Désapprendre. Voies de la pensée chez Hannah Arendt.

Tanguy de Foy

09/07/2019

Marie Luise Knott, Désapprendre. Voies de la pensée chez Hannah Arendt., L’Arche, 2018, Tête-à-tête
Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni

Lu, vu, entendu

Delen op

J’ai trouvé récemment un petit livre, du genre qu’on ne cherche pas, qui s’impose malgré la discipline qu’on s’impose.

C’est le titre, d’abord – Désapprendre – qui m’attire : tout un programme qui semble, à la fois, tellement loin des préoccupations éducatives actuelles et politiques et tellement à l’ordre du jour d’un agenda éducatif et politique qui n’en finit pas de se dé-terminer.

Nous voilà d’emblée dans la tension arendtienne, dans la tension freudienne aussi bien qui invite à libérer l’esprit des associations préétablies.

Car c’est bien d’Hannah Arendt qu’il s’agit, le sous-titre le dit : le “désapprendre” nous emmène sur “les voies de la pensée chez Hannah Arendt”.

Je ne connais pas les rapports de la philosophe avec la psychanalyse. Julia Kristeva, qui la connaît bien, dit que “la psychanalyse resta opaque à Hannah Arendt, bien que sa vie et son oeuvre interpellent la psychanalyse de façons multiples et inhabituelles” (voir : http://www.kristeva.fr/Arendt_fr.html).

Et sans doute, ces voies de la pensée proposée par Marie Luise Knott nous interpellent. Elles nous font passer par le “rire”, le “traduire”, le “pardonner” et le “dramatiser”.

Si les deux premiers inspirent aisément le psychanalyste, le deuxième le fait réfléchir à sa pratique, tandis que le dernier le fait repasser par la scène sur laquelle la psychanalyse s’est ouverte et a construit son cadre et sa dramaturgie.

Je ne peux pas faire plus ici que d’expliciter un peu ces quatres “voies de pensée” pour donner envie d’aller y rafraîchir notre rapport au mot d’esprit, à l’interprétation, au transfert et à notre manière de réinventer chacun la psychanalyse.

Le rire dont il s’agit ici est celui d’Hannah Arendt découvrant les ambitions pathétiques d’Adolf Eichmann. Sans lui, elle n’aurait pu penser la “banalité du mal”. Ce rire invite à penser ce qui sidère autrement.

Le “traduire” se rapporte à l’exil de notre auteur aux Etats-Unis et dans la langue anglaise. Le passage d’une langue à l’autre, “les traductions, dit M. L. Knott maintiennent le langage dans le devenir” (p. 58). Cette expérience entre deux langues qui suscite la pensée est aussi une manière de revisiter cet entre-deux particulier qu’est l’inter-prétation.

Le “pardonner” est au coeur du “désapprendre”. Arendt essaye de le penser au-delà ou en dehors de sa dimension chrétienne, pour le rendre à l’homme et le penser comme acte qui libère des actes qui enferment. Il faut pour cela un autre qui accepte de se lier, qui accepte le transfert pour pouvoir se délier, désapprendre en même temps que l’autre, pour oser un nouveau commencement.

Le “dramatiser” enfin rappelle le pouvoir-apparaître de l’homme sur la scène du monde et la dimension politique de la règle fondamentale. Il souligne les intérêts d’un cadre poétique capable de “briser la progression de notre propre pensée sur des rails uniques” (p. 125).

Ce petit livre méditatif et inspirant est aussi illlustré par Nanne Meyer qui dessine des mots et des choses, des représentations de mots qui deviennent des choses et des représentations de choses qui deviennent des mots. Cela le rend encore plus sympathique.