A propos de la bobine de L-F. Céline

Yoann Loisel

Yoann Loisel, psychiatre, Responsable Unité de Jour pour Adolescent, Institut Mutualiste Montsouris, Paris Yoann.Loisel imm.fr

Loisel Y. (2018), La bobine de Louis Ferdinand. Louis-Ferdinand Céline, le négatif et le trait d’union ; MJWF édition, 173 pages

Psychanalyse et créativité artistique

Delen op

L’essai « La bobine de Louis Ferdinand/ Louis-Ferdinand Céline, le négatif et le trait d’union » prend pour appui la difficulté d’intégration qu’impose à son lecteur l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline.

Les irréductibles contradictions et mystères de l’homme et de l’auteur sont parcourus pour ouvrir à de nouvelles considérations, en particulier en ce qui concerne son histoire familiale, le moment tout à fait singulier d’irruption d’une parole antisémite qui, légitimement, peut rendre la lecture rédhibitoire en son ensemble, également l’effet du traumatisme de guerre sur les vicissitudes de la contenance stylistique avec, en celle-ci, la place du corps et de ses douleurs.

La bobine, c’est à la fois le visage que Céline refuse de montrer puis celui qu’il se plaît à exhiber, le fil du destin, mais aussi la poussée via la création dans les canaux du transitionnel, le trait d’union qu’il vient placer dans son pseudonyme d’écrivain : cette bobine manifeste en fait plus de continuité qu’il n’y paraît. Elle se révèle l’effet d’un complexe, traumatique, qui lui fut transmis et qu’il « passe » au lecteur. L’union parentale est investiguée pour désigner combien le manque d’histoire, et même la sidération précoce des capacités représentatives, auront été transmises au futur Céline, celui-ci adoptant un conformisme du type faux-self qui volera en éclat après sa blessure de guerre en 1914 (TS envisagée, au moins comme Tentative de Sortie). L’excitation, précédemment sous couvercle, se débonde et réclame de nouvelles dérivations, en même temps qu’elle suscite une curiosité analytique : d’où vient-elle ? L’énigme est versée dans la dynamique d’écriture mais, puisque l’origine ne saurait être dans le verbe, cette écriture est vite jugée décevante par l’auteur lui-même, contraint de plus en plus de l’appuyer sur des mots-choses, au plus près du corps, par là au plus proche des réactivations traumatiques. Une décompensation va s’en suivre, après le deuxième roman, précisément lorsque Céline aura davantage subjectivé son histoire infantile. L’auteur hurlant avec les loups, la propension imitative est reprise, renforcée de l’expression inédite et forcenée de la haine envisagée comme défense antisociale selon toute l’ambiguïté que Winnicott a déposée dans ce concept.      

Tenant de l’anti et de l’anté, l’agressivité et l’humour, plus apparent dans les romans, sont deux faces d’une même pièce : celle d’une recherche non pas du temps perdu mais du lien et du sens disparus. Le poids d’un secret de famille est précisé, du côté du père dont le nom est effacé par le pseudonyme, moyen d’en poursuivre la disqualification autant que de le protéger, secrets et silences se retrouvant dans les procédés stylistiques, jusqu’aux fameux points de suspension.

Outre cette « perle » inédite, l’essai dévoile surtout comment le nerf de la guerre est chez Céline une douleur réactivée, cumulative et agonique. Il propose de considérer le dérèglement du sens et des sens comme une transe nécessaire à sa création sur le fond d’une reviviscence traumatique à la fois redoutée et entretenue pour continuer de tenter d’en trouver la bonne clef, le juste mot de passe. Si celui-ci s’élabore de manière paranoïaque dans l’expression pamphlétaire, il semble que le roman conserve autrement la capacité transitionnelle de l’auteur. Entre créativité et destructivité, liaison et abjection, il est par là montré comment un certain formant narratif permet à Destouches, au bout de sa nuit continûment retouchée, de dépasser certaines terreurs et de rester Céline, son être de littérature. 

Videografie

Yoann Loisel https://www.youtube.com/watch?v=3rqtzry1YsI

L’antisémitisme de Louis-Ferdinand Céline, France Inter, 8 janvier 2018, 

https://www.youtube.com/watch?v=BWF264C0hBw