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31/01/2018: “Si ce n’est toi, c’est donc ton frère…” L’identification fraternelle et groupale

27.02.2018

Introduction

Le mouvement identificatoire propre à l’humain, déjà présent dès le début de sa vie, concerne tout autant les identifications à un groupe qu’à une personne distincte. Il peut s’agir du groupe des frères, des pairs, du groupe familial, parental, ainsi que tout autre groupe qui fait partie de l’environnement du sujet. Ces identifications agissent toujours sur la constitution du sujet et peuvent être tout autant porteuses que dévastatrices.

Pour illustrer ces réflexions, A. Reinaers présente le roman “Eddy Bellegueule”, roman autobiographique que l’auteur écrit à 21 ans, sous le nom de plume de Edouard Louis.

Il y relate ses années d’enfance et ses tentatives d’identification à sa famille, au désir de ses parents, au groupe social : “se répéter tous les matins aujourd’hui je serai un dur” se rappelle-t-il. Tentatives désespérées, qui le mèneront loin dans l’absence à lui-même, tentatives d’identification qui échoueront, et vont le pousser à fuir ; fuite vécue comme un échec, car à cet âge “réussir aurait voulu dire être comme les autres”.

Accepté au lycée d’Amiens, l’auteur raconte alors son parcours assez exceptionnel : l’université, puis l’ENS à Paris, la publication de plusieurs ouvrages en sciences sociales ; il devient alors un personnage reconnu sur la scène culturelle, loin de son milieu et de ses valeurs d’origine.

Celui-ci écrira un deuxième roman autobiographique, “Histoire de la violence”, où il raconte une rencontre amoureuse avec un homme, qui va dégénérer en grande violence avec viol et menace de mort. L’auteur ne fait pas le lien avec son histoire et son milieu d’origine mais nous pouvons faire ici l’hypothèse d’une identification très primaire, “adhésive”, inscrite dans une corporéité très primitive, à la violence véhiculée dans ce milieu de son enfance. Violence au contact de laquelle il est replongé sans possibilité de s’échapper.

Afin de mieux cerner les enjeux groupaux dans ces identifications, Blandine Faoro Kreit va poursuivre en reprenant quelques points théoriques, qui seront régulièrement illustrés par des extraits lus par A. Reinaers.

R. Kaës a développé l’idée d’un fonctionnement psychique groupal où certains mécanismes individuels se voient renforcés, et où surtout des créations de nouvelles entités communes et partagées vont se développer.

Ces mécanismes se retrouvent dans le groupe fraternel (et tout groupe de pairs) ; Blandine Faoro Kreit va décliner plusieurs traits autour desquels cette identité fraternelle va se cimenter.

– L’identification symbolique par la transmission de la nomination : être frères et sœurs au sein de la société.

– L’identification générationnelle : qui marque la différence des générations d’avec les parents, et qui permet à tous de renoncer aux désirs incestueux œdipiens.

– L’identification aux pairs en rapport à un objet commun et idéalisé, et les alliances inconscientes agissantes dans le groupe.

– Le contrat narcissique : ce concept, développé par P. Aulagnier, montre comment ce contrat assure la transmission des valeurs reçues et renforce l’identification de chacun. On peut souligner que cette forme de loyauté contractuelle peut s’avérer aliénante et fragilisante plutôt que protectrice dans certains cas.

– Les alliances inconscientes : elles se retrouvent au fondement des groupes, couples, familles, institutions. Ces alliances supposent aussi une obligation, un assujettissement qui pourra entraîner des effets pathogènes comme le déni, les contrats pervers etc.

A partir de “Totem et Tabou”, R. Kaës parle de “l’alliance symbolique des frères”, celle-ci se fondant sur l’interdit du meurtre et de l’inceste, ainsi que le ralliement à un idéal du Moi et Surmoi partagé.

– L’alliance symbolique : le passage de la horde au groupe organisé a nécessité un acte de complicité dans l’œuvre de mort et un acte de renoncement au meurtre au profit de la représentation symbolique de celui-ci. Cette alliance est un rempart contre l’angoisse et le chaos, permettant à chacun de se déployer en sécurité.

Pour conclure, Blandine Faoro Kreit nous rappelle que la fratrie est un terrain d’expérimentation de soi-même et de l’autre, où va se vivre l’expérience de la solidarité, du partage, les affects de jalousie et de haine étant contenus. Le jeu est le paradigme des ressources que peut offrir la fratrie.

Après la présentation d’un cas clinique par A. Reinaers, Blandine Faoro Kreit va poursuivre les divers destins en cas d’alcoolisme parental, quand la fratrie va se trouver malmenée dans ses qualités groupales comme dans ce qu’elle pourrait apporter à chacun de ses membres.

Le groupe fraternel éclaté

Ici, le (ou les) parent qui ne se porte plus garant des lois fondamentales de l’interdit du meurtre et de l’inceste fracture le groupe des frères.

L’interdit du meurtre est bafoué ; l’alcoolisme, en tant qu’atteinte volontaire à la propre vie du sujet, est en effet une forme de meurtre.

L’idéal commun du respect de la vie comme la notion d’un Surmoi protecteur sont perdus.

La horde reprend ses droits, et toute une panoplie d’affects vont être convoqués cf. : déni de l’alcoolisation du parent ; souhaits de mort /surprotection ; hyper responsabilité /fuite (drogues, études…), identification avec sentiments de honte et de culpabilité.

..)

L’unité fraternelle est rompue par les différences de réactions entre frères et sœurs : le contrat narcissique va se modifier, les pactes de dénis, clivages, silence, vont prévaloir, la parole pouvant souvent alors s’avérer dangereuse.

L’interdit de l’inceste : dans ce contexte alcoolisé, cet interdit peut ne pas être très clairement établi et la limite entre le fantasme et l’acte se voir des lors dépassée. On peut rencontrer des incestes parentaux et adelphiques.

L’inceste parental

A côté des cas de rapports sexuels ou attouchements, on rencontre très fréquemment des relations dites “incestuelles” (qui concernent des regards, des gestes, des allusions), provoquées par une trop grande proximité avec le corps du parent du fait de son alcoolisation.

Les enfants sont souvent coincés entre le désir d’aider, l’excitation sexuelle et œdipienne, et la honte et la culpabilité.

La réalisation des souhaits œdipiens est une violence pour l’enfant touché mais également pour les autres, qui peuvent s’identifier à la victime, mais aussi se sentir exclus d’une relation privilégiée au parent. La différence générationnelle, gage de l’identification de la fratrie, est d’emblée pervertie.

L’inceste adelphique

L’hypothèse formulée par Blandine Faoro Kreit est que cette forme particulière d’inceste, dans ce contexte, relève de procédés auto-calmants ; le déplacement sur une autre scène de l’excitation traumatique peut permettre de s’abstraire de la situation tout en ayant l’illusion de la maitriser. Ici, toute fantasmatisation est figée, l’imaginaire et le symbolique sont court-circuités par l’acte et l’excitation prime.

La recherche du corps du frère ou de la sœur peut faire penser à des retrouvailles régressives avec le corps de la mère annulant la séparation première.

On est loin d’une passion amoureuse ou d’une séduction fraternelle ; il s’agit d’une solution d’urgence, momentanée, face à une situation traumatique. Ces conduites, chargées après coup de honte et de culpabilité, vont souvent casser le lien fraternel à l’âge adulte. l

Le contrat narcissique qui lie les membres est donc ici invalidant, obligeant le sujet à adopter des comportements défensifs primaires (déni, clivage), qui lui sont imposés par le système familial.

Les identifications figées : les identifications, au lieu de pouvoir s’étayer sur les différents membres de façon variée et souple, se rigidifient, et sont attendues par le groupe de façon implicite.

Les risques de ces prises en charge : face à ce contrat narcissique, chaque dérogation aux lois implicites groupales qui peuvent être soutenues au cours d’une thérapie va en effet risquer de compromettre l’équilibre de la famille.

Camille Montauti

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31/01/2018: “Si ce n’est toi, c’est donc ton frère…” L’identification fraternelle et groupale

Introduction

Le mouvement identificatoire propre à l’humain, déjà présent dès le début de sa vie, concerne tout autant les identifications à un groupe qu’à une personne distincte. Il peut s’agir du groupe des frères, des pairs, du groupe familial, parental, ainsi que tout autre groupe qui fait partie de l’environnement du sujet. Ces identifications agissent toujours sur la constitution du sujet et peuvent être tout autant porteuses que dévastatrices.

Pour illustrer ces réflexions, A. Reinaers présente le roman “Eddy Bellegueule”, roman autobiographique que l’auteur écrit à 21 ans, sous le nom de plume de Edouard Louis.

Il y relate ses années d’enfance et ses tentatives d’identification à sa famille, au désir de ses parents, au groupe social : “se répéter tous les matins aujourd’hui je serai un dur” se rappelle-t-il. Tentatives désespérées, qui le mèneront loin dans l’absence à lui-même, tentatives d’identification qui échoueront, et vont le pousser à fuir ; fuite vécue comme un échec, car à cet âge “réussir aurait voulu dire être comme les autres”.

Accepté au lycée d’Amiens, l’auteur raconte alors son parcours assez exceptionnel : l’université, puis l’ENS à Paris, la publication de plusieurs ouvrages en sciences sociales ; il devient alors un personnage reconnu sur la scène culturelle, loin de son milieu et de ses valeurs d’origine.

Celui-ci écrira un deuxième roman autobiographique, “Histoire de la violence”, où il raconte une rencontre amoureuse avec un homme, qui va dégénérer en grande violence avec viol et menace de mort. L’auteur ne fait pas le lien avec son histoire et son milieu d’origine mais nous pouvons faire ici l’hypothèse d’une identification très primaire, “adhésive”, inscrite dans une corporéité très primitive, à la violence véhiculée dans ce milieu de son enfance. Violence au contact de laquelle il est replongé sans possibilité de s’échapper.

Afin de mieux cerner les enjeux groupaux dans ces identifications, Blandine Faoro Kreit va poursuivre en reprenant quelques points théoriques, qui seront régulièrement illustrés par des extraits lus par A. Reinaers.

R. Kaës a développé l’idée d’un fonctionnement psychique groupal où certains mécanismes individuels se voient renforcés, et où surtout des créations de nouvelles entités communes et partagées vont se développer.

Ces mécanismes se retrouvent dans le groupe fraternel (et tout groupe de pairs) ; Blandine Faoro Kreit va décliner plusieurs traits autour desquels cette identité fraternelle va se cimenter.

– L’identification symbolique par la transmission de la nomination : être frères et sœurs au sein de la société.

– L’identification générationnelle : qui marque la différence des générations d’avec les parents, et qui permet à tous de renoncer aux désirs incestueux œdipiens.

– L’identification aux pairs en rapport à un objet commun et idéalisé, et les alliances inconscientes agissantes dans le groupe.

– Le contrat narcissique : ce concept, développé par P. Aulagnier, montre comment ce contrat assure la transmission des valeurs reçues et renforce l’identification de chacun. On peut souligner que cette forme de loyauté contractuelle peut s’avérer aliénante et fragilisante plutôt que protectrice dans certains cas.

– Les alliances inconscientes : elles se retrouvent au fondement des groupes, couples, familles, institutions. Ces alliances supposent aussi une obligation, un assujettissement qui pourra entraîner des effets pathogènes comme le déni, les contrats pervers etc.

A partir de “Totem et Tabou”, R. Kaës parle de “l’alliance symbolique des frères”, celle-ci se fondant sur l’interdit du meurtre et de l’inceste, ainsi que le ralliement à un idéal du Moi et Surmoi partagé.

– L’alliance symbolique : le passage de la horde au groupe organisé a nécessité un acte de complicité dans l’œuvre de mort et un acte de renoncement au meurtre au profit de la représentation symbolique de celui-ci. Cette alliance est un rempart contre l’angoisse et le chaos, permettant à chacun de se déployer en sécurité.

Pour conclure, Blandine Faoro Kreit nous rappelle que la fratrie est un terrain d’expérimentation de soi-même et de l’autre, où va se vivre l’expérience de la solidarité, du partage, les affects de jalousie et de haine étant contenus. Le jeu est le paradigme des ressources que peut offrir la fratrie.

Après la présentation d’un cas clinique par A. Reinaers, Blandine Faoro Kreit va poursuivre les divers destins en cas d’alcoolisme parental, quand la fratrie va se trouver malmenée dans ses qualités groupales comme dans ce qu’elle pourrait apporter à chacun de ses membres.

Le groupe fraternel éclaté

Ici, le (ou les) parent qui ne se porte plus garant des lois fondamentales de l’interdit du meurtre et de l’inceste fracture le groupe des frères.

L’interdit du meurtre est bafoué ; l’alcoolisme, en tant qu’atteinte volontaire à la propre vie du sujet, est en effet une forme de meurtre.

L’idéal commun du respect de la vie comme la notion d’un Surmoi protecteur sont perdus.

La horde reprend ses droits, et toute une panoplie d’affects vont être convoqués cf. : déni de l’alcoolisation du parent ; souhaits de mort /surprotection ; hyper responsabilité /fuite (drogues, études…), identification avec sentiments de honte et de culpabilité.

..)

L’unité fraternelle est rompue par les différences de réactions entre frères et sœurs : le contrat narcissique va se modifier, les pactes de dénis, clivages, silence, vont prévaloir, la parole pouvant souvent alors s’avérer dangereuse.

L’interdit de l’inceste : dans ce contexte alcoolisé, cet interdit peut ne pas être très clairement établi et la limite entre le fantasme et l’acte se voir des lors dépassée. On peut rencontrer des incestes parentaux et adelphiques.

L’inceste parental

A côté des cas de rapports sexuels ou attouchements, on rencontre très fréquemment des relations dites “incestuelles” (qui concernent des regards, des gestes, des allusions), provoquées par une trop grande proximité avec le corps du parent du fait de son alcoolisation.

Les enfants sont souvent coincés entre le désir d’aider, l’excitation sexuelle et œdipienne, et la honte et la culpabilité.

La réalisation des souhaits œdipiens est une violence pour l’enfant touché mais également pour les autres, qui peuvent s’identifier à la victime, mais aussi se sentir exclus d’une relation privilégiée au parent. La différence générationnelle, gage de l’identification de la fratrie, est d’emblée pervertie.

L’inceste adelphique

L’hypothèse formulée par Blandine Faoro Kreit est que cette forme particulière d’inceste, dans ce contexte, relève de procédés auto-calmants ; le déplacement sur une autre scène de l’excitation traumatique peut permettre de s’abstraire de la situation tout en ayant l’illusion de la maitriser. Ici, toute fantasmatisation est figée, l’imaginaire et le symbolique sont court-circuités par l’acte et l’excitation prime.

La recherche du corps du frère ou de la sœur peut faire penser à des retrouvailles régressives avec le corps de la mère annulant la séparation première.

On est loin d’une passion amoureuse ou d’une séduction fraternelle ; il s’agit d’une solution d’urgence, momentanée, face à une situation traumatique. Ces conduites, chargées après coup de honte et de culpabilité, vont souvent casser le lien fraternel à l’âge adulte. l

Le contrat narcissique qui lie les membres est donc ici invalidant, obligeant le sujet à adopter des comportements défensifs primaires (déni, clivage), qui lui sont imposés par le système familial.

Les identifications figées : les identifications, au lieu de pouvoir s’étayer sur les différents membres de façon variée et souple, se rigidifient, et sont attendues par le groupe de façon implicite.

Les risques de ces prises en charge : face à ce contrat narcissique, chaque dérogation aux lois implicites groupales qui peuvent être soutenues au cours d’une thérapie va en effet risquer de compromettre l’équilibre de la famille.

Camille Montauti

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31/01/2018: “Si ce n’est toi, c’est donc ton frèere…” – L’identification fraternelle et groupale

31.01.2018

Introduction

Le mouvement identificatoire propre à l’humain, déjà présent dès le début de sa vie, concerne tout autant les identifications à un groupe qu’à une personne distincte. Il peut s’agir du groupe des frères, des pairs, du groupe familial, parental, ainsi que tout autre groupe qui fait partie de l’environnement du sujet. Ces identifications agissent toujours sur la constitution du sujet et peuvent être tout autant porteuses que dévastatrices.

Pour illustrer ces réflexions, A. Reinaers présente le roman “Eddy Bellegueule”, roman autobiographique que l’auteur écrit à 21 ans, sous le nom de plume de Edouard Louis.

Il y relate ses années d’enfance et ses tentatives d’identification à sa famille, au désir de ses parents, au groupe social : “se répéter tous les matins aujourd’hui je serai un dur” se rappelle-t-il. Tentatives désespérées, qui le mèneront loin dans l’absence à lui-même, tentatives d’identification qui échoueront, et vont le pousser à fuir ; fuite vécue comme un échec, car à cet âge “réussir aurait voulu dire être comme les autres”.

Accepté au lycée d’Amiens, l’auteur raconte alors son parcours assez exceptionnel : l’université, puis l’ENS à Paris, la publication de plusieurs ouvrages en sciences sociales ; il devient alors un personnage reconnu sur la scène culturelle, loin de son milieu et de ses valeurs d’origine.

Celui-ci écrira un deuxième roman autobiographique, “Histoire de la violence”, où il raconte une rencontre amoureuse avec un homme, qui va dégénérer en grande violence avec viol et menace de mort. L’auteur ne fait pas le lien avec son histoire et son milieu d’origine mais nous pouvons faire ici l’hypothèse d’une identification très primaire, “adhésive”, inscrite dans une corporéité très primitive, à la violence véhiculée dans ce milieu de son enfance. Violence au contact de laquelle il est replongé sans possibilité de s’échapper.

Afin de mieux cerner les enjeux groupaux dans ces identifications, Blandine Faoro Kreit va poursuivre en reprenant quelques points théoriques, qui seront régulièrement illustrés par des extraits lus par A. Reinaers.

R. Kaës a développé l’idée d’un fonctionnement psychique groupal où certains mécanismes individuels se voient renforcés, et où surtout des créations de nouvelles entités communes et partagées vont se développer.

Ces mécanismes se retrouvent dans le groupe fraternel (et tout groupe de pairs) ; Blandine Faoro Kreit va décliner plusieurs traits autour desquels cette identité fraternelle va se cimenter.

– L’identification symbolique par la transmission de la nomination : être frères et sœurs au sein de la société.

– L’identification générationnelle : qui marque la différence des générations d’avec les parents, et qui permet à tous de renoncer aux désirs incestueux œdipiens.

– L’identification aux pairs en rapport à un objet commun et idéalisé, et les alliances inconscientes agissantes dans le groupe.

– Le contrat narcissique : ce concept, développé par P. Aulagnier, montre comment ce contrat assure la transmission des valeurs reçues et renforce l’identification de chacun. On peut souligner que cette forme de loyauté contractuelle peut s’avérer aliénante et fragilisante plutôt que protectrice dans certains cas.

– Les alliances inconscientes : elles se retrouvent au fondement des groupes, couples, familles, institutions. Ces alliances supposent aussi une obligation, un assujettissement qui pourra entraîner des effets pathogènes comme le déni, les contrats pervers etc.

A partir de “Totem et Tabou”, R. Kaës parle de “l’alliance symbolique des frères”, celle-ci se fondant sur l’interdit du meurtre et de l’inceste, ainsi que le ralliement à un idéal du Moi et Surmoi partagé.

– L’alliance symbolique : le passage de la horde au groupe organisé a nécessité un acte de complicité dans l’œuvre de mort et un acte de renoncement au meurtre au profit de la représentation symbolique de celui-ci. Cette alliance est un rempart contre l’angoisse et le chaos, permettant à chacun de se déployer en sécurité.

Pour conclure, Blandine Faoro Kreit nous rappelle que la fratrie est un terrain d’expérimentation de soi-même et de l’autre, où va se vivre l’expérience de la solidarité, du partage, les affects de jalousie et de haine étant contenus. Le jeu est le paradigme des ressources que peut offrir la fratrie.

Après la présentation d’un cas clinique par A. Reinaers, Blandine Faoro Kreit va poursuivre les divers destins en cas d’alcoolisme parental, quand la fratrie va se trouver malmenée dans ses qualités groupales comme dans ce qu’elle pourrait apporter à chacun de ses membres.

Le groupe fraternel éclaté

Ici, le (ou les) parent qui ne se porte plus garant des lois fondamentales de l’interdit du meurtre et de l’inceste fracture le groupe des frères.

L’interdit du meurtre est bafoué ; l’alcoolisme, en tant qu’atteinte volontaire à la propre vie du sujet, est en effet une forme de meurtre.

L’idéal commun du respect de la vie comme la notion d’un Surmoi protecteur sont perdus.

La horde reprend ses droits, et toute une panoplie d’affects vont être convoqués cf. : déni de l’alcoolisation du parent ; souhaits de mort /surprotection ; hyper responsabilité /fuite (drogues, études…), identification avec sentiments de honte et de culpabilité.

..)

L’unité fraternelle est rompue par les différences de réactions entre frères et sœurs : le contrat narcissique va se modifier, les pactes de dénis, clivages, silence, vont prévaloir, la parole pouvant souvent alors s’avérer dangereuse.

L’interdit de l’inceste : dans ce contexte alcoolisé, cet interdit peut ne pas être très clairement établi et la limite entre le fantasme et l’acte se voir des lors dépassée. On peut rencontrer des incestes parentaux et adelphiques.

L’inceste parental

A côté des cas de rapports sexuels ou attouchements, on rencontre très fréquemment des relations dites “incestuelles” (qui concernent des regards, des gestes, des allusions), provoquées par une trop grande proximité avec le corps du parent du fait de son alcoolisation.

Les enfants sont souvent coincés entre le désir d’aider, l’excitation sexuelle et œdipienne, et la honte et la culpabilité.

La réalisation des souhaits œdipiens est une violence pour l’enfant touché mais également pour les autres, qui peuvent s’identifier à la victime, mais aussi se sentir exclus d’une relation privilégiée au parent. La différence générationnelle, gage de l’identification de la fratrie, est d’emblée pervertie.

L’inceste adelphique

L’hypothèse formulée par Blandine Faoro Kreit est que cette forme particulière d’inceste, dans ce contexte, relève de procédés auto-calmants ; le déplacement sur une autre scène de l’excitation traumatique peut permettre de s’abstraire de la situation tout en ayant l’illusion de la maitriser. Ici, toute fantasmatisation est figée, l’imaginaire et le symbolique sont court-circuités par l’acte et l’excitation prime.

La recherche du corps du frère ou de la sœur peut faire penser à des retrouvailles régressives avec le corps de la mère annulant la séparation première.

On est loin d’une passion amoureuse ou d’une séduction fraternelle ; il s’agit d’une solution d’urgence, momentanée, face à une situation traumatique. Ces conduites, chargées après coup de honte et de culpabilité, vont souvent casser le lien fraternel à l’âge adulte. l

Le contrat narcissique qui lie les membres est donc ici invalidant, obligeant le sujet à adopter des comportements défensifs primaires (déni, clivage), qui lui sont imposés par le système familial.

Les identifications figées : les identifications, au lieu de pouvoir s’étayer sur les différents membres de façon variée et souple, se rigidifient, et sont attendues par le groupe de façon implicite.

Les risques de ces prises en charge : face à ce contrat narcissique, chaque dérogation aux lois implicites groupales qui peuvent être soutenues au cours d’une thérapie va en effet risquer de compromettre l’équilibre de la famille.

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L’identification projective, si simple et si complexe

29.11.2017

I. Françoise Labbé

A partir de Freud, Mélanie Klein conceptualise l’identification projective

En 1911, avec le cas Schreber, Freud met en évidence le phénomène de projection, responsable du délire de persécution. Avec « l’homme aux loups », il précisera sa conception d’un monde interne projeté sur l’extérieur.

Poursuivant les recherches de Freud, à partir du traitement des enfants et des psychotiques, Mélanie Klein va s’attacher à l’étude des angoisses les plus archaïques qui sous-tendent la névrose infantile, et mettra l’accent sur la dualité des instincts de vie et de mort. Les mécanismes de défense à l’œuvre sont décrits : identification projective, clivage Moi/objet, déni, omnipotence, idéalisation et projection ; ceux-ci, associés à l’angoisse persécutive, vont constituer la position schizo-paranoïde. Quand l’enfant prend conscience de l’objet total, de sa dépendance et donc du risque de sa perte, se constitue la position dépressive.

Mélanie Klein va étudier le rôle du symbole comme moyen de communication du sujet avec le monde extérieur ;ell développe ainsi sa technique de thérapie par le jeu.

En 1946, dans sa « Note sur quelques mécanismes schizoïdes », Mélanie Klein définit l’identification projective comme le prototype de la relation d’objet agressive, attaque anale par intrusion en force de parties du Moi dans un objet afin de s’emparer des ses contenus ou de le contrôler. Ce fantasme, consistant en parties de soi qui se trouvent localisées à l’extérieur, peut amener à un sentiment d’identité affaibli pouvant aller jusqu’à la dépersonnalisation, voire à la pathologie sévère du développement du Moi chez le schizophrène.

Le concept d’identification projective, entièrement établi dans son cadre théorique en 1946, se différencie de la projection décrite par Freud qui elle concerne la totalité et non des parties de soi qui peuvent être projetées.

Françoise Labbé rappelle le travail de K. Abraham sur les états maniaco-dépressifs avec l’existence de cycles de projection suivis d’une introjection récupératrice (1924), qui va être déterminant et asseoir les nouvelles conceptions des relations d’objets, principalement en Grande-Bretagne.

Françoise Labbé termine cette première partie sur Mélanie Klein avec la construction du Moi et des objets. Celle-ci s’établit à partir de l’introjection d’objets, aboutissant à une assimilation par le Moi, qu’il ressent comme lui appartenant. Dans le même temps, les objets externes se construisent à partir d’aspects inhérents au Moi (fantasme inconscient) , et conjointement selon les caractéristiques des objets présents et passés.

Bion : la psychose, l’identification projective et la capacité de rêverie de la mère

Bion s’est beaucoup inspiré des textes de Freud (« Formulation sur les deux principes du cours des événements psychiques » (1911) et « Névroses et psychoses » (1924)), et a repris trois axes chez Mélanie Clein :

• La précocité du complexe d’Œdipe ;

• Le conflit pulsionnel entre pulsions de vie et pulsions de mort ;

• Le rapport entre épistémophilie et sadisme ;

Il s’intéresse essentiellement à la position schizo-paranoïde et introduit les notions d’indentification normale et pathologique :

– Dans la première, il s’agit d’introduire dans l’objet un état psychique pour entrer en communication avec lui à propos de cet état (contenance) ;

– Dans la seconde, il s’agit d’évacuer violemment un état douloureux pour obtenir un soulagement immédiat, et entrer de force dans un objet pour le contrôler.

Bion développe l’idée d’une part psychotique et non psychotique qui coexistent dans la personnalité.

La personnalité psychotique usera massivement de l’identification projective : les attaques vont détruire les liens de la conscience avec les impressions sensorielles de la réalité, mais également les liens au sein même de la pensé et ce, dès le début de la vie.

Dans la personnalité non psychotique , on est dans la position dépressive (objets totaux et non partiels), avec utilisation du refoulement (et non clivage).

Comment peut-on identifier l’identification projective ?

L’identification projective, nous dit Françoise Labbé, nous fait éprouver quelque chose qui ne peut s’exprimer en mots, comme un « transfert vécu » appartenant à un monde d’expériences subjectives et de fantasmes inconscients. A la différence du patient quand il projette, avec l’identification projective on ressent une émotion qui concerne la réalité psychique du patient. C’est à partir de ce ressenti qu’une élaboration du contre-transfert sera nécessaire pour ramener ce vécu à sa source.

Françoise Labbé termine sa présentation avec un cas clinique où elle montre bien comment son patient a pu déposer en elle sa haine et sa destructivité par identification projective, au lieu de ressentir lui-même ses affects dépressifs et mélancoliques.

II. Marie-Paule Durieux

Introduction

Pour Mélanie Klein, l’identification projective est un fantasme, une défense limitée à un psychisme. Pour Bion (« Aux sources de l’expérience »), il s’agit d’un mécanisme impliquant une relation entre deux personnes (mère/bébé, thérapeute/patient). Il s’agit pour le sujet de communiquer et faire ressentir à l’autre ses émotions primitives, externalisation qui va permettre la symbolisation de ces expériences émotionnelles, ainsi que le développement de la pensée et de la connaissance.

Pour Bion, les processus cognitifs se développent de manière tout à fait intriquée au développement affectif, les représentations émotionnelles atteignant progressivement des niveaux d’abstraction supérieurs. Dans « Eléments de psychanalyse », Bion va systématiser ce processus d’abstraction, notamment avec la grille et son axe vertical.

La théorie de l’identification projective est liée en outre à deux éléments théoriques :

• Le modèle contenant-contenu (♀ ♂) qui rend compte de la manière dont les pensées se construisent à travers l’identification projective ;

• Le modèle PsD : l’oscillation entre la position schizo-paranoïde et dépressive.

Identification projective et fonction alpha

Bion postule chez tout sujet l’existence d’une fonction alpha qui lui permet de comprendre sa propre expérience émotionnelle et celle des autres, permettant ainsi l’élaboration de la position dépressive. Cette fonction alpha va permettre la représentation de l’expérience émotionnelle sous forme d’éléments alpha, qui vont constituer une première forme de symbolisation et une barrière de contact entre le conscient et l’inconscient.

Comment se développe cette fonction alpha et quel est son lien avec l’identification projective ?

Bion revient à la dyade mère-bébé, où l’amour maternel va s’exprimer par la rêverie : la rêverie, facteur de la fonction alpha, désigne l’état d’esprit réceptif de la mère, qui va accueillir les identifications projectives du bébé.

Cette capacité de rêverie est désignée comme élément féminin en creux, comme un contenant qui va accueillir les affects bruts du bébé, ces derniers désignés par Bion comme les éléments beta. Ces vécus primitifs vont être vécus et retenus par la mère ; elle va les détoxifier en les pensant (grâce à sa fonction alpha) et les renvoyer à son bébé sous une forme assimilable par la pensée (élément alpha).

Ce que le bébé introjecte, ce sont les éléments alpha, mais aussi la fonction alpha maternelle, c’est-à-dire la capacité élaborative. Est donc introjecté un contenant-contenu, que Bion va imager à partir de l’union et l’échange entre un sein et une bouche, modèle qui sera ensuite introjecté. C’est donc la mère qui ouvre pour son bébé le champ de la connaissance, que Bion va représenter par le lien C.

Marie-Paule Durieux poursuit en dépliant le modèle bionien de la naissance de la pensée.

Lorsque le bébé a faim, il a le sentiment d’avoir un mauvais sein (élément beta) en lui ; si le sein réel (la chose en soi) se présente, le bébé a le sentiment d’évacuer le mauvais sein. Dans l’attente du sein, va se former une préconception ; quand celui-ci se présente, la préconception va s’unir à une réalisation pour donner une conception. Par contre , si le sein ne se présente pas, si les vécus de haine, d’envie, sont trop intenses, le bébé va ressentir une angoisse majeure de détruire la personne qu’il aime. A la différence de Mélanie Klein (clivage bon-mauvais sein), Bion va décrire comme défenses contre ces angoisses une autre forme de clivage entre les besoins d’amour (satisfaction psychique) et les besoins matériels et l’attaque de l’appareil à penser les pensées avec la destruction partielle de la fonction alpha du bébé.

L’oscillation entre position schizo-paranoïde (clivage) et position dépressive (formation des liens) va devenir une modalité générale du fonctionnement de la pensée et de son développement.

• Ps : position défensive marquée par l’absence de lien, la dispersion.

• D : position de l’intégration et de la liaison.

La transformation de Ps vers D va permettre à la psyché de relier les différentes expériences ou éléments psychiques pour qu’une cohérence, un sens, émerge.

Marie-Paule Durieux va poursuivre son exposé en évoquant le roman « Harry Potter ». Elle nous montre, au fil du destin croisé de deux adolescents, à quel point le roman illustre parfaitement les théories de Bion, notamment l’importance de la qualité des premiers liens qui vont permettre d’aborder la position dépressive. L’analyse « bionienne » de la personnalité des différents protagonistes va amener Marie-Paule Durieux à introduire, en dernière partie, la théorie de Cramer et Palacio-Espasa qui ont théorisé différemment l’identification projective.

Ceux-ci s’intéressent en effet particulièrement au fait que la naissance d’un enfant confronte les parents à la reviviscence de certaines expériences de leur propre vécu infantile inconscient qui vont être source d’identifications projectives sur l’enfant et de la mise en scène dans l’interaction avec lui de certains scénarii inconscients.

Pour illustrer cette dimension transgénérationnelle, Marie-Paule Durieux terminera son exposé avec une situation clinique.

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27/11/2017: L’identification projective, si simple et si complexe

27.11.2017

I. Françoise Labbé

A partir de Freud, Mélanie Klein conceptualise l’identification projective

En 1911, avec le cas Schreber, Freud met en évidence le phénomène de projection, responsable du délire de persécution. Avec « l’homme aux loups », il précisera sa conception d’un monde interne projeté sur l’extérieur.

Poursuivant les recherches de Freud, à partir du traitement des enfants et des psychotiques, Mélanie Klein va s’attacher à l’étude des angoisses les plus archaïques qui sous-tendent la névrose infantile, et mettra l’accent sur la dualité des instincts de vie et de mort. Les mécanismes de défense à l’œuvre sont décrits : identification projective, clivage Moi/objet, déni, omnipotence, idéalisation et projection ; ceux-ci, associés à l’angoisse persécutive, vont constituer la position schizo-paranoïde. Quand l’enfant prend conscience de l’objet total, de sa dépendance et donc du risque de sa perte, se constitue la position dépressive.

Mélanie Klein va étudier le rôle du symbole comme moyen de communication du sujet avec le monde extérieur ;ell développe ainsi sa technique de thérapie par le jeu.

En 1946, dans sa « Note sur quelques mécanismes schizoïdes », Mélanie Klein définit l’identification projective comme le prototype de la relation d’objet agressive, attaque anale par intrusion en force de parties du Moi dans un objet afin de s’emparer des ses contenus ou de le contrôler. Ce fantasme, consistant en parties de soi qui se trouvent localisées à l’extérieur, peut amener à un sentiment d’identité affaibli pouvant aller jusqu’à la dépersonnalisation, voire à la pathologie sévère du développement du Moi chez le schizophrène.

Le concept d’identification projective, entièrement établi dans son cadre théorique en 1946, se différencie de la projection décrite par Freud qui elle concerne la totalité et non des parties de soi qui peuvent être projetées.

Françoise Labbé rappelle le travail de K. Abraham sur les états maniaco-dépressifs avec l’existence de cycles de projection suivis d’une introjection récupératrice (1924), qui va être déterminant et asseoir les nouvelles conceptions des relations d’objets, principalement en Grande-Bretagne.

Françoise Labbé termine cette première partie sur Mélanie Klein avec la construction du Moi et des objets. Celle-ci s’établit à partir de l’introjection d’objets, aboutissant à une assimilation par le Moi, qu’il ressent comme lui appartenant. Dans le même temps, les objets externes se construisent à partir d’aspects inhérents au Moi (fantasme inconscient) , et conjointement selon les caractéristiques des objets présents et passés.

Bion : la psychose, l’identification projective et la capacité de rêverie de la mère

Bion s’est beaucoup inspiré des textes de Freud (« Formulation sur les deux principes du cours des événements psychiques » (1911) et « Névroses et psychoses » (1924)), et a repris trois axes chez Mélanie Clein :

• La précocité du complexe d’Œdipe ;

• Le conflit pulsionnel entre pulsions de vie et pulsions de mort ;

• Le rapport entre épistémophilie et sadisme ;

Il s’intéresse essentiellement à la position schizo-paranoïde et introduit les notions d’indentification normale et pathologique :

– Dans la première, il s’agit d’introduire dans l’objet un état psychique pour entrer en communication avec lui à propos de cet état (contenance) ;

– Dans la seconde, il s’agit d’évacuer violemment un état douloureux pour obtenir un soulagement immédiat, et entrer de force dans un objet pour le contrôler.

Bion développe l’idée d’une part psychotique et non psychotique qui coexistent dans la personnalité.

La personnalité psychotique usera massivement de l’identification projective : les attaques vont détruire les liens de la conscience avec les impressions sensorielles de la réalité, mais également les liens au sein même de la pensé et ce, dès le début de la vie.

Dans la personnalité non psychotique , on est dans la position dépressive (objets totaux et non partiels), avec utilisation du refoulement (et non clivage).

Comment peut-on identifier l’identification projective ?

L’identification projective, nous dit Françoise Labbé, nous fait éprouver quelque chose qui ne peut s’exprimer en mots, comme un « transfert vécu » appartenant à un monde d’expériences subjectives et de fantasmes inconscients. A la différence du patient quand il projette, avec l’identification projective on ressent une émotion qui concerne la réalité psychique du patient. C’est à partir de ce ressenti qu’une élaboration du contre-transfert sera nécessaire pour ramener ce vécu à sa source.

Françoise Labbé termine sa présentation avec un cas clinique où elle montre bien comment son patient a pu déposer en elle sa haine et sa destructivité par identification projective, au lieu de ressentir lui-même ses affects dépressifs et mélancoliques.

II. Marie-Paule Durieux

Introduction

Pour Mélanie Klein, l’identification projective est un fantasme, une défense limitée à un psychisme. Pour Bion (« Aux sources de l’expérience »), il s’agit d’un mécanisme impliquant une relation entre deux personnes (mère/bébé, thérapeute/patient). Il s’agit pour le sujet de communiquer et faire ressentir à l’autre ses émotions primitives, externalisation qui va permettre la symbolisation de ces expériences émotionnelles, ainsi que le développement de la pensée et de la connaissance.

Pour Bion, les processus cognitifs se développent de manière tout à fait intriquée au développement affectif, les représentations émotionnelles atteignant progressivement des niveaux d’abstraction supérieurs. Dans « Eléments de psychanalyse », Bion va systématiser ce processus d’abstraction, notamment avec la grille et son axe vertical.

La théorie de l’identification projective est liée en outre à deux éléments théoriques :

• Le modèle contenant-contenu (♀ ♂) qui rend compte de la manière dont les pensées se construisent à travers l’identification projective ;

• Le modèle PsD : l’oscillation entre la position schizo-paranoïde et dépressive.

Identification projective et fonction alpha

Bion postule chez tout sujet l’existence d’une fonction alpha qui lui permet de comprendre sa propre expérience émotionnelle et celle des autres, permettant ainsi l’élaboration de la position dépressive. Cette fonction alpha va permettre la représentation de l’expérience émotionnelle sous forme d’éléments alpha, qui vont constituer une première forme de symbolisation et une barrière de contact entre le conscient et l’inconscient.

Comment se développe cette fonction alpha et quel est son lien avec l’identification projective ?

Bion revient à la dyade mère-bébé, où l’amour maternel va s’exprimer par la rêverie : la rêverie, facteur de la fonction alpha, désigne l’état d’esprit réceptif de la mère, qui va accueillir les identifications projectives du bébé.

Cette capacité de rêverie est désignée comme élément féminin en creux, comme un contenant qui va accueillir les affects bruts du bébé, ces derniers désignés par Bion comme les éléments beta. Ces vécus primitifs vont être vécus et retenus par la mère ; elle va les détoxifier en les pensant (grâce à sa fonction alpha) et les renvoyer à son bébé sous une forme assimilable par la pensée (élément alpha).

Ce que le bébé introjecte, ce sont les éléments alpha, mais aussi la fonction alpha maternelle, c’est-à-dire la capacité élaborative. Est donc introjecté un contenant-contenu, que Bion va imager à partir de l’union et l’échange entre un sein et une bouche, modèle qui sera ensuite introjecté. C’est donc la mère qui ouvre pour son bébé le champ de la connaissance, que Bion va représenter par le lien C.

Marie-Paule Durieux poursuit en dépliant le modèle bionien de la naissance de la pensée.

Lorsque le bébé a faim, il a le sentiment d’avoir un mauvais sein (élément beta) en lui ; si le sein réel (la chose en soi) se présente, le bébé a le sentiment d’évacuer le mauvais sein. Dans l’attente du sein, va se former une préconception ; quand celui-ci se présente, la préconception va s’unir à une réalisation pour donner une conception. Par contre , si le sein ne se présente pas, si les vécus de haine, d’envie, sont trop intenses, le bébé va ressentir une angoisse majeure de détruire la personne qu’il aime. A la différence de Mélanie Klein (clivage bon-mauvais sein), Bion va décrire comme défenses contre ces angoisses une autre forme de clivage entre les besoins d’amour (satisfaction psychique) et les besoins matériels et l’attaque de l’appareil à penser les pensées avec la destruction partielle de la fonction alpha du bébé.

L’oscillation entre position schizo-paranoïde (clivage) et position dépressive (formation des liens) va devenir une modalité générale du fonctionnement de la pensée et de son développement.

• Ps : position défensive marquée par l’absence de lien, la dispersion.

• D : position de l’intégration et de la liaison.

La transformation de Ps vers D va permettre à la psyché de relier les différentes expériences ou éléments psychiques pour qu’une cohérence, un sens, émerge.

Marie-Paule Durieux va poursuivre son exposé en évoquant le roman « Harry Potter ». Elle nous montre, au fil du destin croisé de deux adolescents, à quel point le roman illustre parfaitement les théories de Bion, notamment l’importance de la qualité des premiers liens qui vont permettre d’aborder la position dépressive. L’analyse « bionienne » de la personnalité des différents protagonistes va amener Marie-Paule Durieux à introduire, en dernière partie, la théorie de Cramer et Palacio-Espasa qui ont théorisé différemment l’identification projective.

Ceux-ci s’intéressent en effet particulièrement au fait que la naissance d’un enfant confronte les parents à la reviviscence de certaines expériences de leur propre vécu infantile inconscient qui vont être source d’identifications projectives sur l’enfant et de la mise en scène dans l’interaction avec lui de certains scénarii inconscients.

Pour illustrer cette dimension transgénérationnelle, Marie-Paule Durieux terminera son exposé avec une situation clinique.

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25/10/2017: Pas si facile d’aimer, les échecs de l’identification introjective

25.10.2017

Il arrive que des patients, alors qu’ils sont par ailleurs engagés dans une alliance thérapeutique positive et que leurs capacités à symboliser sont satisfaisantes, rencontrent des difficultés dans l’évolution de leur travail. Stagnation, recul, ralentissement…

Cela peut-il être dû, se demandent C.Keyeux et A. Pairon, au fait que ces patients, qui ne semblent pouvoir utiliser ni le thérapeute ni le travail, présentent une carence d’introjection de l’objet.

Les deux intervenantes nous invitent ici à revisiter, à travers l’éclairage de plusieurs auteurs, le concept d’identification introjective et les problèmes qu’entraîne sa défaillance dans le décours d’un processus thérapeutique.

Identification/introjection

C’est Freud le premier qui, à travers la découverte qu’il fait du transfert dans l’analyse de Dora, parle de l’identification (identification hystérique) et du processus par lequel un sujet assimile une propriété ou un attribut de l’autre, et se transforme sur le modèle de celui-ci.

Ferenczi, à la suite de cela, introduit en 1909 dans “Introjection et Transfert”, le terme d’introjection, forgé en symétrie avec celui de projection.

“Tandis que le paranoïaque expulse de son moi les tendances devenues déplaisantes, le névrosé cherche la solution en faisant entrer dans son moi la plus grande partie possible du monde extérieur. On peut donc donner à ce processus, en contraste avec la projection, le nom d’introjection”.

Freud, en 1915 dans “Pulsions et Destins des Pulsions”, adopte cette notion et parle de l’amour narcissique, qui est premier, et qui s’étend plus tard aux objets qui ont été incorporés au moi.

Identification projective/identification introjective

Mais c’est M.Klein qui définit la première l’identification projective et l’identification introjective, et qui s’attache à décrire les aller et retour fantasmatiques des « bons » et « mauvais » objets (introjection, projection, réintrojection). Elle parle alors essentiellement d’objets introjectés.

L’objet externe, nous rappelle Catherine Keyeux, étant à entendre comme la représentation que le sujet a de l’autre, sachant que cette représentation se fait “à travers” l’objet interne. L’objet interne n’est donc pas identique à l’objet externe et n’est pas une entité consciente.

Esther Bick poursuit et postule que dans les tout premiers moments de la vie du nourrisson, les différentes parties du self sont ressenties comme non liées. Elles sont maintenues ensemble par la peau, qui fonctionne comme une frontière.

Cette fonction que doit avoir la peau de contenir les parties entre elles dépend, dit E. Bick, de l’introjection d’un objet contenant capable de remplir cette fonction.

Il s’agit dès lors de la première introjection d’un objet contenant qui fournit un espace dans lequel des objets pourront être introjectés.

M. Klein définit l’identification projective comme le moyen de défense qu’a le bébé de se débarrasser de ce qu’il ressent comme mauvais en lui en le projetant dans la mère.

W.Bion, lui, insistera sur l’aspect introjectif de l’identification projective en disant que la mère doit être le contenant qui va d’abord accepter de recevoir les identifications projectives de son bébé et puis de les transformer. C’est donc par cette capacité de la mère à introjecter les identifications projectives du bébé qu’elle pourra les détoxiquer et les restituer au bébé sous une forme tolérable.

Pour pouvoir être contenant, dit D. Meltzer, l’objet doit posséder certaines qualités, dont quatre essentielles et indispensables: avoir des limites, être un lieu de confort, être dans un lien d’intimité avec le bébé, et lui renvoyer le sentiment d’être unique.

L’identification à cette fonction contenante de l’objet remplacera alors l’état non intégré du bébé et lui permettra progressivement de développer un espace interne.

L’introjection progressive du contenant, ou de la fonction contenante, est donc préalable à toute introjection ultérieure, et est un processus inhérent à la formation même du moi. Elle constitue le sentiment basal d’identité, et suppose la distinction entre un moi et un autre moi.

Elle sous-tend l’individuation.

En cas d’échec, il n’y a pas de sentiment d’espace interne, et le bébé collera alors à l’objet dans une bi-dimensionnalité.

Le commencement du moi est ainsi défini par les premières introjections d’une autre identité psychique, et tout progrès psychique est ainsi considéré comme résultant de l’introjection de l’entourage par l’enfant (A. Ciccone et L. Lhopital).

Identification introjective

P. Luquet, dans son rapport aux Romanes (1961), explique que l’identification définit un des modes essentiels de notre rencontre avec l’autre, tant pour le comprendre et lui apporter, que pour recevoir de lui. S’identifier, c’est devenir soi même, trouver sa vérité, mais c’est au contraire imiter, et faire comme si, en cas d’échec de l’identification.

Quand l’objet est introjecté, il nourrit le self qui s’en trouve enrichi. L’introjection identificatoire établit l’objet dans le moi. Elle l’intègre au moi, tout en le dé-soudant de l’objet externe ce qui favorisera son indépendance. Certaines formes d’introjection de l’objet amènent un empiétement du Moi, empêchant la croissance et le développement psychique. Pierre Luquet parle alors d’identification imagoïque, par opposition à une identification assimilatrice qui peut enrichir le moi et étaye son narcissisme.

introjection/ incorporation – échecs de l’introjection

Maria Torok insiste quant à elle sur la distinction entre incorporation et introjection.

En quoi ces deux processus sont-ils différents, et quelles peuvent en être les conséquences pour le sujet.

Avant d’introjecter, c’est à dire d’intérioriser, d’intégrer la nourriture mentale, le savoir, le sujet incorpore, s’identifie projectivement au maître, nourrit le fantasme d’entrer dans le corps de l’objet, et d’être comme”. Cette incorporation fait partie du deuil normal puisqu’il permet une temporisation pour le réaménagement libidinal.

C’est dans un deuxième temps seulement que cette identification projective cédera la place à l’identification introjective.

L’introjection conduit à un élargissement du moi, elle met fin à la dépendance d’avec l’objet. Elle a un caractère progressif. Il s’agit d’un phénomène de l’ordre de la croissance, qui favorise l’indépendance et l’autonomie. Elle produit un objet interne.

L’incorporation quant à elle, a un caractère instantané et magique, elle produit une imago. Incorporer, c’est refuser le deuil et ses conséquences, c’est refuser la perte, et le processus qui permet de devenir autre. L’introjection, dans le cas de la mélancolie, nous disait déjà Freud, décrit davantage un raté de l’introjection qu’une introjection véritable. Quand l’objet est incorporé, le self n’est plus enrichi par l’objet, il est dans l’objet.

Incorporer c’est refuser d’introduire en soi la partie de soi même déposée dans ce qui est perdu, c’est refuser de savoir le vrai sens de la perte, celui qui ferait qu’en le sachant on serait autre. C’est refuser l’introjection.

Et pour faire le lien avec les patients

L’incorporation est donc nécessaire à l’introjection. Le passage du statut d’imago ou d’objet incorporé au statut d’objet interne représente l’essentiel du processus analytique, nous rappellent A. Ciccone et M. Lhopital.

Les défauts d’introjection ou d’identification introjective peuvent conduire, nous expliquent-ils, à la constitution d’un “faux self”. Le sujet met son self à l’abri derrière un self qui répond aux attentes de l’autre. Son propre self ne se développe pas. Alors que l’incorporation maintient le lien de dépendance à l’objet, l’introjection réussie permet au moi de se différencier de de vivre une dépendance bien tempérée à l’objet.

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25/10/2017: Pas si facile d’aimer, les échecs de l’identification introjective

Il arrive que des patients, alors qu’ils sont par ailleurs engagés dans une alliance thérapeutique positive et que leurs capacités à symboliser sont satisfaisantes, rencontrent des difficultés dans l’évolution de leur travail. Stagnation, recul, ralentissement…

Cela peut-il être dû, se demandent C.Keyeux et A. Pairon, au fait que ces patients, qui ne semblent pouvoir utiliser ni le thérapeute ni le travail, présentent une carence d’introjection de l’objet.

Les deux intervenantes nous invitent ici à revisiter, à travers l’éclairage de plusieurs auteurs, le concept d’identification introjective et les problèmes qu’entraîne sa défaillance dans le décours d’un processus thérapeutique.

Identification/introjection

C’est Freud le premier qui, à travers la découverte qu’il fait du transfert dans l’analyse de Dora, parle de l’identification (identification hystérique) et du processus par lequel un sujet assimile une propriété ou un attribut de l’autre, et se transforme sur le modèle de celui-ci.

Ferenczi, à la suite de cela, introduit en 1909 dans “Introjection et Transfert”, le terme d’introjection, forgé en symétrie avec celui de projection.

“Tandis que le paranoïaque expulse de son moi les tendances devenues déplaisantes, le névrosé cherche la solution en faisant entrer dans son moi la plus grande partie possible du monde extérieur. On peut donc donner à ce processus, en contraste avec la projection, le nom d’introjection”.

Freud, en 1915 dans “Pulsions et Destins des Pulsions”, adopte cette notion et parle de l’amour narcissique, qui est premier, et qui s’étend plus tard aux objets qui ont été incorporés au moi.

Identification projective/identification introjective

Mais c’est M.Klein qui définit la première l’identification projective et l’identification introjective, et qui s’attache à décrire les aller et retour fantasmatiques des « bons » et « mauvais » objets (introjection, projection, réintrojection). Elle parle alors essentiellement d’objets introjectés.

L’objet externe, nous rappelle Catherine Keyeux, étant à entendre comme la représentation que le sujet a de l’autre, sachant que cette représentation se fait “à travers” l’objet interne. L’objet interne n’est donc pas identique à l’objet externe et n’est pas une entité consciente.

Esther Bick poursuit et postule que dans les tout premiers moments de la vie du nourrisson, les différentes parties du self sont ressenties comme non liées. Elles sont maintenues ensemble par la peau, qui fonctionne comme une frontière.

Cette fonction que doit avoir la peau de contenir les parties entre elles dépend, dit E. Bick, de l’introjection d’un objet contenant capable de remplir cette fonction.

Il s’agit dès lors de la première introjection d’un objet contenant qui fournit un espace dans lequel des objets pourront être introjectés.

M. Klein définit l’identification projective comme le moyen de défense qu’a le bébé de se débarrasser de ce qu’il ressent comme mauvais en lui en le projetant dans la mère.

W.Bion, lui, insistera sur l’aspect introjectif de l’identification projective en disant que la mère doit être le contenant qui va d’abord accepter de recevoir les identifications projectives de son bébé et puis de les transformer. C’est donc par cette capacité de la mère à introjecter les identifications projectives du bébé qu’elle pourra les détoxiquer et les restituer au bébé sous une forme tolérable.

Pour pouvoir être contenant, dit D. Meltzer, l’objet doit posséder certaines qualités, dont quatre essentielles et indispensables: avoir des limites, être un lieu de confort, être dans un lien d’intimité avec le bébé, et lui renvoyer le sentiment d’être unique.

L’identification à cette fonction contenante de l’objet remplacera alors l’état non intégré du bébé et lui permettra progressivement de développer un espace interne.

L’introjection progressive du contenant, ou de la fonction contenante, est donc préalable à toute introjection ultérieure, et est un processus inhérent à la formation même du moi. Elle constitue le sentiment basal d’identité, et suppose la distinction entre un moi et un autre moi.

Elle sous-tend l’individuation.

En cas d’échec, il n’y a pas de sentiment d’espace interne, et le bébé collera alors à l’objet dans une bi-dimensionnalité.

Le commencement du moi est ainsi défini par les premières introjections d’une autre identité psychique, et tout progrès psychique est ainsi considéré comme résultant de l’introjection de l’entourage par l’enfant (A. Ciccone et L. Lhopital).

Identification introjective

P. Luquet, dans son rapport aux Romanes (1961), explique que l’identification définit un des modes essentiels de notre rencontre avec l’autre, tant pour le comprendre et lui apporter, que pour recevoir de lui. S’identifier, c’est devenir soi même, trouver sa vérité, mais c’est au contraire imiter, et faire comme si, en cas d’échec de l’identification.

Quand l’objet est introjecté, il nourrit le self qui s’en trouve enrichi. L’introjection identificatoire établit l’objet dans le moi. Elle l’intègre au moi, tout en le dé-soudant de l’objet externe ce qui favorisera son indépendance. Certaines formes d’introjection de l’objet amènent un empiétement du Moi, empêchant la croissance et le développement psychique. Pierre Luquet parle alors d’identification imagoïque, par opposition à une identification assimilatrice qui peut enrichir le moi et étaye son narcissisme.

introjection/ incorporation – échecs de l’introjection

Maria Torok insiste quant à elle sur la distinction entre incorporation et introjection.

En quoi ces deux processus sont-ils différents, et quelles peuvent en être les conséquences pour le sujet.

Avant d’introjecter, c’est à dire d’intérioriser, d’intégrer la nourriture mentale, le savoir, le sujet incorpore, s’identifie projectivement au maître, nourrit le fantasme d’entrer dans le corps de l’objet, et d’être comme”. Cette incorporation fait partie du deuil normal puisqu’il permet une temporisation pour le réaménagement libidinal.

C’est dans un deuxième temps seulement que cette identification projective cédera la place à l’identification introjective.

L’introjection conduit à un élargissement du moi, elle met fin à la dépendance d’avec l’objet. Elle a un caractère progressif. Il s’agit d’un phénomène de l’ordre de la croissance, qui favorise l’indépendance et l’autonomie. Elle produit un objet interne.

L’incorporation quant à elle, a un caractère instantané et magique, elle produit une imago. Incorporer, c’est refuser le deuil et ses conséquences, c’est refuser la perte, et le processus qui permet de devenir autre. L’introjection, dans le cas de la mélancolie, nous disait déjà Freud, décrit davantage un raté de l’introjection qu’une introjection véritable. Quand l’objet est incorporé, le self n’est plus enrichi par l’objet, il est dans l’objet.

Incorporer c’est refuser d’introduire en soi la partie de soi même déposée dans ce qui est perdu, c’est refuser de savoir le vrai sens de la perte, celui qui ferait qu’en le sachant on serait autre. C’est refuser l’introjection.

Et pour faire le lien avec les patients

L’incorporation est donc nécessaire à l’introjection. Le passage du statut d’imago ou d’objet incorporé au statut d’objet interne représente l’essentiel du processus analytique, nous rappellent A. Ciccone et M. Lhopital.

Les défauts d’introjection ou d’identification introjective peuvent conduire, nous expliquent-ils, à la constitution d’un “faux self”. Le sujet met son self à l’abri derrière un self qui répond aux attentes de l’autre. Son propre self ne se développe pas. Alors que l’incorporation maintient le lien de dépendance à l’objet, l’introjection réussie permet au moi de se différencier de de vivre une dépendance bien tempérée à l’objet.

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James Innes-Smith

04.10.2017

Edinburgh, 14.4.1926-Brussel, 31.1.1999

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James Innes-Smith

Edinburgh, 14.4.1926-Brussel, 31.1.1999

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20/09/2017: Les mille et une facettes de l’identification

20.09.2017

Depuis son introduction en 1896, le concept d’identification qui a subi de nombreux développements, reste et s’impose comme un concept psychanalytique central.

Si Freud aborde les processus identificatoires essentiellement du côté de l’intrapsychique, Marie France Dispaux se propose dans cet exposé introductif, d’aborder la pensée d’autres analystes (M. Klein, Bion,) qui eux mettront en évidence le rôle fondamental de l’objet: devenir soi implique d’en passer par l’autre, un autre comme objet identificatoire réfléchissant, au risque de ne plus être soi.

Les exposés de cette année vont donc illustrer la variété et la complexité des mécanismes identificatoires, au regard de différents courants de pensée.

Nous commençons par la projection d’un extrait du film de Woody Allen, Zelig (1983); véritable homme caméléon, il capable d’endosser toutes les apparences pour se faire apprécier, et invite le spectateur à la réflexion suivante: comment ne pas se conformer à l’image qu’autrui a de nous?

A propos de l’identification

L’identification est une notion difficilement cernable qui “travaille en silence”, nous dira Freud, et dont les approches ont été multiples. De Mijolla a en effet répertorié plus de 60 qualificatifs pour définir l’identification: primaire, secondaire, adhésive, en abime, etc.

Reprenant le dictionnaire, Marie France Dispaux souligne les deux principes opposés qui sont présents dans l’identification: le principe de similitude et le principe de distinction. Ceux-ci se retrouvent dans les trois formes du verbe identifier: forme active (identifier quelqu’un), passive (être identifié par), forme réfléchie (s’identifier à).

Dans le dictionnaire de la psychanalyse (Laplanche et Pontalis), s’identifier est à la fois devenir comme, prendre en soi un peu de l’autre, et en même temps devenir soi.

Marie France Dispaux se propose de choisir le caractère contradictoire du processus identificatoire comme fil rouge à son parcours; une recherche de ce qui serait du côté des “bonnes identifications”, celles qui enrichissent la personnalité, et ce qui serait du côté des “mauvaises identifications”, celles qui appauvrissent, qui empiètent.

Marie France Dispaux commence par brosser un tableau des différents modes d’identification chez Freud.

• 1900: premier modèle: l’identification hystérique. Il s’agit d’un processus d’appropriation

inconscient, à l’oeuvre dans les rêves, mais aussi lié à la construction du moi .

• 1909: deuxième modèle: l’identification narcissique. Dans “un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci”, la première théorie du narcissisme apparait, liée à un double mouvement identificatoire; Freud y décrit le processus d’homosexualité primaire, la première identification à la mère, chez les deux sexes

Dans “Totem et Tabou”, l’identification va s’étayer sur l’incorporation orale de type cannibalique, apparaissant comme une forme archaïque de deuil.

• 1920: avec la deuxième topique, distinction entre 
- l’identification primaire: forme la plus originaire et archaïque du lien affectif à l’objet avant la différenciation moi/non moi.
- l’identification secondaire: héritière du complexe d’Oedipe, quand les investissements sur les parents sont peu à peu abandonnés et remplacés par des identifications.

Marie France Dispaux précise la distinction (pas toujours nette chez Freud) entre l’identification et d’autres processus proches comme l’incorporation ou l’introjection.

• L’incorporation recouvre trois processus: se donner du plaisir en faisant pénétrer un objet en soi, le détruire, et assimiler ses qualités en le conservant au-dedans de soi. Ce dernier aspect fait de l’incorporation la matrice de l’identification.

• L’introjection: processus décrit par Ferenczi, par lequel le sujet fait passer sur un mode fantasmatique du dehors au dedans des objets ou des qualités de l’objet. “Tout amour objectal chez le sujet normal comme chez le sujet névrosé est un élargissement du moi, une introjection”. Freud reprendra l’introjection dans “Pulsions et destins des pulsions”, l’opposant à la projection, mais sans prendre la visée de croissance du processus soulignée par Ferenczi.

La différence bonnes/mauvaises identifications ne sera pas abordée explicitement par Freud, néanmoins dans ses textes sur le narcissisme, il montrera à quel point l’identification narcissique est un processus massif et économiquement plus rigide. 

S. Ferenczi

L’identification à l’agresseur. Face au traumatisme, la peur ressentie par l’enfant l’oblige à se soumettre à la volonté de l’agresseur, à deviner ses moindres désirs, à s’identifier à lui.

L’enfant en sort dans la confusion et clivé.

M. Klein va mettre en évidence l’identification projective et introjective.

L’identification projective se fonde sur l’intrusion dans l’objet de parties du soi, nous rappelle Marie France Dispaux. Tout d’abord présenté comme mécanisme de défense où il s’agit de projeter les mauvaises parties du soi, Mélanie Klein va dégager la possibilité d’identification projective des bonnes parties du soi, permettant ainsi au nourrisson de développer de bonnes relations à la mère et d’intégrer son moi.

Identification projective des bonnes parties du soi et introjection du bon objet se retrouvent comme deux processus contemporains de la même fonction d’intégration. 
Dans l’identification projective des mauvaises parties du soi, celles-ci devront rester clivées, projetées dans l’objet, plutôt là comme un refus d’identification. 
Pour M. Klein, l’identification introjective est au coeur de la position dépressive et est proche de l’identification secondaire chez Freud.

P. Luquet (rapport des Romanes 1961) met en opposition deux processus identificatoires:

• L’identification imagoïque: processus d’incorporation contre l’absence de l’objet, mais provoquant une inclusion du mauvais objet qui demeure non assimilé. Le moi reste dépendant de cet objet.

• L’identification assimilatrice: si l’objet par contre est satisfaisant, il va se confondre avec le moi et viendra enrichir celui-ci, étayer son narcissisme et favoriser son indépendance.

Pour M. Abraham et M. Torok, poursuit Marie France Dispaux, l’incorporation correspond à un fantasme de non-introjection qui dispenserait du douloureux travail de deuil.

L’introjection est liée à des expériences de vide dans la bouche doublée d’une présence maternelle; ce vide, s’il n’est pas nourri de mots de la mère, sera vécu non comme un creux mais un vide sans fond et l’enfant aura alors recours au fantasme d’incorporation.

W. Bion reprendra ce rôle actif de la mère en parlant de “la capacité de rêverie de la mère”, lieu contenant et actif de transformation des identifications projectives du bébé.

Dans le cas contraire, si cette disponibilité n’est pas présente, l’identification projective s’intensifie et D.Meltzer parle “d’identification dans le claustrum”, fantasme omnipotent.

Piera Aulagnier va reprendre ces hypothèses en présentant la mère comme porte parole du corps et des affects de l’enfant, au sens d’une interprétation qui va donner sens à ceux-ci.

Mais, souligne-t-elle, pour que cette interprétation ait lieu, il est indispensable que le je de l’enfant soit d’emblée pensé comme non-identique au je de la mère; une fonction maternelle d’appropriation risquerait en effet de priver l’enfant de tout espace psychique propre.

Cl. Athanassiou (Aux sources de la vie psychique), à partir de son expérience avec les tout petits, nous confronte à un univers bi-dimensionnel avec l’identification adhésive, et unidimensionnel avec l’identification par agrippement, différents modes présents à des degrés divers dans les identifications narcissiques.

Face à la sensation de tomber dans le vide, le bébé va s’agripper à quelque chose de concret, objet inanimé ou sensation corporelle, qu’il pourra abandonner au retour de la mère.

Ce recours au “concret” renvoie, selon M. Abraham et M. Torok “à ce fantasme d’essence narcissique qui tend à transformer le monde plutôt qu’à porter atteinte à l’omnipotence du sujet”.

Marie France Dispaux fait alors un retour à Freud, et à la vision prévalente de la deuxième topique où le narcissisme serait un état d’autarcie. En 1914, dans “Pour introduire le narcissisme”, il semble tout prêt de découvrir le rôle de l’objet dans le passage de l’auto-érotisme au narcissisme, établissant la différenciation entre narcissisme de vie en lien avec l’objet, et narcissisme de mort tuant la présence de celui-ci.

Pour conclure, Marie France Dispaux évoque l’image d’une substance chez le bébé activement en quête de forme, qui va rencontrer un contenant actif lui aussi; forme qui, quand elle est suffisamment solide, va entamer le processus de différenciation.

Ainsi, termine t’elle “pour passer des identifications narcissiques aux identifications introjectives, il faut accepter le lâcher prise, de vivre un moment de creux, dans lequel coexistent le même et le différent, suspendu au dessus du filet patiemment tissé par le psychisme de la mère… ou de l’analyste”.

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