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Psychoanalysis.today

18.06.2018

Allez lire l’E-JOURNAL édité en cinq langues, un projet commun de l’Association Psychanalytique Internationale (API / IPA), de la Fédération Européenne de Psychanalyse (FEP / EPF) et des Fédérations des deux Amériques.

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23/05/2018: Identifications et sentiment d’identité : impasses et dégagements

23.05.2018

En première partie du séminaire, I. Lafarge s’intéresse aux héritages identificatoires opérant aux origines et, plus en amont encore, dans la généalogie. En effet, que reste-t-il des histoires de nos ancêtres, et de quels outils disposons-nous pour aider nos patients à échapper à la fatalité ?

Pour aborder les dimensions intergénérationnelles présentes dans le transfert, les rêves et les agirs qui imprègnent la cure, A. de Mijolla introduit le concept de « fantasmes d’identification inconsciente ».

Chaque enfant baigne dès sa conception dans un univers de double sens, objet de désirs inconscients et de discours parentaux contradictoires ; dans cet environnement ambigu, l’enfant va développer un appareil qui lui permet d’interpréter les réactions de ses semblables, dira Freud dans « Totem et Tabou ». Cet appareil à interpréter prend sa source dans ce qu’il perçoit de sa propre ambivalence pulsionnelle, des hiatus entre ce qui est communiqué et éprouvé, et déclenche la mise en action d’une pulsion d’investigation. Cette pulsion, forme sublimée et intellectualisée de la pulsion d’emprise, va s’employer à s’assurer de la présence des objets indispensables à sa survie.

A partir de la question sur son origine, et face à l’à-peu-près des réponses qu’il reçoit en poursuivant ses investigations, vont se créer les fantasmes des origines.

Trois opérations mentales – le jugement, l’activité fantasmatique et la pulsion d’investigation – s’associent alors pour donner naissance au roman familial.

L’enjeu de ce fantasme est de pouvoir commettre le sacrilège mental de se formuler n’être pas l’enfant de ses parents : étape importante vers l’autonomisation et la créativité, elle peut devenir dans certains cas source d’inhibitions, voire de troubles pathologiques (délire de filiation par exemple).

Les psychanalystes vont donc accompagner leurs patients dans le trajet d’une « autohistorisation » (P. Aulagnier), qu’A. de Mijolla propose de faire commencer dès la « préhistoire psychique » du bébé, renvoyant aux évènements réels et aux fantasmes des deux parents avant même l’annonce de la grossesse.

Cette préhistoire du sujet va trouver une expression fantasmatique dans ses théories sexuelles infantiles, imprégnée aussi de l’histoire des générations passées, de ses évènements, croyances, dissimulations, etc.

A de Mijolla réfute le terme de transgénérationnel, transmission d’inconscient à inconscient impliquant une notion de fatalité ; il parle d’intergénérationnel, insistant sur la nécessité d’un agent transmetteur, d’un tiers à l’origine du processus de la transmission et de l’élaboration des fantasmes d’identification.

On pense en particulier aux « parents des parents », personnages importants dans la constitution des fantasmes d’identification, figures du passé qui viennent apaiser, ou attiser, l’angoisse face au non-représentable de l’enfant à venir.

I. Lafarge termine par la question suivante : qu’en est-il des enfants adoptés, réfugiés sans leur famille, ou nés par procréation médicale ? Ne pouvant reconstituer la vérité historique de leurs origines, ils s’en créeront une autre, qui servira de base fantasmatique pour la génération suivante. Tant qu’il y aura des enfants conçus et qui devront être pris en charge du fait de leur inachèvement par des êtres humains, ces derniers seront investis comme des « transmetteurs ».

La seconde partie du séminaire, exposée par D. Messina, s’attache au rôle de l’identification de la mère à son bébé et du thérapeute à son patient.

L’origine de l’identification

L’amour des parents, dit Winnicott, permet de s’identifier au bébé et de pouvoir ainsi s’adapter aux besoins de celui-ci. Pour Bion, c’est la rêverie des parents qui leur permet cette identification, via les liens de base qui sont le lien Amour-Haine-Connaissance.

Cette individuation comporte des dimensions paradoxales , car c’est en effet par le détour de l’objet que nous nous sentons nous-même, à la fois semblable et différent des autres. L’éradication de toute altérité, dans les pathologies psychotiques, peut alors conduire à l’échec de l’élaboration de la scène primitive en barrant l’accès au tiers, au symbolique.

Différentes formes d’altérité, internes et externes, étayent la trame identitaire : elles émergent de groupements divers comme le groupe familial, professionnel, culturel, etc.

L’identité implique la réflexivité. Roussillon parle du concept de « relation en double homosexuel primaire », où le sujet va rencontrer un autre sujet, à la fois différencié et double de soi. Autre qui accepte de partager, réfléchir, c’est là le sens de la fonction primaire de Winnicott, qui caractérise le narcissisme primaire.

Green lui écrit : l’enfant aime exprimer la relation d’objet par identification : je suis l’objet. L’avoir est la relation ultérieure, avec le modèle du sein. M. Klein avait déjà souligné qu’une pleine identification à un bon objet permet au self d’avoir le sentiment de posséder une bonté qui lui est propre.

L’identification au patient

Dans le travail clinique infantile, il est essentiel, souligne Roussillon, de « maintenir active une pluri-identification conflictuelle, paradoxale, aux différents membres de la famille ; c’est en élaborant en lui-même cette conflictualité qu’il pourra permettre la reconstruction d’une zone commune, la relance des capacités identificatoires des membres de la famille entre eux, vers un « contrat narcissique familial » ».

Secondairement, la destructivité et l’envie pourront être élaborées, leur valeur autonomisante pourra être dégagée ,et mise au service des processus identificatoires.

M. Berger a souligné l’importance d’offrir un cadre souple dans ces consultations, permettant la transitionnalité, au risque sinon d’une rupture thérapeutique.

L’identification, équilibre entre parties Moi et non-Moi

Dans les consultations parents-enfants, le but est d’aider le sujet à trouver un équilibre intrapsychique entre ce qui est individuel au niveau fantasmatique ou des limites corporelles, et ce qui est une représentation du groupe familial intériorisé.

L’équilibre Moi / non-Moi est sans cesse à recréer, la différenciation étant l’objet d’une remise en cause permanente entre un fond symbiotique nécessaire et l’autonomisation par rapport à celui-ci.

Le détour par l’histoire individuelle des parents est toujours un moment déterminant, redonnant une temporalité à ce qui peut être figé, voire compulsivement répété ; l’identification reposera sur la reconnaissance du deuil, mécanisme structurant, sur la reconnaissance de la différence des sexes et des générations.

Le déni, le clivage, la forclusion, vont permettre le maintien d’une identification par l’adhésivité, la projection, avec l’impossibilité de faire le deuil des objets parentaux : la transmission repose alors sur l’ »héritage négatif « (R. Kaës), sur le manque de psychisation du traumatique. L’enfant devient alors le dépositaire de contenus non assimilables, issus de l’histoire infantile des parents.

Le suivi thérapeutique va mettre en évidence des scénarios narcissiques de la parentalité, décrits par Manzano et Palaccio-Espasa, où les projections de l’enfant rencontrent un « objet obstructif » (Bion) et vont générer des sentiments de persécution chez les parents.

L’identification à la fonction analytique

La mère permet non seulement la satisfaction des besoins du bébé, mais donne un sens à sa détresse : cette compréhension affective profonde est ce que Bion nomme le lien C. Processus ouvert à l’inconnu, il expose à la douleur, à la frustration et à l’incompréhension.

Le bébé, et le patient, au fil du processus thérapeutique, devient capable d’introjecter ses identifications projectives (éléments bêta) métabolisées, et acquiert progressivement la capacité de les rêver (fonction alpha). La position dépressive, la capacité de souffrir la souffrance, sont inhérentes au lien C. Eviter cette souffrance, l’évacuer par déni ou projection conduit à la méconnaissance, à la confusion, à l’omnipotence.

Résumé : CAMILLE MONTAUTI

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Baudouin de Lantsheere

21.04.2018

Monsieur Baudouin de Lantsheere

Médecin psychiatre, psychanalyste (SBP)
Médecin Capitaine-Commandant de réserve

Né à Woluwe-Saint-Lambert le 14 décembre 1942, décédé à Uccle le 21 avril 2018.

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Baudouin de Lantsheere

Monsieur Baudouin de Lantsheere

Médecin psychiatre, psychanalyste (SBP)
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Né à Woluwe-Saint-Lambert le 14 décembre 1942, décédé à Uccle le 21 avril 2018.

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18/04/2018: L’identification à l’agresseur

18.04.2018

L’identification à l’agresseur

L’identification à l’agresseur a été introduite dans la théorie psychanalytique par Sandor Ferenczi, psychanalyste hongrois, en 1933, et par Anna Freud, psychanalyste autrichienne et fille de Sigmund Freud, en 1936. Les enfants dont Anna Freud parle n’ont pas été maltraités : ils devancent une agression redoutée en s’identifiant à l’agresseur et en devenant agresseurs eux-mêmes. Chez Anna Freud, il s’agit d’agressions fantasmées ou mineures. Les exemples d’Anna Freud ont en commun le passage de la passivité à l’activité : l’enfant représente l’agresseur, lui reprend ses attributs ou son agression et se transforme de menacé en menaçant. L’identification à l’agresseur sert plutôt le règlement des conflits avec les objets extérieurs. Mais si l’on considère les exemples d’Anna Freud, les comportements des objets extérieurs ne sont pas tellement agressifs : on pourrait dire qu’il s’agit de craintes de punition. Telle que présentée par Anna Freud, l’identification à l’agresseur recoupe plusieurs mécanismes et processus de défense visant la répression des pulsions, donc ce qui est à l’intérieur, et d’autre part la défense contre les objets extérieurs générateurs d’angoisse. Il s’agit donc de mécanisme de défense contre les affects douloureux, en tant que précurseur du Surmoi ou stade intermédiaire du Surmoi (le surmoi résultant de l’intériorisation de l’autorité parentale) à un moment où l’enfant ne peut encore assumer sa culpabilité. Le sujet intériorise les critiques de son agresseur sans que ces critiques aboutissent à une autocritique. La critique extérieure a été introjectée, mais le lien entre la peur du châtiment et la faute commise n’est pas encore établi dans l’esprit du patient. La peur de la sanction et le délit ne sont pas associés dans l’esprit du patient. Pour Anna Freud, le sujet agressé passe par un premier stade dans lequel l’ensemble de la relation agressive est renversé : l’agresseur est introjecté et la personne attaquée coupable est projetée à l’extérieur. Comme Anna Freud le formule, l’intolérance des autres précède la sévérité envers soi-même. Et ce qui ne peut s’intérioriser se joue sur une scène inter psychique.

Le concept Ferenczien de l’identification à l’agresseur, revient aujourd’hui en force dans deux directions cliniques : celle de la psychocriminologie et celle des situations limites de la psychanalyse relatives aux troubles narcissiques identitaires. L’identification à l’agresseur décrite par Sandor Ferenczi, et la conséquence d’un traumatisme majeur extrême accompli par un parent ou un proche dans un contexte de relations familiales défavorables où l’enfant se sacrifie pour garder une relation d’amour avec l’adulte coupable. L’enfant réagit non pas par la défense mais par l’identification anxieuse et l’introjection de celui qui l’agresse pour assurer sa survie psychique. Et donc l’enfant abusé, devient un enfant qui obéit mécaniquement : il ne peut plus se rendre compte des raisons de son attitude. Sa vie sexuelle, soit ne se développe pas, soit prend des formes perverses ; il peut aussi devenir un abuseur sexuel d’un autre enfant.

Un an avant sa mort, Sandor Ferenczi a fait une communication intitulée : « Confusion de langue entre les enfants et l’adulte. Le langage de la tendresse et de la passion ». C’est un jalon majeur de la littérature psychanalytique qui va nourrir les travaux contemporains sur le traumatisme. Sa thèse concerne l’effet de séduction traumatique produit par l’agression sexuelle d’un adulte sur un enfant. Pour la première fois, il détermine la distinction radicale entre la langue d’enfance et sa logique (l’enfant recherche la tendresse, la sécurité et l’amour) et la logique de la langue passionnelle de certains adultes (quand ils sont séducteurs, à la recherche d’excitation génitale et de violence dominatrice) : « La peur que les enfants vivent dans ces situations les oblige à se soumettre à la volonté de l’agresseur, (ils sont dans un état de sidération) et à obéir en s’oubliant totalement et à s’identifier complètement à l’agresseur. L’agresseur est introjecté ; il disparaît en tant que réalité extérieure et devient intrapsychique ». L’enfant interrogeait également le sentiment de culpabilité de l’adulte. Il s’ensuit de la confusion, de la perte de confiance en soi et un morcellement de la personnalité. La peur qui en résulte, peut obliger l’enfant à se soumettre automatiquement à la volonté de l’agresseur, à deviner le moindre de ses désirs, à obéir en s’oubliant complètement et à s’identifier totalement à l’agresseur qui a été introjecté. Ce sera la base de la théorie de Ferenczi sur les traumas. Mais pour cet enfant, qui aime cet adulte, mais qui en est victime, il lui est vital de maintenir la relation avec cet adulte dont il dépend entièrement. L’adulte impose à l’enfant un langage de passion, empreint de sexualité, à la recherche d’excitation génitale et de violence dominatrice (qui peut aller jusqu’à l’abus et le viol) ; alors que le langage de l’enfant est tendre, non passionnel et en recherche de sécurité. La prématurité de l’enfant ne lui permet pas de supporter le langage et les comportements passionnels de l’adulte ; il se soumet à l’adulte agresseur. Ferenczi a proposé alors de réviser la théorie sexuelle et génitale à la lumière de cette problématique. Il est utile de rappeler l’accueil négatif que Freud fit à ce texte qu’il qualifia de « fatras » et alla jusqu’à demander à Ferenczi de renoncer à le lire et à le publier. Freud y voyait un retour à la « neurotica » (sa théorie de la séduction : terme qui apparaît dans la correspondance de Freud avec Fliess) qu’il avait abandonnée en 1897. Freud s’était rendu compte à l’époque que les évènements traumatiques à connotation sexuelle rapportés par ses patientes hystériques étaient souvent non des faits réels, mais des fantasmes. Abandon ni absolu, ni définitif puisqu’il y reviendra jusque dans ses derniers écrits. Freud craignait aussi les modifications techniques inacceptables dans la pratique de la psychanalyse que Ferenczi proposait.

Mais un lien existe entre l’identification à l’agresseur selon Sandor Ferenczi et l’identification à l’agresseur selon Anna Freud : le renversement actif/passif et la répétition qui peut prendre la forme d’explosions de violence destructrice.

Thierry Bastin va développer davantage

Les implications cliniques du concept Ferenczien de l’identification à l’agresseur

Évoquer la transmission transgénérationnelle de la violence intrafamiliale, soulève la question des vecteurs intrapsychiques qui sont empruntés par cette transmission et de leur rapport aux identifications multiples. L’identification du parent à son propre parent défaillant (ce que l’on retrouve fréquemment dans l’anamnèse de ses parents), témoigne alors d’une fixation au traumatisme lié au manque, tout en reproduisant le seul mode relationnel connu. Son propre enfant devient le dépositaire et le porteur du narcissisme parental, mais très rapidement et en raison de sa réalité, il perd son statut d’objet idéal et devient l’enfant persécuteur. L’origine de tout ce processus est que le parent éprouve une profonde culpabilité à l’égard de mouvement agressif qu’il aurait eu lorsque lui-même était enfant, à l’encontre de ses propres parents. Il projette alors sur son propre enfant l’image du mauvais enfant qu’il pense avoir été lui-même, et en s’identifiant de manière masochique aux parents qu’il pense avoir maltraités, il expie ainsi sa culpabilité en subissant la relation tyrannique qu’exerce son enfant sur lui. L’enfant est alors identifié à un mauvais objet qui fait souffrir le parent irréprochable par le biais d’identification externalisante et contraignante jusqu’à ce que l’édifice s’effondre et que le parent retourne sous forme de représailles, l’emprise tyrannique contre l’enfant par le biais de mauvais traitements. La perception de l’enfant par le parent est ainsi déformée et sa réalité n’est pas prise en compte.

On peut dès lors s’interroger si la répétition transgénérationnelle des mauvais traitements procède uniquement d’ un mouvement descendant par les identifications projectives excessives ou peut-on penser à la coexistence croisée d’un mouvement ascendant d’identification projective de l’enfant au parent maltraitant par le mécanisme d’identification à l’agresseur.

Implications cliniques et les pièges auxquels nous confronte cette problématique ainsi que les implications transfero-contretransférentielles

La métaphore du nourrisson savant reprises entre autres dans l’article rédigé par Ferenczi « confusion de langue entre l’adulte et l’enfant » et le concept théorique de faux self de Winnicott recouvrent en fait une même réalité clinique sachant que Ferenczi, bien que précurseur de ce concept, n’a jamais été mentionné par Winnicott.

Dans la clinique, les personnalités en faux self se caractérisent par des adultes ou des enfants dotés d’un intellect brillant qui ont l’allure de défense obsessionnelle, sans qu’il leur soit capable de communiquer quoi que ce soit de leur monde intérieur et ce de manière vivante et spontanée. Le discours de ces patients se caractérise par des paroles ininterrompues et monotones qu’ils supposent être intéressantes pour le thérapeute et qu’ils mettent en forme en fonction de ce qu’ils croient être l’attente de le thérapeute. Or cela se traduit au contraire la plupart du temps chez le thérapeute par un profond ennui contre-transférentiel. Tout se passe en effet comme si ces patients attaquaient inconsciemment les liens de pensée chez le thérapeute.

Tant Winnicott que Ferenczi soulignent l’importance de l’empiètement joué par l’environnement en raison de l’inadéquation de l’objet primaire. La défaillance de l’environnement peut prendre la forme de l’excès, ou de défaut ou de l’imprévisibilité, de défaillance qui est souvent liée à la psychopathologie de la mère ou des parents et qui se traduit chez l’enfant par une désillusion prématurée. Face aux risques traumatiques d’une profonde désorganisation, l’enfant met en place un puissant mécanisme de défense à savoir un « auto-clivage narcissique » défensif et mutilant. Un faux self se développe avec une hypermaturation intellectuelle défensive qui est responsable d’un divorce entre le Moi prématurément développé et l’expérience psychosomatique sous la forme d’une exploitation de l’intellect qui se transforme en « nounou » agissant comme substitut maternel mais qui met donc en péril l’organisation de la sexualité infantile .

Pour échapper à cet état intolérable, l’enfant va dissocier ses perceptions en s’identifiant au point de vue de la personne adulte et ce mécanisme va de pair avec une « introjection du sentiment de culpabilité de l’adulte  agresseur ». L’enfant en vient à se sentir responsable de l’environnement défaillant. L’enfant répare indéfiniment la destructivité inconsciente du parent au lieu de réparer la sienne propre et ne peut donc pas constituer le fantasme inconscient de destruction de l’objet d’amour ni ressentir l’ambivalence qui l’accompagne.

Difficultés techniques lors de la prise en charge

Tout thérapeute est exposé au risque de ne pas parvenir à déceler l’existence d’un faux self et de s’engager dans une analyse vaine. Mais une fois repéré il importe que l’analyste fournisse les conditions qui permettront au patient de se décharger sur lui du fardeau de l’environnement internalisé, devenant ainsi lui-même, un nourrisson très dépendant, immature, mais réel de manière à ce que le patient puisse tester la fiabilité de l’analyste et lui céder progressivement sa fonction de protection, laissant le vrai self traumatisé à nu. La confiance véritable dans les capacités de compréhension et d’adaptation de l’analyste aux besoins du patient entraîne alors un processus régrédiant, un effondrement. Cela implique des modalités particulières de transfert, où le patient projette sur son analyste sa propre omniscience fantasmée. Au début, Ces patients ont absolument besoin que l’analyste soit tout-puissant. En réalité, c’est l’omniscience et l’omnipotence du faux self que l’analyste doit prendre en charge « afin que le patient puisse, en ressentant du soulagement, se laisser aller à décompenser, se morceler et vivre la désintégration  ». Il importe de restreindre au minimum les interprétations dans ce type de travail, lesquelles risquent d’être intrusives ou vécues comme de nouveaux empiétements. En fait, l’interprétation fondée sur la compréhension profonde semble parfois secondaire au regard du maintien du cadre et de la situation analytique et qui joue le rôle d’enveloppe contenante pour le patient. Ce processus ne peut se déployer que dans la relation transféro-contre-transférentielle. D’après Winnicott, c’est à la fin de la période de dépendance absolue revécue dans le transfert, lorsque le patient n’est plus la préoccupation exclusive de l’analyste et qu’il perd sa position d’« enfant unique » que par la suite le patient peut éprouver à l’égard de l’analyste, dans le transfert la haine et la rage qui n’ont pas pu accéder à la conscience à l’origine. Dès lors l’événement traumatique irreprésentable et inaccessible à la remémoration peut être vécu pour la première fois dans le transfert. Cette expérience, si elle est contenue et interprétée, rend possible une levée du clivage. Autrement dit, la bienveillance maternelle seule ne suffit pas : l’analyste doit également être utilisé pour ses carences et doit pour cela être « suffisamment mauvais  ». C’est ce qui amène finalement Ferenczi à admettre qu’il y a pour l’analyste un « travail de bourreau » inévitable et de « contre identification à l’agresseur ». Le patient connaît dès lors les limites de son omnipotence et l’objet-analyste peut désormais être utilisé. Le patient qui est parvenu à atteindre sa propre destructivité psychique, et non plus seulement celle du parent défaillant, devient capable de développer sa capacité de sollicitude ainsi que la culpabilité, et devient capable d’éprouver l’ambivalence et la capacité réparatrice qui en découlent.

Le séminaire se termine par l’introduction d’une situation clinique tirée du livre de Stephen Grosz. Les participants ont été sollicités dans leurs associations dans l’attente de la lecture de la suite. Cette introduction a permis de riches associations par rapport à l’ensemble du séminaire.

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18/04/2018: L’identification à l’agresseur

L’identification à l’agresseur

L’identification à l’agresseur a été introduite dans la théorie psychanalytique par Sandor Ferenczi, psychanalyste hongrois, en 1933, et par Anna Freud, psychanalyste autrichienne et fille de Sigmund Freud, en 1936. Les enfants dont Anna Freud parle n’ont pas été maltraités : ils devancent une agression redoutée en s’identifiant à l’agresseur et en devenant agresseurs eux-mêmes. Chez Anna Freud, il s’agit d’agressions fantasmées ou mineures. Les exemples d’Anna Freud ont en commun le passage de la passivité à l’activité : l’enfant représente l’agresseur, lui reprend ses attributs ou son agression et se transforme de menacé en menaçant. L’identification à l’agresseur sert plutôt le règlement des conflits avec les objets extérieurs. Mais si l’on considère les exemples d’Anna Freud, les comportements des objets extérieurs ne sont pas tellement agressifs : on pourrait dire qu’il s’agit de craintes de punition. Telle que présentée par Anna Freud, l’identification à l’agresseur recoupe plusieurs mécanismes et processus de défense visant la répression des pulsions, donc ce qui est à l’intérieur, et d’autre part la défense contre les objets extérieurs générateurs d’angoisse. Il s’agit donc de mécanisme de défense contre les affects douloureux, en tant que précurseur du Surmoi ou stade intermédiaire du Surmoi (le surmoi résultant de l’intériorisation de l’autorité parentale) à un moment où l’enfant ne peut encore assumer sa culpabilité. Le sujet intériorise les critiques de son agresseur sans que ces critiques aboutissent à une autocritique. La critique extérieure a été introjectée, mais le lien entre la peur du châtiment et la faute commise n’est pas encore établi dans l’esprit du patient. La peur de la sanction et le délit ne sont pas associés dans l’esprit du patient. Pour Anna Freud, le sujet agressé passe par un premier stade dans lequel l’ensemble de la relation agressive est renversé : l’agresseur est introjecté et la personne attaquée coupable est projetée à l’extérieur. Comme Anna Freud le formule, l’intolérance des autres précède la sévérité envers soi-même. Et ce qui ne peut s’intérioriser se joue sur une scène inter psychique.

Le concept Ferenczien de l’identification à l’agresseur, revient aujourd’hui en force dans deux directions cliniques : celle de la psychocriminologie et celle des situations limites de la psychanalyse relatives aux troubles narcissiques identitaires. L’identification à l’agresseur décrite par Sandor Ferenczi, et la conséquence d’un traumatisme majeur extrême accompli par un parent ou un proche dans un contexte de relations familiales défavorables où l’enfant se sacrifie pour garder une relation d’amour avec l’adulte coupable. L’enfant réagit non pas par la défense mais par l’identification anxieuse et l’introjection de celui qui l’agresse pour assurer sa survie psychique. Et donc l’enfant abusé, devient un enfant qui obéit mécaniquement : il ne peut plus se rendre compte des raisons de son attitude. Sa vie sexuelle, soit ne se développe pas, soit prend des formes perverses ; il peut aussi devenir un abuseur sexuel d’un autre enfant.

Un an avant sa mort, Sandor Ferenczi a fait une communication intitulée : « Confusion de langue entre les enfants et l’adulte. Le langage de la tendresse et de la passion ». C’est un jalon majeur de la littérature psychanalytique qui va nourrir les travaux contemporains sur le traumatisme. Sa thèse concerne l’effet de séduction traumatique produit par l’agression sexuelle d’un adulte sur un enfant. Pour la première fois, il détermine la distinction radicale entre la langue d’enfance et sa logique (l’enfant recherche la tendresse, la sécurité et l’amour) et la logique de la langue passionnelle de certains adultes (quand ils sont séducteurs, à la recherche d’excitation génitale et de violence dominatrice) : « La peur que les enfants vivent dans ces situations les oblige à se soumettre à la volonté de l’agresseur, (ils sont dans un état de sidération) et à obéir en s’oubliant totalement et à s’identifier complètement à l’agresseur. L’agresseur est introjecté ; il disparaît en tant que réalité extérieure et devient intrapsychique ». L’enfant interrogeait également le sentiment de culpabilité de l’adulte. Il s’ensuit de la confusion, de la perte de confiance en soi et un morcellement de la personnalité. La peur qui en résulte, peut obliger l’enfant à se soumettre automatiquement à la volonté de l’agresseur, à deviner le moindre de ses désirs, à obéir en s’oubliant complètement et à s’identifier totalement à l’agresseur qui a été introjecté. Ce sera la base de la théorie de Ferenczi sur les traumas. Mais pour cet enfant, qui aime cet adulte, mais qui en est victime, il lui est vital de maintenir la relation avec cet adulte dont il dépend entièrement. L’adulte impose à l’enfant un langage de passion, empreint de sexualité, à la recherche d’excitation génitale et de violence dominatrice (qui peut aller jusqu’à l’abus et le viol) ; alors que le langage de l’enfant est tendre, non passionnel et en recherche de sécurité. La prématurité de l’enfant ne lui permet pas de supporter le langage et les comportements passionnels de l’adulte ; il se soumet à l’adulte agresseur. Ferenczi a proposé alors de réviser la théorie sexuelle et génitale à la lumière de cette problématique. Il est utile de rappeler l’accueil négatif que Freud fit à ce texte qu’il qualifia de « fatras » et alla jusqu’à demander à Ferenczi de renoncer à le lire et à le publier. Freud y voyait un retour à la « neurotica » (sa théorie de la séduction : terme qui apparaît dans la correspondance de Freud avec Fliess) qu’il avait abandonnée en 1897. Freud s’était rendu compte à l’époque que les évènements traumatiques à connotation sexuelle rapportés par ses patientes hystériques étaient souvent non des faits réels, mais des fantasmes. Abandon ni absolu, ni définitif puisqu’il y reviendra jusque dans ses derniers écrits. Freud craignait aussi les modifications techniques inacceptables dans la pratique de la psychanalyse que Ferenczi proposait.

Mais un lien existe entre l’identification à l’agresseur selon Sandor Ferenczi et l’identification à l’agresseur selon Anna Freud : le renversement actif/passif et la répétition qui peut prendre la forme d’explosions de violence destructrice.

Thierry Bastin va développer davantage

Les implications cliniques du concept Ferenczien de l’identification à l’agresseur

Évoquer la transmission transgénérationnelle de la violence intrafamiliale, soulève la question des vecteurs intrapsychiques qui sont empruntés par cette transmission et de leur rapport aux identifications multiples. L’identification du parent à son propre parent défaillant (ce que l’on retrouve fréquemment dans l’anamnèse de ses parents), témoigne alors d’une fixation au traumatisme lié au manque, tout en reproduisant le seul mode relationnel connu. Son propre enfant devient le dépositaire et le porteur du narcissisme parental, mais très rapidement et en raison de sa réalité, il perd son statut d’objet idéal et devient l’enfant persécuteur. L’origine de tout ce processus est que le parent éprouve une profonde culpabilité à l’égard de mouvement agressif qu’il aurait eu lorsque lui-même était enfant, à l’encontre de ses propres parents. Il projette alors sur son propre enfant l’image du mauvais enfant qu’il pense avoir été lui-même, et en s’identifiant de manière masochique aux parents qu’il pense avoir maltraités, il expie ainsi sa culpabilité en subissant la relation tyrannique qu’exerce son enfant sur lui. L’enfant est alors identifié à un mauvais objet qui fait souffrir le parent irréprochable par le biais d’identification externalisante et contraignante jusqu’à ce que l’édifice s’effondre et que le parent retourne sous forme de représailles, l’emprise tyrannique contre l’enfant par le biais de mauvais traitements. La perception de l’enfant par le parent est ainsi déformée et sa réalité n’est pas prise en compte.

On peut dès lors s’interroger si la répétition transgénérationnelle des mauvais traitements procède uniquement d’ un mouvement descendant par les identifications projectives excessives ou peut-on penser à la coexistence croisée d’un mouvement ascendant d’identification projective de l’enfant au parent maltraitant par le mécanisme d’identification à l’agresseur.

Implications cliniques et les pièges auxquels nous confronte cette problématique ainsi que les implications transfero-contretransférentielles

La métaphore du nourrisson savant reprises entre autres dans l’article rédigé par Ferenczi « confusion de langue entre l’adulte et l’enfant » et le concept théorique de faux self de Winnicott recouvrent en fait une même réalité clinique sachant que Ferenczi, bien que précurseur de ce concept, n’a jamais été mentionné par Winnicott.

Dans la clinique, les personnalités en faux self se caractérisent par des adultes ou des enfants dotés d’un intellect brillant qui ont l’allure de défense obsessionnelle, sans qu’il leur soit capable de communiquer quoi que ce soit de leur monde intérieur et ce de manière vivante et spontanée. Le discours de ces patients se caractérise par des paroles ininterrompues et monotones qu’ils supposent être intéressantes pour le thérapeute et qu’ils mettent en forme en fonction de ce qu’ils croient être l’attente de le thérapeute. Or cela se traduit au contraire la plupart du temps chez le thérapeute par un profond ennui contre-transférentiel. Tout se passe en effet comme si ces patients attaquaient inconsciemment les liens de pensée chez le thérapeute.

Tant Winnicott que Ferenczi soulignent l’importance de l’empiètement joué par l’environnement en raison de l’inadéquation de l’objet primaire. La défaillance de l’environnement peut prendre la forme de l’excès, ou de défaut ou de l’imprévisibilité, de défaillance qui est souvent liée à la psychopathologie de la mère ou des parents et qui se traduit chez l’enfant par une désillusion prématurée. Face aux risques traumatiques d’une profonde désorganisation, l’enfant met en place un puissant mécanisme de défense à savoir un « auto-clivage narcissique » défensif et mutilant. Un faux self se développe avec une hypermaturation intellectuelle défensive qui est responsable d’un divorce entre le Moi prématurément développé et l’expérience psychosomatique sous la forme d’une exploitation de l’intellect qui se transforme en « nounou » agissant comme substitut maternel mais qui met donc en péril l’organisation de la sexualité infantile .

Pour échapper à cet état intolérable, l’enfant va dissocier ses perceptions en s’identifiant au point de vue de la personne adulte et ce mécanisme va de pair avec une « introjection du sentiment de culpabilité de l’adulte  agresseur ». L’enfant en vient à se sentir responsable de l’environnement défaillant. L’enfant répare indéfiniment la destructivité inconsciente du parent au lieu de réparer la sienne propre et ne peut donc pas constituer le fantasme inconscient de destruction de l’objet d’amour ni ressentir l’ambivalence qui l’accompagne.

Difficultés techniques lors de la prise en charge

Tout thérapeute est exposé au risque de ne pas parvenir à déceler l’existence d’un faux self et de s’engager dans une analyse vaine. Mais une fois repéré il importe que l’analyste fournisse les conditions qui permettront au patient de se décharger sur lui du fardeau de l’environnement internalisé, devenant ainsi lui-même, un nourrisson très dépendant, immature, mais réel de manière à ce que le patient puisse tester la fiabilité de l’analyste et lui céder progressivement sa fonction de protection, laissant le vrai self traumatisé à nu. La confiance véritable dans les capacités de compréhension et d’adaptation de l’analyste aux besoins du patient entraîne alors un processus régrédiant, un effondrement. Cela implique des modalités particulières de transfert, où le patient projette sur son analyste sa propre omniscience fantasmée. Au début, Ces patients ont absolument besoin que l’analyste soit tout-puissant. En réalité, c’est l’omniscience et l’omnipotence du faux self que l’analyste doit prendre en charge « afin que le patient puisse, en ressentant du soulagement, se laisser aller à décompenser, se morceler et vivre la désintégration  ». Il importe de restreindre au minimum les interprétations dans ce type de travail, lesquelles risquent d’être intrusives ou vécues comme de nouveaux empiétements. En fait, l’interprétation fondée sur la compréhension profonde semble parfois secondaire au regard du maintien du cadre et de la situation analytique et qui joue le rôle d’enveloppe contenante pour le patient. Ce processus ne peut se déployer que dans la relation transféro-contre-transférentielle. D’après Winnicott, c’est à la fin de la période de dépendance absolue revécue dans le transfert, lorsque le patient n’est plus la préoccupation exclusive de l’analyste et qu’il perd sa position d’« enfant unique » que par la suite le patient peut éprouver à l’égard de l’analyste, dans le transfert la haine et la rage qui n’ont pas pu accéder à la conscience à l’origine. Dès lors l’événement traumatique irreprésentable et inaccessible à la remémoration peut être vécu pour la première fois dans le transfert. Cette expérience, si elle est contenue et interprétée, rend possible une levée du clivage. Autrement dit, la bienveillance maternelle seule ne suffit pas : l’analyste doit également être utilisé pour ses carences et doit pour cela être « suffisamment mauvais  ». C’est ce qui amène finalement Ferenczi à admettre qu’il y a pour l’analyste un « travail de bourreau » inévitable et de « contre identification à l’agresseur ». Le patient connaît dès lors les limites de son omnipotence et l’objet-analyste peut désormais être utilisé. Le patient qui est parvenu à atteindre sa propre destructivité psychique, et non plus seulement celle du parent défaillant, devient capable de développer sa capacité de sollicitude ainsi que la culpabilité, et devient capable d’éprouver l’ambivalence et la capacité réparatrice qui en découlent.

Le séminaire se termine par l’introduction d’une situation clinique tirée du livre de Stephen Grosz. Les participants ont été sollicités dans leurs associations dans l’attente de la lecture de la suite. Cette introduction a permis de riches associations par rapport à l’ensemble du séminaire.

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21/03/2018: Les remaniements identificatoires à l’adolescence

21.03.2018

Pour rappel,

L’identification est la première forme de relation à l’objet (identification primaire), mais elle est aussi la voie royale du détachement de la libido de ses objets; elle suit la perte ou le renoncement à l’objet dont “on se dédommage en érigeant l’objet dans le Moi” (Freud). Ce processus va transformer l’énergie sexuelle en libido du Moi: il désexualise et sublime l’énergie sexuelle.

L’identification témoigne donc de la trace de l’autre en soi; c’est ainsi que notre identité s’articule avec l’altérité: devenir soi ne peut se faire que par le détour de l’autre. Comme l’écrit G. Lavallée, “Mon moi ne se connait pas lui-même en entier et ne s’appréhende pas en toute conscience. Il est en grande partie inconscient”.

On peut dire aussi “Je est un autre”, car je me construis en appui sur les personnages de mon environnement, auxquels je m’identifie peu ou prou.

Ce vécu est central dans l’expérience d’une certaine inquiétante étrangeté qui habite l’adolescent.

Le processus adolescentaire

Au niveau pulsionnel, la puberté génère un afflux excessif de poussée libidinale. Avec les changements physiologiques se pose la question du choix d’objet: les imagos parentales sont sollicités au niveau fantasmatique avec la crainte de l’inceste désormais possible.

Au niveau narcissique, la puberté est vécue inconsciemment comme une obligation de renoncer au corps sexuel indifférencié de l’enfant ; c’est aussi la perte du fantasme de bisexualité et de l’amour indifférencié avec la mère, ainsi que des investissements aux objets partiels.

Peuvent surgir alors, outre les angoisses liées au conflit oedipien, des angoisses archaïques liées à l’intégrité de soi. Winnicott dit “grandir est par nature un acte agressif. Si dans le fantasme de la première croissance il y a la mort, dans l’adolescence il y a le meurtre”.

Il est donc question d’une destructivité – non pas celle utilisée de manière défensive et pathologique- mais celle qui permet d’expérimenter “la survivance de l’objet” face aux attaques sadiques.

Qu’en est il du corps et de la sexualité à cette période?

Le langage du corps est une manière de donner une certaine visibilité à l’affect ; la souffrance corporelle chez l’adolescent, à un niveau plus pathologique, pourra se traduire par des comportements comme l’exhibition, les scarifications, ou les tentatives de suicide.

La sexualité génitale qui surgit va devoir prendre la place de la sexualité infantile où l’autoérotisme accompagné du sentiment d’omnipotence régnait. La pulsion sexuelle va progressivement trouver son but par la capacité de fécondation et le modèle du principe de plaisir.

Mais la complémentarité anatomique n’est pas d’office suivie par la psyché, de même que la capacité de se définir comme masculin ou féminin; à coté du sexuel pubertaire génital, existerait un sexuel non génital constitué des traces mnésiques infantiles, de points de fixations et de mouvements régressifs.

Le surgissement du sexuel féminin accentue la proximité avec la mère, l’avidité pulsionnelle pouvant alors renvoyer à l’engloutissement dans la mère, objet de terreur et paradis perdu. Pour la future femme, ce sera le travail de symbolisation de l’intérieur du corps et de tout ce qui y entre qui constituera le travail du féminin. On pense dans ce contexte aux problématiques d’anorexie et de boulimie.

Chez le garçon, la possession du pénis permet de se différencier de la mère, comme support symbolique de la différenciation des sexes.

Les adolescents pourront alors espérer élaborer leur identité génitale et trouver un objet adéquat suffisamment en accord avec leurs images internes, mais suffisamment dégagé des interdits incestueux.

Qui dit maturité sexuelle dit identité de genre; le problème de l’adolescence est donc comment “être” homme ou femme en son inconscient, tout en faisant le choix d’un sexe déterminé dans les relations actuelles.

Sachant que toutes les problématiques se mélangent, il n’est pas étonnant de retrouver des investissements homosexuels dans le cadre d’une fluidité pulsionnelle normale à cette période. Ce sera par identifications successives, investissements divers, rencontres, que se construira un destin sexuel unique, propre à chaque individu.

La dimension intersubjective est elle aussi fondamentale; comme aux premiers temps de la relation mère-enfant, la confusion identité-identification réapparaît à l’adolescence. Dans ce cadre, l’impact psychique du social et du culturel va déterminer l’intrapsychiqiue.

En analysant plus particulièrement les nouveaux outils de communication tels que snapchat, Instagram etc… on peut en saisir différents sens: reconnaissance au sein d’un groupe, ou vision fantasmée et idéalisée de soi et des autres.

Il existe par contre des risques à utiliser ce moyen d’expression: risque d’assujetissement au regard de l’autre, surexposition de l’intimité, évitement de tout contact réel et aussi de temps d’attente, donc de toute élaboration imaginaire.

Métapsychologie de l’adolescence

Pour approcher les lieux de remaniements identificatoires, on peut distinguer les trois instances de la personnalité:

Le moi

Chargé de maintenir un équilibre dans les relations avec le ça, le Surmoi et la réalité, le moi est le lieu du processus de subjectivation, du maintien du sentiment d’identité.

A l’issue du complexe d’Oedipe, le moi va adopter par identification les traits de l’objet perdu, et va ainsi récupérer une partie de l’énergie du ça dont il veut accaparer la libido, formant ainsi le caractère du sujet.

La poussée pubertaire secoue l’équilibre narcissique de la période de latence, ravivant le conflit oedipien, l’angoisse de castration. De nouveaux objets seront investis, devant être à la fois suffisamment proches de l’objet préoedipien et oedipien pour maintenir la permanence de l’identité, et suffisamment distants pour s’extraire de liens jugés trop aliénants ou révolus.

C’est quand l’adolescent désinvestit plus ou moins totalement ses objets d’amour infantiles ou y demeure massivement fixé faute de pouvoir maitriser son ambivalence excessive, que se développeront des phénomènes pathologiques graves.

Le surmoi

Il s’est formé à l’issue de la période oedipienne par identification aux parents en tant qu’autorité s’opposant aux exigences pulsionnelles.

Surmoi paternel et oedipien pour Freud, il existe aussi un Surmoi maternel, instance primitive constituée de l’intériorisation de la loi sadique anale et phallique de la mère préoedipienne et de sa toute puissance protectrice.

Ce dernier devra évoluer en se remodelant selon la loi et les idéaux paternels.

L’obéissance à l’ancien Surmoi oedipien est maintenant vécue comme une séduction de l’objet incestueux. (obéir = séduire = culpabilité).

Il faut donc établir de nouvelles identifications aux parents, vécus alors comme moins répressifs sexuellement, ouvrant sur de nouveaux investissements fondés sur le renforcement du tabou de l’inceste.

L’idéal du moi

L’adolescent devant renoncer à son narcissisme infantile, l’idéal du moi lui permet de progresser vers la maturité, si ce dernier peut lier ses modèles aux exigences du surmoi, préservant ainsi l’équilibre narcissique.

La formation de l’idéal du moi et son Intégration au surmoi exigent la désexualisation du lien au parent du même sexe, l’adolescent assumant ainsi son indépendance par le retrait de la libido homosexuelle.

C’est à cette période qu’apparait l’importance de la dimension groupale des identifications, permettant la liaison de la libido homosexuelle tout en offrant des réassurances à la fois défensives et structurales sur le plan de l’identité.

Toutefois on peut noter que l’identification à un leader ou à des images idéales peut dans certains cas entrainer une fixation dans des impasses aliénantes, notamment lors de l’idéalisation à un parent mort, pouvant amener à des mouvements dépressifs voire mélancoliques.

Identifications sexuelles à l’adolescence

Comme on a pu le voir, les tribulations du choix d’objet sexuel révèlent les incertitudes identitaires propres à cet âge. Les manifestations homosexuelles sont souvent des tentatives de remaniements défensifs permettant un renforcement de l’identité sexuelle hors du champ oedipien.

Chez la jeune fille, la féminité se construit par l’introjection/identification au féminin génital maternel, l’élaboration de l’ouverture érotique au corps de l’autre, réceptivité au sexe et au désir de l’autre. Mais l’accès à l’identité féminine implique aussi une identification au père en tant qu’objet de désir et tiers séparateur de la mère. Par ailleurs, les identifications féminines du père, par un étayage narcissique désexualisé, aideront à valoriser l’identification féminine de sa fille.

Chez le garçon, les expériences masturbatoires qui sont génitalisées à l’adolescence, suscitent souvent la honte et la conscience d’être seul, engendrant une blessure narcissique. Plus inconsciemment, peut être ressentie la honte du plaisir éprouvé, les angoisses inhérentes aux conflits oedipiens étant réactivées..

Par ailleurs, la transmission du viril, de la puissance phallique, dépendra aussi du caractère écrasant ou érigeant du père, de son ambivalence face à son fils.

Pour conclure 

avec T. Ternynck, ce n’est que dans la conciliation des instances qui s’épaulent, la connivence des aspirations pulsionnelles et narcissiques que pourra advenir un adolescent épanoui.

Résumé : Camille MONTAUTI

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