les institutions.

La diffraction est donc un mécanisme de défense très différent de celui de la fragmentation qui, lui, se met en place contre l’aspect dangereux de l’objet.

Les soignants dans les institutions

Pour faire face aux défenses des patients, souligne MFD, chaque thérapeute doit essayer de connaître au mieux ses propres mécanismes, d’autant plus lorsqu’il est confronté aux mécanismes les plus archaïques du patient, comme le clivage ou l’identification projective.

MFD conclut en soulignant l’importance d’instaurer des lieux de parole pour l’équipe afin d’échanger, de reconnaître et accepter ses limites, faire le deuil de sa toute-puissance. Il est necessaire de rester particulièrement attentif aux moments difficiles de l’institution, le groupe ayant tendance à se rigidifier pour éviter la déception et la douleur.

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29/06/2017: Table ronde autour des défenses et de leur dynamique

La sublimation et quelques mécanismes de défense chez M. Duras

Theresa SPADOTTO

Tout au long de cette année, les séminaires ont été abondamment illustrés par des supports médiatiques et culturels : textes et dessins de patients, extraits de film, extraits de romans ou témoignages. Ces productions sont à la fois les représentations de certains mécanismes de défense mais aussi, souligne Teresa Spadotto , l’expression d’un travail de sublimation des différents auteurs.

Il sera question ici de l’ aspect du concept de sublimation comme réalisation pulsionnelle, production. Dans un second temps, TS évoquera le travail de sublimation chez Marguerite Duras.

Qu’est-ce que la sublimation ?

Freud aura recours à cette notion tout au long de son œuvre. Au départ, elle est associée principalement à l’activité artistique et culturelle ; la pulsion est dérivée vers un but non sexuel, visant des objets socialement valorisés. Freud parle de travestissement pour « passer outre la censure », ou encore « d’enjolivement des contenus représentatifs » (in correspondance avec W Fliess).

En 1905, dans les « 3 Essais », Freud définit la sublimation comme la capacité d’échanger le but sexuel originel contre un autre but ; dans « Le Moi et le Ca », en 1923, il ajoute la modification de la nature de la pulsion, c’est-à-dire la désexualisation de celle-ci , ainsi que le changement d’objet. La sublimation recouvre alors un champ d’activité de plus en plus large, et inclut l’ensemble du travail de pensée.

Deux sens peuvent être dégagés :

• La sublimation comme travail de désexualisation de la pulsion sexuelle, qui conserve son objet mais change de but ; elle est ici garante du lien social.

• Le détournement de l’énergie des pulsions sexuelles dans un champ non sexuel, mais sans refoulement, et qui se porte alors sur un autre objet valorisé socialement. La sublimation est ici promotrice de culture, de civilisation.

La sublimation est l’un des destins les plus accomplis des pulsions partielles prégénitales, se constituant à partir de l’excès de celles-ci, non utilisées dans la vie sexuelle adulte.

La satisfaction directe ne pouvant avoir lieu, la libido d’objet va se transformer en une libido narcissique désexualisée. Mais cette « démixion pulsionnelle » laisse libre cours à la pulsion de mort, qui met alors le Moi en péril. Cette dimension désobjectalisante de la sublimation est alors génératrice d’angoisse et de culpabilité, toute créativité étant vécue comme une transgression (Mac Dougall). On peut faire l’hypothèse que cette pulsion de mort a pu être à l’origine du suicide de nombreux artistes (P. Levi, M. Rothko, etc.).

La sublimation est-elle un mécanisme de défense ?

Elle est bien une modalité de défense, qui oppose un barrage à la réalisation pulsionnelle directe, laquelle risque de déborder le Moi. Mais à la différence des mécanismes de défense, si l’interdit est dépassé, contourné, la pulsion est transformée pour produire autre chose.

Pour M. Klein, la sublimation ne porte pas uniquement sur la pulsion, mais implique d’emblée l’objet maternel et vise à sa réparation : la position dépressive est aux sources de la sublimation et de la créativité.

Pour d’autres analystes (de M’Uzan, Séchaud, De Mijolla), l’acte créateur concerne aussi la réparation du sujet lui-même, travail psychique de liaison, de transformation d’éléments traumatiques qui sont à l’origine du processus créateur.

Lorsque les expériences de satisfaction infantiles ont été suffisantes, dans un environnement « suffisamment bon » qui a pu transformer les traumatismes primaires, celles-ci pourront engendrer une représentation créatrice qui symbolisera l’absence.

Dans le cas contraire, il ne s’agit plus d’une perte de l’objet, mais d’une perte du Moi qui va constituer un trou psychique, un vide, chez le sujet. Les formes créatrices sont alors des tentatives d’élaboration de vécus sensoriels archaïques, à partir de restes. Chez l’écrivain, l’acte d’écrire est alors une exigence vitale face à « l’échec de sa propre capacité de rêverie face à la prolifération des images qui l’envahissent, le plongeant dans une situation traumatique » (de M’Uzan).

Bion parle du langage d’écriture comme « d’un instrument pour communiquer à autrui une expérience psychique impensée » ou, comme le dira S. Korff-Krauss, « les éléments beta qui émergent de la matrice du proto-mental et poussent à l’écriture. ».

TS nous parle ensuite de M. Duras. Elle décrit sa vie traversée de nombreux traumatismes, en premier lieu la relation d’aliénation et d’emprise maternelle, qui se retrouve au cœur de son œuvre.

Faisant référence aux deux livres autobiographiques que sont « l’Amant » et « La Douleur », TS nous montre les mécanismes de défense à l’œuvre dans l’écriture de M. Duras, tels que la crypte, le clivage et le déni.

A partir des vides au sein du texte, du blanc des affects, M. Duras laisse toute la place au trou, au manque, témoignant de l’absence de l’objet maternel et de son impossible rencontre. Ecriture contre le chaos interne,la souffrance, l’acte d’écriture comme survie, conclue T. Spadotto.

 

Les défenses autistiques chez les personnes souffrant d’addiction

Françoise LABBE

F. Labbé décrit ces défenses comme des ilots de fonctionnement archaïques ,enclavés dans la personnalité, et qui restent inaccessibles et inchangés ; ils ont été décrits en particulier par F. Tustin dans son ouvrage « les trous noirs de la psyché ».

Ces patients ont une conscience déchirante d’être corporellement séparés de leur mère, et éprouvent des angoisses de dissolution et de chute sans fin, sans ressentir aucune attention chaleureuse et porteuse.

A propos des pathologies addictives,F. Labbé cite M. Monjauze, qui décrit les tentatives de maîtrise d’expériences traumatiques par la répétition et la mise en acte. Le toxique serait utilisé répétitivement comme réactivateur d’une faille traumatique précoce et de défenses primitives contre celle-ci. Réponse qui court-circuite la pensée, tient la relation à l’écart, enjoint le sujet à une sorte de régression « animale ».

Chez l’alcoolique ou le toxicomane, l’objet d’addiction présente confusion et paradoxe : en effet, la réponse toxicomaniaque à l’angoisse psychique est une réponse du corps : l’objet alcoolique, surinvesti, n’a pas de représentation fantasmatique : sa présence est donc indispensable , et s’inscrit selon la fixité d’un pictogramme (P. Aulagnier). Comme dans l’autisme, l’absence est un trou que l’objet à la fois creuse et obture.

Le toxicomane cherche à revivre des stimulations indifférenciées, mêlant le corporel et l’émotionnel, analogues aux excitations précoces restées sans signification, et donc traumatiques.

La prise de toxique remet en jeu la pulsion de mort en même temps que l’autodestruction s’opère, la drogue donnant l’illusion d’en triompher.

F. Labbé reprend un certain nombre d’hypothèses concernant l’alcoolique, formulées par M. Monjauze :

– Angoisse de dessiccation liée au traumatisme de la naissance,

– Angoisses d’inanition suite à l’irrégularité des tétées,

– Réflexe de déglutition surinvesti, au détriment de l’oralité. Pas de corps érogène chez l’alcoolique.

– Angoisses de chute liées à une insécurité du holding (Winnicott), avec comportements d’agrippement.

– L’alcool fonctionne comme un rempart pour créer un Soi enfin protégé du Non-Soi sur le modèle de l’enclavement autistique, réalisant une hallucination négative dont la fonction serait d’annuler le monde extérieur.

– l’alcool, qui entraîne coloration et bouffismes de la peau, amène un épaississement pseudo-protecteur de l’enveloppe-peau,

– La rythmique compulsionnelle dans le geste de boire renvoie aux stéréotypies de l’autiste.

– M. Monjauze reprend les développements de G. Haag sur les trois obstacles à la relation introjective, aux premiers niveaux de symbolisation du corps :

– échec d’un premier contenant rythmique,

– clivage vertical,

– non-intériorisation d’un lien primaire d’indifférenciation.

– Une carence maternelle dans la tenue, entraînant la persistance de la phase liquide du Moi.

– Le Moi-Peau de D. Anzieu, fonction unificatrice , est perturbée chez l’alcoolique ; il ne serait constitué que par la fragile tension qui s’exerce à la surface d’un liquide.

– La kinesthésie alcoolique serait une seconde peau gestuelle-et non musculaire-, comme un mouvement perpétuellement entretenu (chutes, rechutes, etc..).

F. Labbé termine son exposé par la définition de J. Mac Dougall :

L’ » acte-symptôme dévoile une carence de l’élaboration psychique, un défaut de symbolisation, lesquels sont compensés par un agir compulsif, visant à réduire par le chemin le plus court la douleur psychique. »

 

Comment faire face aux mécanismes de défense des patients ?

M. F. DISPAUX

M. F. Dispaux se propose de survoler les caractéristiques des institutions et de voir comment leur structure peut aider, ou pas, les soignants à faire face aux défenses souvent drastiques des patients.

Les institutions

Les patients ont besoin d’un toit, d’un lieu de vie, et de rencontres avec l’autre ; besoin de temps pour déposer leurs angoisses, temps également indispensable aux équipes qui supportent et contiennent ces angoisses ou colères au quotidien.

C’est un lieu vécu comme un contenant large et rassurant, une « maison » qui matérialise l’institution, première interface entre le dehors et le dedans, cadre où viennent se déposer les parties les plus archaïques du patient.

L’institution va aussi servir de contenant à un deuxième espace, quand il peut se créer, le cadre psychothérapeutique au sens large. Cet appui va fonctionner tant pour les patients que pour les thérapeutes comme médiation tiercéisante. Outre la dimension de contenant, l’institution va diminuer la toute-puissance du soignant, la peur de la dépendance, et permettre la diffraction du transfert.

Ce deuxième espace de la relation psychothérapeutique est un espace plus intime, mais contenu dans celui plus large de la « maison ». Le moment où le patient pourra « différencier » son thérapeute témoigne d’un mouvement de subjectivation qui se remet en route.

Les patients dans les institutions

M. Balint est le premier à avoir parler de diffraction : tout d’abord dans les groupes de supervision, où le transfert est diffracté de façon horizontale entre les participants, et non comme dans la séance analytique, de façon longitudinale.

Dans le groupe, la diffraction opère à partir de l’association libre, d’où vont se dégager les perspectives multiples des déterminants inconscients. Dans le cas contraire – une pensée unilatérale – Balint parle d’effet de résonnance.

Bion et les groupes

Quand le groupe s’oppose à la fonction élaborative, Bion parle de fonctionnement en « présupposé de base « : il s’agit de formations rigides, inaccessibles au changement. Ces présupposés de base font partie du système protomental et se rattachent à l’aire psychotique ; ils constituent en effet une défense contre les angoisses catastrophiques.

La diffraction selon Kaes

Avec la condensation, que l’on retrouve chez le rêveur, la diffraction est l’un des éléments principaux de la groupalité interne. La diffraction du Moi du rêveur produit une figuration groupale à partir de la décondensation du Moi ; elle permet aussi une répartition des charges pulsionnelles sur plusieurs objets, soulageant ainsi le fonctionnement psychique.

La diffraction opère donc dans le rêve, dans le ou les transferts, dans les groupes ,et donc dans les institutions.

La diffraction est donc un mécanisme de défense très différent de celui de la fragmentation qui, lui, se met en place contre l’aspect dangereux de l’objet.

Les soignants dans les institutions

Pour faire face aux défenses des patients, souligne MFD, chaque thérapeute doit essayer de connaître au mieux ses propres mécanismes, d’autant plus lorsqu’il est confronté aux mécanismes les plus archaïques du patient, comme le clivage ou l’identification projective.

MFD conclut en soulignant l’importance d’instaurer des lieux de parole pour l’équipe afin d’échanger, de reconnaître et accepter ses limites, faire le deuil de sa toute-puissance. Il est necessaire de rester particulièrement attentif aux moments difficiles de l’institution, le groupe ayant tendance à se rigidifier pour éviter la déception et la douleur.

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15/06/2017: L’emprise comme défense

15.06.2017

L’emprise est un concept connu au sens commun du terme mais qui se laisse plus difficilement appréhender sur le plan métapsychologique.

L’emprise fait son apparition dans les Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), elle liée à l’expérience de la musculature et au jeu des pulsions partielles.

En 1920, Freud arrime l’emprise à la pulsion de mort dans « Au-delà du principe de plaisir ». L’emprise n’est pas seulement une « mainmise » pathologique, mais aussi ce qui permet au petit enfant de se rendre maître de lui-même et du monde.

Alain Ferrant définit l’emprise, à travers sa notion d’appareil d’emprise. L’appropriation psychique de soi-même suppose une expérience active d’appropriation des « choses » manipulables, notamment à travers le jeu. La place de l’objet est centrale.

Un des intérêts du travail de Ferrant est de s’interroger aussi sur « l’insuffisance d’emprise », qui serait accompagnée de l’émergence de la honte.

Paul Denis a donné à l’emprise une place centrale dans sa théorisation. Il reformule tout le problème de la pulsion comme une composition de forces, de « formants » : le formant d’emprise et le formant de satisfaction. Paul Denis rappelle lui aussi la place donnée à la musculature et à la vision.

Paul Denis considère dès lors que le Moi se développe en grande partie à partir du fonctionnement de l’appareil d’emprise. Le premier objet s’est construit simultanément en emprise et satisfaction ; la satisfaction hallucinatoire « efface » le formant d’emprise qui réapparait lors de la déception. Si le jeu reste souple, le plaisir de fonctionnement du Moi se développe. Lorsque l’objet extérieur se refuse, toute l’énergie se concentre sur l’emprise. L’objet n’est plus qu’objet d’emprise, faute de pouvoir être objet de satisfaction.

A l’opposé, Roger Dorey réfute la notion de pulsion d’emprise. Il préfère parler de relation d’emprise. «Dans la relation d’emprise, il s’agit toujours et très électivement d’une atteinte portée à l’autre en tant que sujet désirant (…), la visée étant de ramener l’autre à la fonction et au statut d’objet entièrement assimilable ».

L’emprise du pervers est une emprise séductrice, l’emprise de l’obsessionnel est emprise destructrice.

Contrairement à l’emprise, la maîtrise est une reconnaissance de l’Autre comme sujet désirant.il n’y a aucune action d’appropriation ou de destruction du désir de l’autre

Les auteurs kleiniens et post kleiniens n’utilisent pas, quant à eux, le terme « emprise » qu’ils remplacent plus volontiers par celui de « tyrannie ».

Lorsque l’entrée dans la position dépressive est vécue comme particulièrement menaçante en raison des vicissitudes dans la relation à l’objet primaire, des mécanismes de défense plus ou moins drastiques vont être mobilisés, en particulier l’identification projective .

Meltzer conçoit la tyrannie comme une défense contre les angoisses dépressives, agonistiques et inconscientes liées à l’absence d’un objet interne fiable et secourable. L’impossibilité dans ces cas de se laisser aller à une dépendance suffisamment sécure à l’objet est remplacée par une dépendance à une partie omnipotente du self. Le self est clivé en une partie toute puissante et une autre partie faite d’effroi, d’impuissance absolue et de détresse agonistique.

Meltzer envisage deux cas de figure pour caractériser le lien tyrannique : celle qu’il appelle le sado-masochisme et celle qu’il appelle la tyrannie-et-soumission.

Dans un cas comme dans l’autre la question de l’analité est centrale. Elle sera explicitée par Meltzer dans son concept de claustrum. Le moi va essayer de se protéger de ses angoisses et terreurs sans nom, en allant se réfugier, en partie, de manière claustrophobique à l’intérieur de l’objet interne maternel, dans le claustrum. Meltzer emploie le concept d’identification intrusive. C’est un mouvement de pénétration destructrice de l’objet qui aliène l’identité du sujet. La conséquence en est que le sujet est privé de certaines parties de son identité, il devient un faux self et développe différents symptômes tels que la grandiosité, l’ érotomanie, la violence mafieuse.

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15/06/2017: L’emprise comme défense

L’emprise est un concept connu au sens commun du terme mais qui se laisse plus difficilement appréhender sur le plan métapsychologique.

L’emprise fait son apparition dans les Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), elle liée à l’expérience de la musculature et au jeu des pulsions partielles.

En 1920, Freud arrime l’emprise à la pulsion de mort dans « Au-delà du principe de plaisir ». L’emprise n’est pas seulement une « mainmise » pathologique, mais aussi ce qui permet au petit enfant de se rendre maître de lui-même et du monde.

Alain Ferrant définit l’emprise, à travers sa notion d’appareil d’emprise. L’appropriation psychique de soi-même suppose une expérience active d’appropriation des « choses » manipulables, notamment à travers le jeu. La place de l’objet est centrale.

Un des intérêts du travail de Ferrant est de s’interroger aussi sur « l’insuffisance d’emprise », qui serait accompagnée de l’émergence de la honte.

Paul Denis a donné à l’emprise une place centrale dans sa théorisation. Il reformule tout le problème de la pulsion comme une composition de forces, de « formants » : le formant d’emprise et le formant de satisfaction. Paul Denis rappelle lui aussi la place donnée à la musculature et à la vision.

Paul Denis considère dès lors que le Moi se développe en grande partie à partir du fonctionnement de l’appareil d’emprise. Le premier objet s’est construit simultanément en emprise et satisfaction ; la satisfaction hallucinatoire « efface » le formant d’emprise qui réapparait lors de la déception. Si le jeu reste souple, le plaisir de fonctionnement du Moi se développe. Lorsque l’objet extérieur se refuse, toute l’énergie se concentre sur l’emprise. L’objet n’est plus qu’objet d’emprise, faute de pouvoir être objet de satisfaction.

A l’opposé, Roger Dorey réfute la notion de pulsion d’emprise. Il préfère parler de relation d’emprise. «Dans la relation d’emprise, il s’agit toujours et très électivement d’une atteinte portée à l’autre en tant que sujet désirant (…), la visée étant de ramener l’autre à la fonction et au statut d’objet entièrement assimilable ».

L’emprise du pervers est une emprise séductrice, l’emprise de l’obsessionnel est emprise destructrice.

Contrairement à l’emprise, la maîtrise est une reconnaissance de l’Autre comme sujet désirant.il n’y a aucune action d’appropriation ou de destruction du désir de l’autre

Les auteurs kleiniens et post kleiniens n’utilisent pas, quant à eux, le terme « emprise » qu’ils remplacent plus volontiers par celui de « tyrannie ».

Lorsque l’entrée dans la position dépressive est vécue comme particulièrement menaçante en raison des vicissitudes dans la relation à l’objet primaire, des mécanismes de défense plus ou moins drastiques vont être mobilisés, en particulier l’identification projective .

Meltzer conçoit la tyrannie comme une défense contre les angoisses dépressives, agonistiques et inconscientes liées à l’absence d’un objet interne fiable et secourable. L’impossibilité dans ces cas de se laisser aller à une dépendance suffisamment sécure à l’objet est remplacée par une dépendance à une partie omnipotente du self. Le self est clivé en une partie toute puissante et une autre partie faite d’effroi, d’impuissance absolue et de détresse agonistique.

Meltzer envisage deux cas de figure pour caractériser le lien tyrannique : celle qu’il appelle le sado-masochisme et celle qu’il appelle la tyrannie-et-soumission.

Dans un cas comme dans l’autre la question de l’analité est centrale. Elle sera explicitée par Meltzer dans son concept de claustrum. Le moi va essayer de se protéger de ses angoisses et terreurs sans nom, en allant se réfugier, en partie, de manière claustrophobique à l’intérieur de l’objet interne maternel, dans le claustrum. Meltzer emploie le concept d’identification intrusive. C’est un mouvement de pénétration destructrice de l’objet qui aliène l’identité du sujet. La conséquence en est que le sujet est privé de certaines parties de son identité, il devient un faux self et développe différents symptômes tels que la grandiosité, l’ érotomanie, la violence mafieuse.

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15/05/2017: Le déni

15.05.2017

Katy Bogliatto va en première partie s’attacher à reprendre la définition du déni chez Freud, pour ensuite élargir son propos à l’évolution du concept notamment chez certains auteurs anglo-saxons, puis à son utilisation, tant dans la psychopathologie que dans la vie quotidienne.

Le concept de déni est une réaction mettant en opposition la perception de la réalité avec son devenir psychique. Freud désignera l’origine du déni à la période de la reconnaissance de la différence des sexes et de la castration : déni de la castration chez la femme, venant comme réaction défensive chez le petit garçon face à l’angoisse de perdre lui aussi son pénis. Freud aborde dès 1909, avec le « Petit Hans », la notion du déni qui sera élaborée plus clairement dans son article sur le fétichisme en 1927.

Freud utilise le terme de Verleugnung, qui marque la coexistence dans le Moi du fétichiste de deux positions inconciliables : à la fois le déni de la perception visuelle de la castration féminine , et à la fois sa reconnaissance, à savoir le deuil de la castration. Le fétiche, substitut du phallus, vient donc marquer le triomphe sur la menace de castration de même qu’une protection contre celle-ci.

Dans deux écrits ultérieurs, « Le Clivage du Moi dans le Processus de défense » (1938) et « L’Abrégé de Psychanalyse » (1938), Freud décrira le déni comme un clivage dans le Moi où se côtoient deux courants : dans l’un, la représentation de la perception est maintenue, mais « floutée » et inconsciente ; dans l’autre courant, conscient, la perception est maintenue dans le Moi.

K. Bogliatto se penche ensuite sur l’emploi du concept de déni dans la littérature analytique, renvoyant à au moins quatre opérations de défense très différentes sur le plan métapsychologique, ceci pouvant porter à confusion :

– le déni de réalité dans la psychose ;

-le déni attaché à l’élaboration fantasmatique, avec ou sans perte de distinction entre fantasme et réalité (Anna Freud) ;

-le déni comme attitude défensive où la perception de la réalité est mise à mal, entièrement ou en partie ;

– le déni tel qu’il a été défini par Freud.

Certains auteurs, anglo-saxons notamment, conçoivent le déni comme une défense se manifestant dès les processus primaires dans un continuum vers une position plus élaborée suivant les processus secondaires. Cette conception s’écarte de celle de Freud, où le déni ne peut survenir à un stade précoce de l’individu, plaçant le déni dans le Moi et non dans le Ca.

Quant à Anna Freud, elle souligne plutôt la non-nécessité des mesures de défense contre les perceptions quand les élaborations fantasmatiques se montrent suffisantes.

K. Bogliatto nous présente une vignette clinique qui permet d’illustrer les développements d’A. Freud ; elle nous décrit comment, à travers le jeu ,son petit patient peut mettre en scène, répéter , et élaborer le vécu d’impuissance dans lequel il se trouve et qui met en tension son angoisse de castration et sa peur de tout détruire. Ainsi, dans le jeu, l’élaboration fantasmatique, consciente de sa toute-puissance, aide à maintenir clivée dans une partie inconsciente du Moi de l’enfant son sentiment irréel de force et de rivalité à l’égard de son père.

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15/05/2017: Le déni

Katy Bogliatto va en première partie s’attacher à reprendre la définition du déni chez Freud, pour ensuite élargir son propos à l’évolution du concept notamment chez certains auteurs anglo-saxons, puis à son utilisation, tant dans la psychopathologie que dans la vie quotidienne.

Le concept de déni est une réaction mettant en opposition la perception de la réalité avec son devenir psychique. Freud désignera l’origine du déni à la période de la reconnaissance de la différence des sexes et de la castration : déni de la castration chez la femme, venant comme réaction défensive chez le petit garçon face à l’angoisse de perdre lui aussi son pénis. Freud aborde dès 1909, avec le « Petit Hans », la notion du déni qui sera élaborée plus clairement dans son article sur le fétichisme en 1927.

Freud utilise le terme de Verleugnung, qui marque la coexistence dans le Moi du fétichiste de deux positions inconciliables : à la fois le déni de la perception visuelle de la castration féminine , et à la fois sa reconnaissance, à savoir le deuil de la castration. Le fétiche, substitut du phallus, vient donc marquer le triomphe sur la menace de castration de même qu’une protection contre celle-ci.

Dans deux écrits ultérieurs, « Le Clivage du Moi dans le Processus de défense » (1938) et « L’Abrégé de Psychanalyse » (1938), Freud décrira le déni comme un clivage dans le Moi où se côtoient deux courants : dans l’un, la représentation de la perception est maintenue, mais « floutée » et inconsciente ; dans l’autre courant, conscient, la perception est maintenue dans le Moi.

K. Bogliatto se penche ensuite sur l’emploi du concept de déni dans la littérature analytique, renvoyant à au moins quatre opérations de défense très différentes sur le plan métapsychologique, ceci pouvant porter à confusion :

– le déni de réalité dans la psychose ;

-le déni attaché à l’élaboration fantasmatique, avec ou sans perte de distinction entre fantasme et réalité (Anna Freud) ;

-le déni comme attitude défensive où la perception de la réalité est mise à mal, entièrement ou en partie ;

– le déni tel qu’il a été défini par Freud.

Certains auteurs, anglo-saxons notamment, conçoivent le déni comme une défense se manifestant dès les processus primaires dans un continuum vers une position plus élaborée suivant les processus secondaires. Cette conception s’écarte de celle de Freud, où le déni ne peut survenir à un stade précoce de l’individu, plaçant le déni dans le Moi et non dans le Ca.

Quant à Anna Freud, elle souligne plutôt la non-nécessité des mesures de défense contre les perceptions quand les élaborations fantasmatiques se montrent suffisantes.

K. Bogliatto nous présente une vignette clinique qui permet d’illustrer les développements d’A. Freud ; elle nous décrit comment, à travers le jeu ,son petit patient peut mettre en scène, répéter , et élaborer le vécu d’impuissance dans lequel il se trouve et qui met en tension son angoisse de castration et sa peur de tout détruire. Ainsi, dans le jeu, l’élaboration fantasmatique, consciente de sa toute-puissance, aide à maintenir clivée dans une partie inconsciente du Moi de l’enfant son sentiment irréel de force et de rivalité à l’égard de son père.

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17/04/2017: Clivage et refoulement

17.04.2017

Pour introduire leur propos, Anne Englert et Denis Hirsch présentent deux extraits du film « Pas de Printemps pour Marnie » (Hitchcock, 1964) . Ils illustrent en effet les débuts de la psychanalyse, où il est question de rendre conscient ce qui est refoulé, de dévoiler le sens de symptômes jusque là incompréhensibles, et par la récupération du souvenir dégagé de sa charge traumatique de parvenir à la guérison.

Dans le second extrait visionné, nous voyons l’héroïne, Marnie, qui, redevenue une enfant, dans un état de régression, revit une scène traumatique du passé qui va permettre d’expliquer ses phobies et sa terreur vis-à-vis de la sexualité.

Le refoulement

Dès 1895, nous rappelle Anne Englert, le refoulement décrit par Freud est associé à la décou-verte de l’Inconscient. A partir de ses cures auprès de patientes hystériques, Freud va poser l’hypothèse que l’étiologie des névroses est due à un traumatisme sexuel vécu dans l’enfance. Il développe progressivement le premier modèle théorique, appelé première topique, avec l’inconscient – le préconscient – le conscient, et le premier modèle du rêve comme réalisation du désir inconscient qu’il va s’agir de « décoder » et d’interpréter (ce qui est montré dans la première scène du film, où Marnie raconte un cauchemar à son mari).

Freud abandonnera progressivement l’hypnose et la catharsis pour la cure classique avec l’association libre et l’analyse du transfert.

Le refoulement est l’opération par laquelle le sujet cherche à repousser ou à maintenir dans l’inconscient des représentations, pensées, liées à une pulsion, dans le cas où la satisfaction de celle-ci est susceptible de procurer par ailleurs du déplaisir à l’égard d’autres exigences.

Le refoulement est associé à la création de l’inconscient, précise AE ; il ne peut donc pas être seulement considéré comme une défense.

AE précise qu’en psychanalyse on différencie l’enfance et l’infantile. L’enfance, ce sont les moments vécus. L’infantile, c’est le sens que l’enfant donne à ces évènements pour les inté-grer, comment il va construire ses théories du monde. L’enfant interprète les situations en fonction de lui, comme s’il en était à l’origine et/ou en fonction des mouvements pulsionnels dominants du moment.

Le refoulement ne concerne pas l’affect mais la représentation ; c’est un mouvement dyna-mique constant ,mais inconscient ; on pourra cependant reconnaître « les rejetons du refoulé » à travers les rêves, les lapsus, les actes manqués, etc.

AE reprend Le Guen, qui distingue les refoulements primaires antérieurs à la conflictualité œdipienne (orale, anale, phallique), des refoulements secondaires pris dans la dynamique des retours du refoulé (rêves, etc.).

Le refoulement est un mécanisme de défense normal de la psyché, poursuit AE, nécessaire au développement, et permet un travail de transformation .

Mais lorsque les événements sont restés trop traumatiques, ils tentent de se représenter à nou-veau comme des fantômes qui vont hanter le présent, n’ayant pu trouver une digne sépulture.

Cependant, souligne AE pour introduire la notion de clivage que va présenter Denis Hisch, le refoulement ne peut à lui seul comprendre ce qui peut échapper à la conscience.

Le moi, le clivage du Moi

Pour aborder le concept de clivage, évoquer les phénomènes dissociatifs qui peuvent être éprouvés dans des situations traumatiques extrêmes, Denis Hirsch fait la lecture d’un texte de Charlotte Delbo, résistante déportée à Auschwitz. Celle-ci décrit avec une clarté saisissante comment le clivage a été pour elle une méthode ultime pour pouvoir survivre. Elle parle no-tamment de sa mémoire clivée entre une mémoire intellectuelle et une mémoire profonde (qu’elle peut retrouver dans ses rêves), et déclarant à propos de son vécu : « tout en sachant que c’est véridique, je ne sais pas si c’est vrai ».

Le clivage au Moi

Anne Englert va poursuivre en reprenant la notion de clivage au Moi décrite par R. Roussillon, processus par lequel le Moi tient hors de lui certains aspects de son expérience, où le sujet se retire d’une partie de lui-même. Le principe de survie est placé sous le signe de la coupure des éléments perceptifs et sensoriels de l’expérience traumatique.

Mais cette « mise en oubli » favorise le retour du clivé, sans que le sujet puisse établir des liens, les traces n’ayant pu être transformées et intégrées par le Moi.

Face à ces « terres étrangères » au Moi conscient, il est important que notre écoute soit élargie à ces traces perceptives, éprouvés sensoriels, voire somatiques, ou hallucinations dans certains cas.Un travail de reconstruction de ce qui aurait pu être vécu dans le passé est alors nécessaire. AE nous présente, pour étayer ce propos, le cas d’un de ses patients avec lequel une communication très primitive s’est établie, témoignant d’éprouvés contre-transférentiels quasi hallucinatoires, qui ont permis ce travail de reconstruction et un relatif dégagement dans la thérapie.

AE termine son exposé en posant la question suivante : quand est il opportun pour l’analyste de chercher à rassembler les parts clivées, certains patients viendraient demander plutôt à ren-forcer leur clivage, pour que la part qui les rend « fou » ne prenne pas le dessus. C’est des questions complexes, à réfléchir pour chaque situation clinique.

En dernière partie, Denis Hirsch (DH) va continuer la réflexion autour du clivage.

Le Moi, le clivage normal et le clivage pathologique

DH rappelle que le refoulement et le clivage sont deux mécanismes inconscients, tous deux de nature à la fois structurante et défensive.

Quand, dans les années 1920, Freud introduit la deuxième topique, le Moi devient une ins-tance en grande partie inconsciente, impliquant un Moi clivé, qui va amener la constitution du Surmoi.

Face à ces différentes instances psychiques, le Moi doit pouvoir faire la synthèse pour per-mettre une bonne intégration de l’identité, une liberté d’identifications et d’investissements.

Par contre, face à un trauma, le Moi, soumis aux débordements des pulsions brutes, aura re-cours à une défense plus drastique : le clivage défensif ou pathologique. Le clivage est donc à la fois effet du trauma et défense contre le trauma.

Le clivage pathologique implique la coexistence de deux attitudes à l’endroit de la réalité, l’une tenant compte de cette réalité, l’autre la déniant pour une réalité fantasmée.

Le clivage normal est un clivage conscient témoignant d’un conflit interne, de notre ambiva-lence : il élargit notre vie psychique. A l’opposé, le clivage pathologique reste hors du champ de la conscience : c’est le fameux « je sais bien, mais quand même » du fétichiste. Sous l’effet d’une réalité intolérable, le sujet se divise d’avec lui-même, il y a clivage intra narcissique avec déchirure du tissu du Moi.

Pour permettre donc au sujet de survivre, plusieurs mécanismes inconscients seront à l’œuvre : identification projective, déni, forclusion, hallucination négative, etc.

A partir d’une vignette chimique, DH montre que le transfert également peut être clivé, té-moignant de son intensité comme de sa passion haineuse.

Selon G. Bayle, on peut distinguer deux formes de clivage :

– les clivages fonctionnels, temporaires, qui protègent le Moi en mettant à distance les repré-sentations trop dangereuses ;

– les clivages structurels, beaucoup plus invalidants, face à une béance narcissique, en lien avec un trauma impossible à symboliser.

G. Bayle fait l’hypothèse que ces clivages sont transmis par des clivages que l’on trouve chez les parents, en lien avec une honte, un secret trans-générationnel. L’enfant n’a d’autre choix que de s’identifier à cette défense du parent, qui alors le lie incestuellement, au prix de l’impossibilité de se séparer psychiquement.

Pour conclure, DH réinsiste sur la notion de défense de survie du clivage, et donc sur la nécessité de ne pas intervenir de façon sauvage sur celui-ci. Il évoque l’intérêt des pratiques thérapeutiques qui utilisent justement le clivage fonctionnel, comme le psychodrame psycha-nalytique ou les prises en charge bi- ou tri-focales, permettant la diffraction des parties clivées du Moi du patient et de son transfert sur plusieurs thérapeutes.

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