29/06/2017: Table ronde autour des défenses et de leur dynamique

2016/2017 - Dynamique des défenses psychiques

Delen op

La sublimation et quelques mécanismes de défense chez M. Duras

Theresa SPADOTTO

Tout au long de cette année, les séminaires ont été abondamment illustrés par des supports médiatiques et culturels : textes et dessins de patients, extraits de film, extraits de romans ou témoignages. Ces productions sont à la fois les représentations de certains mécanismes de défense mais aussi, souligne Teresa Spadotto , l’expression d’un travail de sublimation des différents auteurs.

Il sera question ici de l’ aspect du concept de sublimation comme réalisation pulsionnelle, production. Dans un second temps, TS évoquera le travail de sublimation chez Marguerite Duras.

Qu’est-ce que la sublimation ?

Freud aura recours à cette notion tout au long de son œuvre. Au départ, elle est associée principalement à l’activité artistique et culturelle ; la pulsion est dérivée vers un but non sexuel, visant des objets socialement valorisés. Freud parle de travestissement pour « passer outre la censure », ou encore « d’enjolivement des contenus représentatifs » (in correspondance avec W Fliess).

En 1905, dans les « 3 Essais », Freud définit la sublimation comme la capacité d’échanger le but sexuel originel contre un autre but ; dans « Le Moi et le Ca », en 1923, il ajoute la modification de la nature de la pulsion, c’est-à-dire la désexualisation de celle-ci , ainsi que le changement d’objet. La sublimation recouvre alors un champ d’activité de plus en plus large, et inclut l’ensemble du travail de pensée.

Deux sens peuvent être dégagés :

• La sublimation comme travail de désexualisation de la pulsion sexuelle, qui conserve son objet mais change de but ; elle est ici garante du lien social.

• Le détournement de l’énergie des pulsions sexuelles dans un champ non sexuel, mais sans refoulement, et qui se porte alors sur un autre objet valorisé socialement. La sublimation est ici promotrice de culture, de civilisation.

La sublimation est l’un des destins les plus accomplis des pulsions partielles prégénitales, se constituant à partir de l’excès de celles-ci, non utilisées dans la vie sexuelle adulte.

La satisfaction directe ne pouvant avoir lieu, la libido d’objet va se transformer en une libido narcissique désexualisée. Mais cette « démixion pulsionnelle » laisse libre cours à la pulsion de mort, qui met alors le Moi en péril. Cette dimension désobjectalisante de la sublimation est alors génératrice d’angoisse et de culpabilité, toute créativité étant vécue comme une transgression (Mac Dougall). On peut faire l’hypothèse que cette pulsion de mort a pu être à l’origine du suicide de nombreux artistes (P. Levi, M. Rothko, etc.).

La sublimation est-elle un mécanisme de défense ?

Elle est bien une modalité de défense, qui oppose un barrage à la réalisation pulsionnelle directe, laquelle risque de déborder le Moi. Mais à la différence des mécanismes de défense, si l’interdit est dépassé, contourné, la pulsion est transformée pour produire autre chose.

Pour M. Klein, la sublimation ne porte pas uniquement sur la pulsion, mais implique d’emblée l’objet maternel et vise à sa réparation : la position dépressive est aux sources de la sublimation et de la créativité.

Pour d’autres analystes (de M’Uzan, Séchaud, De Mijolla), l’acte créateur concerne aussi la réparation du sujet lui-même, travail psychique de liaison, de transformation d’éléments traumatiques qui sont à l’origine du processus créateur.

Lorsque les expériences de satisfaction infantiles ont été suffisantes, dans un environnement « suffisamment bon » qui a pu transformer les traumatismes primaires, celles-ci pourront engendrer une représentation créatrice qui symbolisera l’absence.

Dans le cas contraire, il ne s’agit plus d’une perte de l’objet, mais d’une perte du Moi qui va constituer un trou psychique, un vide, chez le sujet. Les formes créatrices sont alors des tentatives d’élaboration de vécus sensoriels archaïques, à partir de restes. Chez l’écrivain, l’acte d’écrire est alors une exigence vitale face à « l’échec de sa propre capacité de rêverie face à la prolifération des images qui l’envahissent, le plongeant dans une situation traumatique » (de M’Uzan).

Bion parle du langage d’écriture comme « d’un instrument pour communiquer à autrui une expérience psychique impensée » ou, comme le dira S. Korff-Krauss, « les éléments beta qui émergent de la matrice du proto-mental et poussent à l’écriture. ».

TS nous parle ensuite de M. Duras. Elle décrit sa vie traversée de nombreux traumatismes, en premier lieu la relation d’aliénation et d’emprise maternelle, qui se retrouve au cœur de son œuvre.

Faisant référence aux deux livres autobiographiques que sont « l’Amant » et « La Douleur », TS nous montre les mécanismes de défense à l’œuvre dans l’écriture de M. Duras, tels que la crypte, le clivage et le déni.

A partir des vides au sein du texte, du blanc des affects, M. Duras laisse toute la place au trou, au manque, témoignant de l’absence de l’objet maternel et de son impossible rencontre. Ecriture contre le chaos interne,la souffrance, l’acte d’écriture comme survie, conclue T. Spadotto.

 

Les défenses autistiques chez les personnes souffrant d’addiction

Françoise LABBE

F. Labbé décrit ces défenses comme des ilots de fonctionnement archaïques ,enclavés dans la personnalité, et qui restent inaccessibles et inchangés ; ils ont été décrits en particulier par F. Tustin dans son ouvrage « les trous noirs de la psyché ».

Ces patients ont une conscience déchirante d’être corporellement séparés de leur mère, et éprouvent des angoisses de dissolution et de chute sans fin, sans ressentir aucune attention chaleureuse et porteuse.

A propos des pathologies addictives,F. Labbé cite M. Monjauze, qui décrit les tentatives de maîtrise d’expériences traumatiques par la répétition et la mise en acte. Le toxique serait utilisé répétitivement comme réactivateur d’une faille traumatique précoce et de défenses primitives contre celle-ci. Réponse qui court-circuite la pensée, tient la relation à l’écart, enjoint le sujet à une sorte de régression « animale ».

Chez l’alcoolique ou le toxicomane, l’objet d’addiction présente confusion et paradoxe : en effet, la réponse toxicomaniaque à l’angoisse psychique est une réponse du corps : l’objet alcoolique, surinvesti, n’a pas de représentation fantasmatique : sa présence est donc indispensable , et s’inscrit selon la fixité d’un pictogramme (P. Aulagnier). Comme dans l’autisme, l’absence est un trou que l’objet à la fois creuse et obture.

Le toxicomane cherche à revivre des stimulations indifférenciées, mêlant le corporel et l’émotionnel, analogues aux excitations précoces restées sans signification, et donc traumatiques.

La prise de toxique remet en jeu la pulsion de mort en même temps que l’autodestruction s’opère, la drogue donnant l’illusion d’en triompher.

F. Labbé reprend un certain nombre d’hypothèses concernant l’alcoolique, formulées par M. Monjauze :

– Angoisse de dessiccation liée au traumatisme de la naissance,

– Angoisses d’inanition suite à l’irrégularité des tétées,

– Réflexe de déglutition surinvesti, au détriment de l’oralité. Pas de corps érogène chez l’alcoolique.

– Angoisses de chute liées à une insécurité du holding (Winnicott), avec comportements d’agrippement.

– L’alcool fonctionne comme un rempart pour créer un Soi enfin protégé du Non-Soi sur le modèle de l’enclavement autistique, réalisant une hallucination négative dont la fonction serait d’annuler le monde extérieur.

– l’alcool, qui entraîne coloration et bouffismes de la peau, amène un épaississement pseudo-protecteur de l’enveloppe-peau,

– La rythmique compulsionnelle dans le geste de boire renvoie aux stéréotypies de l’autiste.

– M. Monjauze reprend les développements de G. Haag sur les trois obstacles à la relation introjective, aux premiers niveaux de symbolisation du corps :

– échec d’un premier contenant rythmique,

– clivage vertical,

– non-intériorisation d’un lien primaire d’indifférenciation.

– Une carence maternelle dans la tenue, entraînant la persistance de la phase liquide du Moi.

– Le Moi-Peau de D. Anzieu, fonction unificatrice , est perturbée chez l’alcoolique ; il ne serait constitué que par la fragile tension qui s’exerce à la surface d’un liquide.

– La kinesthésie alcoolique serait une seconde peau gestuelle-et non musculaire-, comme un mouvement perpétuellement entretenu (chutes, rechutes, etc..).

F. Labbé termine son exposé par la définition de J. Mac Dougall :

L’ » acte-symptôme dévoile une carence de l’élaboration psychique, un défaut de symbolisation, lesquels sont compensés par un agir compulsif, visant à réduire par le chemin le plus court la douleur psychique. »

 

Comment faire face aux mécanismes de défense des patients ?

M. F. DISPAUX

M. F. Dispaux se propose de survoler les caractéristiques des institutions et de voir comment leur structure peut aider, ou pas, les soignants à faire face aux défenses souvent drastiques des patients.

Les institutions

Les patients ont besoin d’un toit, d’un lieu de vie, et de rencontres avec l’autre ; besoin de temps pour déposer leurs angoisses, temps également indispensable aux équipes qui supportent et contiennent ces angoisses ou colères au quotidien.

C’est un lieu vécu comme un contenant large et rassurant, une « maison » qui matérialise l’institution, première interface entre le dehors et le dedans, cadre où viennent se déposer les parties les plus archaïques du patient.

L’institution va aussi servir de contenant à un deuxième espace, quand il peut se créer, le cadre psychothérapeutique au sens large. Cet appui va fonctionner tant pour les patients que pour les thérapeutes comme médiation tiercéisante. Outre la dimension de contenant, l’institution va diminuer la toute-puissance du soignant, la peur de la dépendance, et permettre la diffraction du transfert.

Ce deuxième espace de la relation psychothérapeutique est un espace plus intime, mais contenu dans celui plus large de la « maison ». Le moment où le patient pourra « différencier » son thérapeute témoigne d’un mouvement de subjectivation qui se remet en route.

Les patients dans les institutions

M. Balint est le premier à avoir parler de diffraction : tout d’abord dans les groupes de supervision, où le transfert est diffracté de façon horizontale entre les participants, et non comme dans la séance analytique, de façon longitudinale.

Dans le groupe, la diffraction opère à partir de l’association libre, d’où vont se dégager les perspectives multiples des déterminants inconscients. Dans le cas contraire – une pensée unilatérale – Balint parle d’effet de résonnance.

Bion et les groupes

Quand le groupe s’oppose à la fonction élaborative, Bion parle de fonctionnement en « présupposé de base « : il s’agit de formations rigides, inaccessibles au changement. Ces présupposés de base font partie du système protomental et se rattachent à l’aire psychotique ; ils constituent en effet une défense contre les angoisses catastrophiques.

La diffraction selon Kaes

Avec la condensation, que l’on retrouve chez le rêveur, la diffraction est l’un des éléments principaux de la groupalité interne. La diffraction du Moi du rêveur produit une figuration groupale à partir de la décondensation du Moi ; elle permet aussi une répartition des charges pulsionnelles sur plusieurs objets, soulageant ainsi le fonctionnement psychique.

La diffraction opère donc dans le rêve, dans le ou les transferts, dans les groupes ,et donc dans les institutions.

La diffraction est donc un mécanisme de défense très différent de celui de la fragmentation qui, lui, se met en place contre l’aspect dangereux de l’objet.

Les soignants dans les institutions

Pour faire face aux défenses des patients, souligne MFD, chaque thérapeute doit essayer de connaître au mieux ses propres mécanismes, d’autant plus lorsqu’il est confronté aux mécanismes les plus archaïques du patient, comme le clivage ou l’identification projective.

MFD conclut en soulignant l’importance d’instaurer des lieux de parole pour l’équipe afin d’échanger, de reconnaître et accepter ses limites, faire le deuil de sa toute-puissance. Il est necessaire de rester particulièrement attentif aux moments difficiles de l’institution, le groupe ayant tendance à se rigidifier pour éviter la déception et la douleur.

Françoise Labbé, Marie-France Dispaux, Theresa Spadotto

29/06/2017