23/09/2018: La diversité de la clinique et la boîte à outils psychanalytique

Séminaire tenu par Marie France Dispaux

2019

Delen op

Même s’il est vrai que depuis Freud, le monde a bien changé et que souvent notre pratique semble bien loin de celle des débuts, une question se pose : Comment comprendre et mettre en place des dispositifs pensés et adaptés à la pratique actuelle, sans une théorie du psychisme qui les sous-tendent ?

Marie France Dispaux propose de poser quelques jalons métapsychologiques, une manière de penser la théorie et la clinique qui offre des outils souples et rigoureux à la fois pour accueillir, comprendre, penser la souffrance dans ses dimensions intrapsychiques et relationnelles.

Notre oratrice va situer son propos dans le cadre des premières rencontres, que ce soit en privé ou en institution. Que doit-on prendre en compte pour aborder un patient et essayer de penser un cadre pour l’aider?

Quand nous rencontrons un patient, il y a une ouverture à l’inconnu qui s’opère, qui suscite ce que Bion a appelé «une tempête émotionnelle» » et qui a lieu des deux côtés. Du côté du thérapeute, il y a à se laisser aller à cette « tempête émotionnelle bien utile pour rejoindre le patient dans sa détresse tout en ayant en tête un minimum de jalons théoriques qui nous permettent de poser des questions pour ouvrir le patient à son monde psychique.

L’oratrice évoque quelques jalons théoriques, références essentielles pour nous permettre d’écouter tout particulièrement ces patients qui ont du mal à exprimer une demande, du moins à l’exprimer de façon consciente, sans y coller nos propres attentes.

Il y a au départ l’écoute et l’attention. Souvent, le thérapeute se sent comme obligé de «donner quelque chose» au patient, d’interpréter, alors que le patient ne saura pas quoi en faire.

Par l’écoute et l’attention au sens de Freud et de Bion, nous donnons déjà l’essentiel. Nous pouvons repérer entre les mots ou les sensations, les ressorts de la demande d’aide. Cela survient à un moment de rupture physique ou psychique qui révèle, comme en négatif, les traces des traumatismes infantiles enfouis depuis longtemps. Il est important de prêter attention aux moments de crises qui marquent les étapes de vie et aux différents repères qui scandent l’histoire du patient.

L’écoute et l’attention permettent aussi d’identifier des éléments du fonctionnement mental par exemple, les passages à l’acte, les éléments dépressifs, les troubles de la pensée, ce qui permet d’évaluer, compte tenu du type de relation que le patient noue avec nous, si un espace transitionnel, même a minima, peut permettre d’envisager un travail thérapeutique ultérieur.

Chez les patients où la fonction de symbolisation a échoué, les failles apparaissent par une irruption dans le somatique, une rupture psychotique ou des troubles du comportement. Il ne s’agit pas pour nous de poser des questions mais d’écouter entre les lignes, dans les blancs eux-mêmes, ce qui n’a pas eu lieu ou encore, les traumatismes répétitifs.

Il s’agit ainsi de repérer les traces des clivages qui sont mises en jeu dans la vie du sujet à son insu d’une certaine façon, mais qui ont la particularité d’être visibles pour l’autre. Si l’analyste est sensible à cette «information», il peut concevoir un cadre, un «site» (J.L. Donnet) sur mesure qui va créer cette ambiance particulière que chaque patient cherche à retrouver pour reprendre son cheminement là où la désillusion par rapport à l’objet l’a laissé. L’analyste devient alors un réel objet transformationnel comme le décrit Christopher Bollas.

Un autre élément important est d’évaluer la force ou la fragilité du moi et de l’identité. Le paradoxe est qu’au plus l’identité est figée, au plus elle est fragile. Au contraire, au plus une personne est «solide», au plus elle se laisse toucher et bousculer par le changement, au plus elle tolère un flottement de ses repères personnels, sans trop de craintes de vivre une inquiétante étrangeté, sans trop de crainte de dépersonnalisation. Chez une personne «en bonne santé» selon Winnicott, l’identité est relative, la personne peut à la fois rester elle-même et s’adapter à de nouveaux environnements.

MFD insiste sur deux points par rapport au fonctionnement psychique de l’analyste lui-même dans la création de cet espace transformationnel.

D’une part la possibilité de vivre une capacité négative dans le sens d’une certaine ouverture passive. Plus simplement dit, une capacité à «se laisser faire» pour que le travail élaboratif inconscient qu’elle a appelé « co-esthésie » puisse prendre forme (co-esthésie plutôt que celui de co-pensée parce qu’il est plus près des sensations et du corps).

Ce travail d’élaboration inconscient se traduit par des images quasi hallucinatoires chez l’analyste, dans une zone du psychisme proche de ce que Green a décrit de ces états où il y a non-discrimination affect représentation. Ici la transformation se fait à la limite entre les deux psychismes dans une zone d’indifférenciation sujet-objet. Il y a donc double indifférenciation sujet-objet / affect-représentation.

Dans les cas de clivage précoce, les traces inscrites pré-psychiquement sont des traces sensori-motrices. Ce sont donc des traces du même ordre, sensori-motrices, qui devront être mobilisées afin de remettre le processus en mouvement dans la nouvelle rencontre avec l’autre dans la relation analytique.

D’autre part, ce qui apparaît comme le contrepoint de cette capacité à se laisser faire, c’est la nécessité pour l’analyste de créer un tissage associatif avec le patient. Créer un tissage associatif, ne veut pas dire faire des liens qui risqueraient d’être plaqués avec l’histoire du patient. C’est lui proposer des images, mettre parfois des mots, qu’il prend ou ne prend pas, pourvu que quelque chose de vivant passe dans la relation. En plus de cette écoute et de cette présence plus active, il faut avoir en tête les «outils conceptuels» spécifiques, indispensables pour comprendre et analyser des fonctionnements psychiques différents du fonctionnement névrotique.

Car, comme le souligne A. Green, au plan économique, il existe un préalable à la capacité de la psyché d’investir la recherche du sens. En l’absence de ce pré-requis, l’exercice de la méthode analytique est stérile. Au fil des exposés de cette année vont se déployer les différentes cadres qui permettent de mettre en route un certain travail sur le quantitatif qui est un préalable à l’induction de ce saut qualitatif que représente la symbolisation.

Au travers de ces premiers entretiens, c’est presque toute la métapsychologie qui est balayée. Cet ensemble forme une toile de fond, un écran d’arrière fond, – allusion à l’objet d’arrière fond décrit par G. Haag – qui va permettre à l’intensité de la rencontre dans ces premiers entretiens de s’organiser. Si l’analyste peut se laisser porter par la rencontre, c’est grâce à un cadre intérieur, une intériorisation de l’analyse et de la pensée analytique.

Marie France Dispaux termine un plaidoyer pour la formation permanente qui permet de rester ouvert et vivant dans la rencontre !

Résumé : CATTY VANDESKELDE

Marie-France Dispaux