L’enveloppe psychique

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Delen op

L‘enveloppe psychique. Souffrance, psychopathologie et associativité

Sous la direction de Denis Mellier,

Paris, Dunod, 2023, 235 pages

 

Voici un livre collectif qui répond pleinement à l’attente des professionnels du soin – pas seulement psychique, mais également somatique et social –, ainsi que de chercheurs dans des domaines allant de la biologie à l’économie, de voir des psychanalystes prendre au sérieux les enjeux que présente l’Anthropocène pour la psychanalyse. C’est suffisamment rare encore, en particulier dans le champ de la psychanalyse francophone, pour être remarqué. Prendre au sérieux, c’est-à-dire assumer pleinement le fait que, si la psychanalyse dispose d’un riche terreau de théories très diverses, celui-ci demande à être profondément remis au travail pour être en mesure de contribuer utilement à la grande refondation anthropologique qu’appellent les transformations géophysiques du « système-Terre » dont l’Anthropocène est le nom.

C’est explicitement le propos de Denis Mellier, qui a dirigé la rédaction de cet ouvrage à la suite du colloque international Enveloppes psychiques, nouvelles conceptualisations et évolutions sociétales qu’il avait organisé en novembre 2021 à l’Université de Franche-Comté.

Je ne ferai ici que présenter brièvement un ouvrage qui réalise un effort authentique pour ouvrir, à partir d’un champ conceptuel particulièrement fécond de la psychanalyse,  une réflexion large sur la nature de l’humain, susceptible de soutenir l’émergence de nouvelles formes, non seulement de soin, mais surtout d’existence.

Je soulèverai  ensuite quelques questions, qui orientent mon abord des différentes dimensions de l’ouvrage.

Le titre, tout d’abord : L’enveloppe psychique, au singulier. Mellier est bien au fait que ce dont il est question ici est pluriel, mais le choix du singulier vise à se centrer sur le concept, ce qui le caractérise et le constitue.

Le sujet, ensuite : le concept d’enveloppe vise à aborder la dynamique des processus et l’organisation des fonctions à travers lesquelles l’être humain peut prendre forme sur cet arrière-fond qu’est « l’enveloppe terre ».

L’objectif enfin : face à ce que j’ai appelé le « décontenancement de l’humain », « il devient urgent, écrit Mellier, de considérer, sur la base d’un travail psychanalytique, comment articuler effectivement différents niveaux de détermination, pour un sujet, pour ses liens et pour les ensembles auxquels il participe plus ou moins directement » ; et de soutenir ainsi le travail de « toutes les équipes pluridisciplinaires qui cherchent des solutions face au découragement, à la perte de sens et à l’impuissance ».

Denis Mellier a organisé le livre en trois parties : la première rappelle l’œuvre des trois grands pionniers qui ont donné corps et vie, dans la psychanalyse francophone, au concept d’enveloppe : Didier Anzieu, René Kaës, Didier Houzel. Œuvre ouverte, où, « de manière inattendue » écrit Mellier, « l’enveloppe psychique rassemble des mondes différents qui ont tous pour fonction de rendre possible la vie du sujet ». Une deuxième partie choisit quelques problématiques et dispositifs – sous les plumes de Dominique Mazéas, Christine Anzieu-Premmereur, Magali Ravit, Gilles Amado et Dominique Lhuilier – illustrant la diversité des contextes où le concept d’enveloppe psychique s’avère heuristique. La troisième partie ouvre – avec un article de Jean-Pierre Pinel, récemment décédé, sur les enveloppes institutionnelles – les questions répondant à la nécessité d’une « métapsychologie du troisième type » (Kaës, 2015), que Denis Mellier situe de manière à mon avis très pertinente du côté de l’associativité, dont il souligne, en référence aux travaux de René Roussillon (2009) qu’ « elle est devenue une caractéristique de l’extension de la psychanalyse ».

Mellier cherche ainsi à faire apparaître un « socle commun » permettant d’envisager le très large et mouvant éventail des formes de souffrances qui se manifestent dans la vie des individus, des familles, des groupes, des institutions, des sociétés, des cultures …

Je retrouve certains de mes propres interrogations sous sa plume, lorsqu’il se demande ce « qui fait que certaines souffrances non contenues peuvent trouver successivement ou simultanément différentes formes pathologiques ? Le « soi » d’un sujet peut-il se comprendre comme un agrégat de différentes parties qui réagissent différemment à ces détresses archaïques et qui changent suivant une nouvelle configuration ? ».

D’autres questions viennent évidemment à l’esprit.

Mellier centre son propos, à la suite notamment de Kaës, sur « le maillage très étroit entre corporéité et intersubjectivité », résultant d’un double étayage sur le soma et l’autre – assimilé au socius. Ce dualisme théorique originel ne laisse-t-il pas dans l’ombre un fond commun, non-différencié, informe, auquel, dans la lignée des travaux de Winnicott, repris entre autres par Jacques Press, il me semble important d’accorder une place centrale en tant que telle dans nos réflexions. Ce fond est en effet d’une part ce qui introduit un élargissement de la perspective au vivant terrien dans ses interactions avec les éléments du « système-Terre ». Le situer soit du côté du corporel, soit du côté de l’intersubjectivité, lui ôte l’essentiel de sa pertinence ontologique. Et, d’autre part, méconnaître ce fond, qui à mes yeux alimente tout au long de la vie nos processus de différenciation et de transformations, notamment via les processus transitionnels, risque de nous faire confondre le non-différencié « porteur de vie » avec les zones de confusion  liées aux défenses par dé-différenciation liées à l’échec de certains processus de différenciation (Matot, 2022). La psychanalyse transitionnelle que Didier Anzieu appelait de ses vœux implique une telle distinction.

Parmi d’autres questionnements, deux points me semblent également mériter une attention particulière.

D’une part, l’idée que chaque différenciation suffisamment réussie construit un dedans et un dehors mais également des fonctionnements transitionnels, ni-dedans-ni-dehors. Il me semble intéressant d’envisager ces processus comme relevant toujours d’une co-émergence, et à ce propos, un grand absent dans les références  des auteurs qui ont contribué à l’ouvrage est Gilbert Simondon. Dans ses travaux sur les processus d’individuation, celui-ci insiste non seulement sur l’idée d’une co-émergence de l’individu et de son environnement à partir de ce qu’il appelle le « pré-individuel » (qui me semble relever de la même idée que l’informe winnicottien)- mais également, concernant l’émergence du « transidividuel » – qui peut être assimilé au groupal – il insiste sur l’idée que ce second niveau implique non pas l’individu différencié mais justement le « pré-individuel ».

D’autre part, outre l’associativité, une dimension intéressante des fonctions d’enveloppe me semble être celle de la stabilité, que Mellier évoque à plusieurs reprises. Là encore, les travaux de Simondon, et ses références à la physique au-delà des états d’équilibre sont utiles. En effet, les équilibres du vivant impliquent les concepts de métastabilité et de saturation. Et c’est là que le pluriel des enveloppes intervient : la stabilité du vivant ne peut me semble-t-il se concevoir que comme un processus dynamique entre différentes positions métastables du fait de l’accroissement du désordre au fil du temps, des phénomènes de saturation qui résultent de la répétition, et de la prise en compte de la complexité.

Ce livre nous offre donc une lecture riche et stimulante, dont on peut espérer qu’au-delà d’un renouvellement des réflexions des cercles psychanalytiques, elle contribue à ouvrir des espaces propices à des travaux pluridisciplinaires incluant des psychanalystes.

 

NB : pour des notes complémentaires, mais également l’ébauche d’un débat avec Denis Mellier et d’autres collègues intéressés, rendez-vous sur Psy.Kanal

Matot

Dunod , Paris

2023