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Un enfant tiqueur et obsédé ou Les ratés de la latence et les complexités du préconscient

01.04.1987

Dans deux travaux antérieurs parus dans cette Revue, j'ai tenté de dégager quelques aspects du fonctionnement mental de l'enfant dit "latentiel". A propos des rêves chez l'enfant, j'ai souligné la qualité des productions oniriques, plus riches et plus complexes en latence que précédemment (8). Dans mes réflexions sur la latence et la période de latence (9), basées sur la notion du travail de deuil et de renoncement aux objets oedipiens, j'ai rappelé deux aspects des remaniements économiques : la problématique de la désexualisation et de la resexualisation, ainsi que l'intrication des mouvements défensifs et élaboratifs. J'ai voulu surtout mettre en évidence la dimension active et complexe des processus psychiques qui s'y déploient, lorsque l'évolution se déroule dans des conditions favorables, ce qui implique que l'Oedipe et la Névrose infantile, au sens où l'entend S. Lebovici (6), ont suffisamment cristallisé la structuration de la personnalité.

Les enfants de cinq à douze ans sont majoritaires dans ma consultation, comme d'ailleurs dans beaucoup de consultations pédopsychiatriques. Les tableaux cliniques présentés par ces enfants peuvent être très variés et ils ne traduisent pas toujours des dysfonctionnements mentaux graves. J'estime très intéressant de les aborder par rapport à l'organisation latentielle qui devrait "chapeauter" leur fonctionnement mental. Lorsque ce n'est pas le cas, ces enfants m'impressionnent toujours beaucoup, même s'ils ne sont pas franchement psychotiques. Ainsi par exemple, j'ai eu l'occasion, il y a quelques années, de publier le cheminement psychanalytique d'un garçon de dix ans qui, lui, présentait une symptomatologie de conversions hystériques (7).

L'histoire de ce garçon m'avait amené à réfléchir dans trois directions :

  • sa symptomatologie, avec notamment une paralysie totale des membres inférieurs qui avait duré plusieurs semaines, avant d'être remplacée par une toux aboyante quasi-permanente.
  • La gravité de ses dysfonctionnements mentaux à plusieurs niveaux, le rendant incapable de s'organiser dans des modalités mentalisées et de devenir vraiment latentiel.
  • La compréhension, en tous cas mes tentatives de compréhension de ses troubles d'organisation psychique à partir de sa symptomatologie et de l'histoire évolutive qui l'a précédé.

Une telle démarche me paraît indispensable dans l'approche de ce type d'enfants, aussi bien du côté diagnostique que du côté du travail thérapeutique. C'est pourquoi je me propose d'aborder l'histoire de Jean dans cette triple perspective.

J'ai reçu récemment Jean à ma consultation. Agé de onze ans, aîné de deux fils, il présente depuis quelques mois une symptomatologie polymorphe, bruyante et invalidante : cauchemars et rêves d'angoisse assez fréquents, tics itinérants et quasi-permanents, rituels et compulsions envahissants ; ces manifestations évoluent dans un climat de grand malaise personnel et d'inquiétude familiale fort compréhensibles.

Sur les conseils du Centre PMS de l'école et de leur médecin de famille, les parents me contactent deux mois après la rentrée scolaire de septembre ; Jean vient de commencer sa cinquième primaire. Depuis les vacances d'été, il est devenu très nerveux et trop actif ; il présente aussi divers tics assez gênants : tapotements du pied sur le sol, mouvements brusques du bras, de l'épaule, de la tête, reniflements, émission de bruits de bouche bizarres. Les parents ont constaté que les premiers tics sont apparus pendant un voyage à l'étranger, en famille, où Jean s'est beaucoup ennuyé… Jean est bien conscient de ces gestes parasites et souffre de ne pas savoir les contrôler, sans compter la surcharge narcissique pénible que constituent les moqueries des condisciples. Les activités physiques multipliées (vélo, judo, etc.) ne parviennent pas à modifier l'intensité des tics, lesquels diminuent lorsque Jean est psychiquement plus détendu.

Parallèlement, Jean est de plus en plus envahi par de nombreux rituels obsessionnels où des "doutes", si caractéristiques chez les patients présentant une telle pathologie, contaminent de plus en plus sa pensée et son comportement. Ainsi, par exemple, il est contraint à de nombreuses vérifications : fermer les portes, débrancher les prises de courant, noter à de multiples reprises ce qu'il doit faire pendant la journée et s'assurer qu'il n'oublie rien…

Il doit absolument se frotter les mains après tout contact humain ; Jean ajoute spontanément qu'il est "obligé" de réaliser certains rituels, par exemple devoir marcher sur la bordure du trottoir en effectuant X pas, sans quoi un malheur pourrait advenir à ses parents.

Les parents se demandent si Jean n'a pas été préoccupé par la récente intervention chirurgicale subie par son frère cadet, pour cryptorchidie. Ils évoquent à cet effet le traitement hormonal appliqué à Jean pour un problème assez identique sans toutefois qu'il soit question d'intervention. Mais Jean est peu communicatif et n'explicite jamais ses idées et ses préoccupations. Retenons aussi qu'un récent bilan neurologique, EEG compris, s'est révélé tout à fait négatif ; la neurologue préconise de la relaxation. J'apprendrai aussi, au décours de quelques entretiens familiaux initiaux, que Jean a toujours été assez anxieux et progressivement perfectionniste et méticuleux. Dès l'âge d'environ deux ans – deux ans et demi, il a présenté des difficultés d'endormissement (refus d'aller coucher seul) et des terreurs nocturnes, des cauchemars, des rêves d'angoisse ; les parents dissocient toutefois peu ces différentes manifestations dans la mesure surtout où elles ont toujours été assez intriquées. Il n'a jamais bien supporté les séparations, de tout temps ; actuellement encore, son intolérance à la séparation reste flagrante ; il accepte très mal toute absence, fut-elle brève, d'un de ses parents. Un peu plus tard est apparu du somnambulisme sans que les autres troubles ne s'estompent pour autant. Les parents ont certes cherché divers aménagements, sans succès : changement de décor de la chambre, changement de chambre, séjours épisodiques dans celle des parents etc… Quand Jean explicite ses rêves d'angoisse, il évoque des thèmes de sorcières, d'incendies, peu détaillés toutefois.

Nous pouvons donc voir une symptomatologie évoluant depuis longtemps, sans période de rémission, se déployant à la fois dans sa vie diurne et nocturne. Toutefois si les parents peuvent bien décrire les diverses manifestations symptomatiques de Jean depuis sa petite enfance, ils ne peuvent pas en préciser avec exactitude un ordre chronologique bien établi, si ce n'est pour le somnambulisme, d'apparition plus tardive que les autres troubles du sommeil.

J'ai rencontré Jean à quelques reprises avant de décider de le prendre en psychanalyse. Très collaborant, souffrant à l'évidence de ses difficultés symptomatiques, Jean va me confirmer que le début de ses tics, de ses rituels, de ses doutes, date des récentes vacances d'été où il s'est beaucoup ennuyé. Il est tout à fait conscient que ces manifestations ne sont ni volontaires ni dirigées contre ses parents. Il a été très inquiet de l'opération récente de son frère, se demandant ce que le chirurgien allait lui faire, craignant que l'intervention ne réussisse pas et que son frère puisse mourir. Il associe sur sa propre amygdalectomie d'il y a deux ou trois ans.

Sans entrer dans le détail du contenu de ces entretiens préliminaires, je voudrais dégager les éléments essentiels que Jean m'explicite à propos de ses cauchemars et de ses rêves angoissants, de son somnambulisme, de ses tics et de ses rituels.

  • Pour ce qui concerne les tics, je constate essentiellement des manifestations brusques du cou, de la tête, des reniflements, et de plus, un aboiement aigu qui s'accompagne d'un mouvement incontrôlable de se pencher vers moi. Jean essaie, me dit-il, de "se retenir", sans succès. Il en souffre beaucoup, à la fois sur le plan personnel et sur le plan de ses relations aux autres qui en sont fort perturbées. Ainsi, en classe, se sent-il débordé par un incoercible tic de sifflement qui irrite tout son environnement.
  • A propos de ses cauchemars et rêves d'angoisse, il se rappelle peu de leur contenu mais il peut cependant me souligner l'importance de thèmes de fantômes, d'intrusions d'hommes ivres dans sa chambre, qui pourraient l'enlever ou le tuer. Il me précise que cette symptomatologie "nocturne" existe chez lui depuis sa toute petite enfance, sans grande période de rémission. Par association, Jean va me parler de ses peurs de rester seul à la maison, avec la crainte assez prégnante d'incendie, de téléphones anonymes, d'accident pouvant survenir à ses parents. Il ne supporte pas sa baby-sitter, par laquelle II craint d'être battu. Il ne parvient pas à s'endormir s'il n'a pas réalisé un certain nombre de rituels conjuratoires (portes, prises de courant, terminer le légo entrepris, etc…). Il évoque aussi ses accès de somnambulisme, sans pouvoir rien en dire, hormis que ce sont ses parents qui lui en parlent, lui ne se rend compte de rien et n'en a aucun souvenir au réveil.
  • Du côté des rituels, Jean me donne plusieurs exemples récents : ainsi, il ressent la nécessité impérieuse, le soir, de fermer les portes de son placard et du grenier, de vérifier la parfaite symétrie de sa couverture, de retirer plusieurs fois les tentures de sa chambre du radiateur car elles pourraient prendre feu ; pendant la journée, il doit contrôler à plusieurs reprises les transformateurs de son train électrique qui pourrait exploser ; en rue, il se sent parfois "obligé" de précipiter le pas ou même de courir pour agir ses impulsions, par ailleurs irréalisables, ce qui engendre un doute insupportable et une énorme tension intrapsychique.

Je crois important de souligner que Jean pense qu'il y a des liens entre ses tics, ses rituels et ses angoisses nocturnes, mais sans pouvoir les comprendre ni surtout les aménager. Son exemple associatif consiste à m'expliquer comment, en l'absence de ses parents, il se sent compulsivement obligé de crier très fort… Une autre association le conduit à me parler de la chaudière, en particulier des boutons de la chaudière dont il a très peur mais qu'il doit inévitablement aller manipuler… pour que la chaudière n'explose pas. Jean apporte aussi une anecdote illustrative, relativement récente : lors d'une promenade en vélo avec son meilleur copain, il a rencontré un fermier occupé à réparer une clôture, lequel aurait sollicité l'aide des deux garçons. Jean a d'emblée été envahi par une angoisse massive, craignant un enlèvement, mais il s'est senti "obligé" en même temps de s'exécuter car, s'il s'y soustrayait, cela risquait d'être catastrophique pour ses parents. Il ajoutera qu'il ne peut faire confiance à personne, surtout pas aux gens qui mentent, entre autres ses parents, lorsqu'ils rentrent plus tard que prévu ou promis…

Du point de vue "prétransférentiel", j'entends bien que Jean ne peut faire confiance à personne, mais je ressens très rapidement qu'il investit la relation, il confirme sa souffrance, il paraît pouvoir associer et il adhère très vite au projet d'analyse. Il va me parler de mon bureau, de mes activités, de ma famille, de mes pipes, de mes intérêts sportifs et autres… mais il va aussi devoir aller à la toilette à l'une ou l'autre reprise lorsque nous abordons sa symptomatologie encombrante.

Il est important par ailleurs de mentionner que les parents, au décours du dernier entretien d'investigation, me signalent avec inquiétude que Jean a assez mal réussi ses examens de Noël, contre toute attente et, en tout cas, en contradiction flagrante avec ses prestations antérieures.

Je voudrais aussi livrer quelques éléments issus des premières semaines de travail analytique ; ils me paraissent importants du point de vue de l'engagement du processus psychanalytique, mais aussi pour la compréhension de ses différents niveaux de fonctionnement.

Après une première séance très "latentielle" où il me détaille l'aménagement de sa chambre et notamment son installation stéréo-disco, Jean aborde, dès la deuxième séance, le thème de récents cauchemars effrayants et impressionnants, où dominent des scénarios d'agressions, de tueries, d'horreur  : il est très menacé et finalement tué à travers des supplices très sophistiqués.

En alternance, se déroulent des séances fort contre-investies, où, par exemple, il prend beaucoup de plaisir à venir avec son auto téléguidée, cadeau récent, ou bien à me détailler par le dessin le dernier match de football auquel il vient de participer à l'école. Dans ce type de matériel, je note au passage un évident retour du refoulé lorsque Jean me fait une démonstration de magie à l'aide d'un jeu de cartes. Après m'avoir montré plusieurs tours de "passe-passe" assez convaincants, il m'interpelle sur mes connaissances quant au "streap-poker", jeu assez particulier dont l'objectif progressif consiste, pour le perdant, à enlever ses vêtements un à un. Jean prend beaucoup de plaisir à évoquer au passage l'obligation pour une fille de sa classe à se mettre toute nue et pour le professeur de gymnastique à se déshabiller progressivement jusqu'au slip. Toutefois, dans la même séance, réapparaissent les sorcières menaçantes dans un cauchemar récent, mais il finit néanmoins par prendre le dessus et les tuer.

Peu après, le verglas s'étant implanté dans la région, Jean va me raconter une invraisemblable histoire d'un carambolage homérique où plusieurs voitures se sont télescopées ; les pompiers et les ambulanciers ont eu toutes les peines du monde à extraire plusieurs blessés des voitures accidentées, par le biais de manoeuvres spectaculaires avec chalumeaux et scies, qui ont dû couper plusieurs tibias et péronés. Le matériel bascule à nouveau lorsque Jean se met à détailler plusieurs éléments techniques, dessins à l'appui, concernant le récent Paris-Dakar. Mais tout aussitôt, resurgit un scénario violemment agressif au cours duquel des voleurs et des casseurs saccagent un saloon ; le shérif et la police appelée en renfort sont royalement impuissants.

Une séance de ce début d'analyse me parait particulièrement impressionnante. Jean va m'expliquer, avec moultes détails sadiques, les nombreux procédés, hautement sophistiqués et diaboliquement préparés, par lesquels il prend du plaisir, tantôt avec son frère, tantôt avec son meilleur copain, à piéger et trucider les rats qui, selon lui, encombrent son grenier. J'ai droit, au cours de cette séance, à l'explicitation de procédés imaginaires très recherchés grâce auxquels il s'organise pour attraper puis sacrifier les rats persécuteurs. Les méthodes de chasse et les supplices sont aussi variés que complexes et témoignent d'un sadisme assez remarquable : découpages, explosifs, persécutions, etc… Notons au passage qu'à ce moment de la séance, Jean va devoir brusquement "aller faire caca… ça presse trop…".

Enfin, je voudrais encore évoquer une dernière séance de ces premières semaines d'analyse : en entrant, Jean se précipite pour toucher compulsivement le côté du bureau où je suis assis ; devant mon attitude sans doute interrogative, il m'explique que, depuis quelques jours, il se sent à nouveau poussé et comme obligé par quelqu'un à faire des choses de ce genre "comme pour éviter qu'il ne se perde, qu'il n'arrive une catastrophe à ses parents, à son frère ou à ses grands-parents". Mon invitation à associer lui fait évoquer une scène des dernières vacances d'été où il se sentait obligé de se moucher en dehors de son mouchoir. Inévitablement ses "mouflettes" avaient atterri sur le tourne-disque de son père, lequel l'avait évidemment menacé d'une claque ; celle-ci n'avait pas interrompu le besoin incoercible de Jean qui ajoute spontanément  : "parce que c'est sale" ; quand je lui avance l'hypothèse que, peut-être, il y prend du plaisir, Jean acquiesce très volontiers ; en outre, il me précise qu'il ressent la nécessité impérieuse que son entourage se moque de lui, le gronde ou le punisse ; cette nécessité, poursuit-il, est du même ordre que celle qui le harcèle dans d'autres compulsions, comme ses inévitables vérifications, celles relatives aux prises de courant, par exemple.

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Jean pose évidemment de nombreuses questions, à la fois par l'ampleur et le polymorphisme de ses troubles psychopathologiques et à la fois par la complexité de son évolution depuis sa toute petite enfance.

Je tiens d'abord à préciser que je ne néglige aucunement le versant "familial" ; je l'ai évalué au mieux avant d'entreprendre une analyse avec Jean. Mais dans le présent article, j'ai choisi de me centrer sur le côté intrapsychique de l'enfant. Qu'il me suffise ici de dire que cette famille ne m'est pas apparue particulièrement pathologique, dans une première lecture en tout cas. Toutefois, une question capitale se pose à travers l'histoire de Jean : pourquoi les parents, personnes sensibles et nuancées, n'ont-ils pas consulté plus tôt ? Aborder les dimensions familiales constituerait un autre travail…

Pour reprendre maintenant mes propos introductifs et bien évidemment, les développer, je voudrais orienter mes réflexions dans deux directions. D'une part, je voudrais tenter une compréhension des manifestions actuelles de Jean et des diverses voies de sa symptomatologie diurne et nocturne en les articulant à ce que je considère comme différents niveaux de ses dysfonctionnements mentaux. D'autre part, j'essaierai de faire des liens entre l'histoire de Jean et ses troubles psychopathologiques actuels.

A) En prenant, comme point de départ les manifestations actuelles, qui sont apparues ou se sont nettement accentuées depuis les vacances d'été, je considérerais volontiers qu'elles se déploient dans une triple modalité  :

  • Une voie "comportementale". J'utilise le concept de comportement au sens où l'entendent les psychosomaticiens et notamment L. Kreisler. Cet auteur met bien en évidence dans ses travaux (5) les caractéristiques du mode de fonctionnement comportemental et les distingue des éventuels troubles de comportement (assez habituels) des névroses mentalisées qui, eux, peuvent être décodés dans leur expression symbolique. Les enfants qui présentent ces manifestations et ce fonctionnement comportementaux sont accaparés par les choses et les situations concrètes. Leurs conduites sont induites par l'environnement perceptivo-moteur, hors de l'imaginaire. Leurs activités ludiques ne sont pas infiltrées par les activités fantasmatiques sous-jacentes. Leur "névrose de comportement" est alors l'expression d'un manque d'organisation mentale qui, par sa fragilité, expose ces enfants à d'éventuelles désorganisations somatiques. Cette notion de névrose de comportement met donc l'accent sur l'originalité d'un fonctionnement mental dont l'expression se fait électivement par le comportement ; les malaises et les conflits se traduisent, non par la voie de l'élaboration psychique, comme dans les névroses "mentalisées", mais sous une forme agie.
    Cette voie comportementale se traduit, chez Jean, par des difficultés comportementales, de l'instabilité, de l'hyperactivité corporelle et motrice et, la nuit, par des accès de somnambulisme.
  • Une voie "mentalisée". Le jour, Jean est confronté à des angoisses de séparation, apparemment peu élaborées. Il témoigne aussi de diverses préoccupations anxieuses à travers des doutes, des rituels et vérifications, manifestations d'allure obsessionnelle aux mécanismes fort complexes. La nuit, il refait de fréquents cauchemars et des rêves d'angoisse avec thèmes de sorcières, d'incendies, etc. Il est évidemment très difficile d'évaluer avec précision la qualité élaborative de ces productions oniriques. Cette voie mentalisée ne me parait pas franchement psychotique.
  • Une voie que j'appellerai provisoirement "mixte", essentiellement dans la mesure où il m'est impossible de me prononcer plus clairement pour le moment. Ce sont les tics, itinérants, mais quasi-permanents ; leur expression motrice est évidente, mais il n'est pas exclu d'envisager l'hypothèse qu'ils puissent avoir un éventuel symbolisme sous-jacent ; seul, le travail analytique au long cours devrait probablement permettre d'y voir plus clair.

Ces trois voies d'expressions symptomatiques récentes posent d'emblée le problème de différents niveaux de dysfonctionnements psychiques vraisemblables ainsi que celui de la "rentabilité" économique d'un tel dispositif polymorphe.

B) Venons-en maintenant à l'histoire de Jean. Bien entendu, la prudence est de rigueur par rapport à toute dimension anamnestique, non seulement quant à l'objectivité des "informations", mais aussi quant aux interprétations, voire aux constructions qu'elle ne manque pas de susciter. Et pourtant, paradoxalement, un analyste "rêve" inévitablement l'histoire de ses patients. Et Jean me fait beaucoup rêver, sur son présent, sur son passé. Je pense y voir certains aspects significatifs.

1) La toile de fond des angoisses de séparation.

A travers ce que m'en disent les parents, je dispose de peu de repères d'ordre chronologique.

Les manifestations sont fort anciennes : "De tout temps, Jean n'a jamais bien supporté les séparations". Les angoisses sont quasi-permanentes, très tangibles le jour, sans doute aussi agissantes au moment du coucher, peut-être la nuit. Elles ont sans doute pris des modalités et des significations différentes au fil du temps, mais évoquent inévitablement toute la question de l'individuation et de l'autonomisation.

2) Les difficultés d'endormissement. Les terreurs nocturnes. Les cauchemars.

  • Les difficultés d'endormissement, relativement constantes, ont sans doute un lien vraisemblable avec les angoisses de séparation. Je n'ai pas d'éléments suffisants pour apprécier les modalités des représentations sous-jacentes ni la qualité de leurs élaborations mentales possibles.

  • Les parents font peu de distinction entre les terreurs nocturnes d'une part, les cauchemars et les rêves d'angoisse, d'autre part, sans doute parce que ces divers symptômes ont été d'apparition assez précoce (vers deux ans – deux ans et demi) et souvent intriqués. Il est néanmoins intéressant et indispensable de les distinguer d'un point de vue théorique ; en effet, nous savons maintenant, grâce à diverses recherches neuro-physiologiques et psychodynamiques, que les terreurs nocturnes se développent dans les phases de sommeil lent alors que les cauchemars apparaissent au décours des phases paradoxales. Or le sommeil paradoxal est la matrice des productions oniriques. D'autre part, la clinique nous montre que les terreurs nocturnes constituent des troubles électifs du début de la période oedipienne. Elles sont des attaques d'angoisse brève qui surprennent l'enfant en plein sommeil et le plongent dans un état de grand effroi. L. Kreisler en résume les caractéristiques essentielles de la façon suivante  : déroulement à l'emporte-pièce d'une attaque d'angoisse nocturne avec début et fin brusques, une conduite motrice d'effroi, un accompagnement somatique fait de phénomènes neuro-végétatifs (transpiration, tachycardie, tachypnée) souvent très importants, l'inconscience de la réalité extérieure, l'amnésie complète de l'événement. Je me permets d'insister sur la conduite motrice d'effroi, les accompagnements somatiques et l'appartenance de ces terreurs nocturnes au sommeil lent.

Les cauchemars et rêves d'angoisse doivent donc se distinguer des terreurs nocturnes. Outre leur éclosion pendant les phases paradoxales du sommeil, nous savons qu'ils ne sont pas inhabituels au décours du développement du jeune enfant. Freud nous a appris, en particulier à travers ses analyses du petit Hans et de l'Homme aux loups, qu'ils doivent se comprendre dans la perspective de l'angoisse du huitième mois et de la position dépressive. Celles-ci, en effet, aboutissent à la peur du visage de l'étranger avec la peur de perdre l'objet d'amour. Sami Ali précise judicieusement que cette angoisse du huitième mois est plutôt une angoisse de dépersonnalisation dans la mesure où elle est la plus manifeste quand la mère est présente en même temps que l'étranger. Les cauchemars traduisent en quelque sorte une certaine forme de liaison de l'angoisse, une organisation proto-phobique.

Si nous comprenons que Jean a présenté sans doute des alternances de terreurs nocturnes et des cauchemars – rêves d'angoisse, l'intrication de ces deux manifestations nous donne à penser que son sommeil a été régulièrement et globalement perturbé tant dans les phases à soubassement onirique que dans les phases lentes. Les terreurs nocturnes constitueraient le versant "comportemental" et les cauchemars le versant "mentalisé" de la vie nocturne de Jean à l'aube de la période oedipienne.

3) La possibilité phobique. Le somnambulisme

Habituellement, les amorces de liaison de l'angoisse de l'enfant, à cette période, s'organisent et se consolident dans des aménagements d'allure phobique, qu'ils aient été ou non précédés de cauchemars. Le destin habituel de ces derniers, dans leurs tentatives de liaison, est justement de prendre progressivement une connotation phobique  ; la peur de faire des cauchemars, qui se déploie alors dans des représentations plus organisées, lesquelles se substituent en quelque sorte aux cauchemars antérieurs.

Mais Jean a régulièrement présenté des recrudescences de cauchemars, lesquels se sont nettement accentués dans les derniers mois précédant la première consultation. Si nous prenons par ailleurs en compte la persistance des angoisses de séparation, diurnes et vespérales, nous pouvons supposer qu'aucune organisation véritablement phobique ne s'est vraiment constituée. La définition classique de la phobie la spécifie par la peur provoquée soit par un objet, soit par une idée, soit par l'évocation d'un objet ou d'une idée. Nous connaissons la grande fréquence des phobies autour de l'Oedipe et de l'entrée en latence ; dans une certaine mesure elles peuvent même être considérées comme normales, dans la perspective d'un point organisateur développemental. Ce sont les nuances qualitatives et quantitatives qui nous permettent d'en apprécier la valeur économique. Certaines formes en effet s'avèrent plus inquiétantes dans la mesure où elles risquent de se fixer, de s'amplifier et de devenir éventuellement une entrave au travail de la latence, dans le sens où je m'en suis expliqué antérieurement.

Bien sûr des difficultés d'endormissement, des rêves d'angoisse et certaines manifestations d'angoisse de séparation ont perduré, de façon intermittente en tout cas. Mais s'agit-il vraiment d'organisation phobique stricto sensu ? D'autre part, nous savons par expérience que beaucoup de phobies évoluent à bas bruit, les enfants n'en parlent pas nécessairement, même au cours de psychothérapies. Peut-être Jean est-il parvenu à lier son angoisse dans certains aménagements phobiques silencieux ? Je ne puis répondre catégoriquement à cette question.

Par contre, les accès de somnambulisme apportent d'autres éléments de compréhension. Je ne dispose que de points de repères relativement vagues ; toutefois je sais par les parents que ce type de symptôme a été d'apparition plus tardive que les autres troubles du sommeil, ce qui rejoint les observations cliniques habituelles. Ici aussi, je peux m'appuyer sur les apports neurophysiologiques et leur possible articulation avec les aspects psychodynamiques. En effet, tout comme les terreurs nocturnes, il est démontré que les accès de somnambulisme se manifestent lors des phases de sommeil lent ; il n'y a pas d'angoisse concomittente.

L. Kreisler considère à leur propos que, prenant en quelque sorte le relais des terreurs nocturnes, le somnambulisme doit être appréhendé sous l'angle du comportement et de l'agi ; dans cette "activité automatique", l'enfant est comme invinciblement poussé par une intention ; il n'est pas rare de retrouver dans les antécédents proches un événement dont l'activité somnambulique est une mise en scène ébauchée, pour réaliser un conflit, un désir ou une crainte. Mais une des particularités des enfants somnambules est d'exprimer leurs conflits par la voie des troubles du comportement plutôt que sous la forme d'une élaboration névrotique. Les données psychophysiologiques confirment souvent la carence onirique de ces enfants ; tout se passe comme si cette activité motrice hypnique anormale répondait à une pauvreté onirique et fantasmatique, l'accès somnambulique étant en quelque sorte un rêve "raté" ayant fonction de "remplacer" le rêve tout en préservant le sommeil. Ce seraient les couches les plus profondes du préconscient qui inspireraient les conduites, sans que les phénomènes sensori-moteurs qui se déroulent alors soient l'objet d'une élaboration quelconque.

Je n'ai pas suffisamment d'éléments à ma disposition pour préciser les liens éventuels entre les manifestations somnambuliques de Jean et d'éventuels événements dont ils seraient une possible mise en scène. Mais je trouve néanmoins très intéressant de les comprendre dans la perspective des "ratés" oniriques et fantasmatiques et des modalités d'expression comportementales et agies dans le prolongement direct, base psychophysiologique à l'appui, des terreurs nocturnes qui les avaient précédés.

Bref, la persistance de certaines manifestations d'angoisse tant diurnes que vespérales et nocturnes (séparations, endormissement, rêves d'angoisse) et l'apparition concomittente du somnambulisme plaident en faveur d'un fonctionnement polymorphe où se déploient parallèlement ou en alternance des expressions mentalisées et d'autres expressions, comportementales et motrices.

4. L'éclosion des tics et des obsessions

Plusieurs années se sont sans doute déroulées dans cette recherche constante d'un équilibre précaire, sans accès à une vraie latentalisation économiquement apaisante ; les fragiles compromis entre le versant vers la mentalisation et le versant comportemental, agi et moteur ont été débordés.

A l'occasion du double facteur "déclenchant", les vacances d'été loin de son cadre de vie habituel et l'opération de son frère pour cryptorchidie, les "aménagements" de l'organisation mentale de Jean ont été ébranlés. Bien évidemment, je ne plaide pas en faveur d'une étiologie simpliste dans un rapport de cause à effet trop réducteur. L'expérience psychanalytique m'a en effet appris à nuancer les effets de soi-disants "traumatismes", d'autant que ces derniers, dans le cas de Jean, ne peuvent être avancés que prudemment et à titre d'hypothèse.

Mais il est cependant intéressant de s'interroger sur ce qu'a pu vivre Jean au cours des vacances, en famille certes, mais "séparé" du contexte de son environnement habituel ; au niveau de ses affects, il peut dire qu'il s'est beaucoup ennuyé, qu'il n'a pas pu déployer ses "activités" habituelles (je pense notamment à ses activités corporelles, sportives, motrices). D'autre part, pour ce qui concerne l'opération de son frère, je note que, dans une première lecture, Jean ne fait aucun lien avec sa propre cryptorchidie mais que, par ailleurs, il peut formuler ses "craintes" pour son frère  : "Il pourrait mourir". Il est tentant de comprendre son discours par rapport à sa propre angoisse de castration et ses pulsions agressives.

Toujours est-il que la symptomatologie s'accentue et se diversifie peu de temps après ces deux événements. Nous assistons à une recrudescence de manifestations antérieures mises en veilleuse. Du côté "comportement" Jean devient à l'évidence plus nerveux, plus instable, plus difficile à vivre, son hyperactivité tourne à vide, le somnambulisme se réveille. Dans la lignée "mentalisée", nous constatons une recrudescence des difficultés d'endormissement et des rêves d'angoisse (sorcières, incendies), apparemment pas très élaborés. Jusque là, rien de particulièrement étonnant  : Jean utilise des "sentiers battus".

Mais parallèlement des nouvelles modalités d'expression se font jour : des "tics" impressionnants, variables mais quasi-permanents, des "obsessions" qui se déploient dans le registre des idées et des compulsions à agir, une chute du rendement scolaire. Je serai bref à propos de cet échec scolaire de Noël. Peut-être ne sera-t-il que passager. Ce qui est certain, c'est qu'au niveau manifeste, Jean souffre dans ses relations aux autres qui, dit-il, se moquent de lui et le traitent de "tiqueur". Mais sur un autre plan, ce serait son fonctionnement intellectuel et l'organisation de sa pensée qui devraient être suivis de près quand on connaît le rôle contaminant des idées obsédantes.

Envisageons donc d'abord les idées obsédantes et les compulsions à les agir qui en sont, en quelque sorte, les prolongements "obligés", pour reprendre les termes même de Jean.

Rien ne manque aux descriptions classiques, ainsi celle de Laplanche et Pontalis dans le "Vocabulaire" et celle de Green dans l'Encyclopédie médico-chirurgicale : idées obsédantes, compulsions à accomplir des actes jugés indésirables, témoignages de lutte contre ces pensées et tendances, rites conjuratoires, doutes, scrupules, inhibitions de la pensée, contaminations des actions, etc…

L'état obsessionnel devient une forme de vie de l'esprit au cours de laquelle le sujet, dont la volonté est subjuguée, voit sa conscience claire et sa raison intacte débordées, envahies par une idée ou un groupe d'idées, une représentation ou un groupe de représentations. Ces manifestations ont un caractère désagréable et sont ressenties dans un état de grande tension. Chez l'enfant, l'apparition des obsessions est classiquement décrite comme plus rare et plus tardive que les phobies, généralement dans la deuxième latence.

Dans le souci de comprendre au mieux les obsessions de Jean, j'ai estimé utile de retourner aux sources pour comprendre les racines de l'organisation obsessionnelle ; pour ce faire, j'ai relu trois textes princeps de Freud sur la névrose obsessionnelle  : "L'Homme aux rats" (2), "Prédisposition à la névrose obsessionnelle" (3) et "L'Homme aux loups" (4). Qu'est-ce que ces textes, anciens bien sûr, grands classiques de la psychanalyse peuvent nous apporter ?

a) L'histoire de "L'Homme aux rats" est bien connue ; je rappelle que l'obsession de ce patient consistait en la peur d'infliger à la femme qu'il aimait

et à son père décédé le supplice de leur introduire dans l'anus un bocal rempli de rats vivants. Remarquons d'abord que l'homme aux rats apporte très rapidement à Freud des souvenirs extrêmement anciens, ce qui n'est pas rare chez des patients obsessionnels. Les souvenirs qui remontaient à la période très précoce de sa vie (avant deux ans) concernaient des événements ayant une valeur sexuelle fortement pathogène. Je pense notamment aux rapports particuliers du patient avec deux de ses gouvernantes, à sa curiosité sexuelle intense à leur égard et à leur accord pour qu'il se mette sous leurs jupes et y observe leurs organes génitaux. Rappelons aussi qu'une de ces gouvernantes avait même pris l'habitude de se faire presser des furoncles sur la fesse par le petit garçon, que, par ailleurs, elle méprisait auprès des autres domestiques. A partir de là, pensa Freud, se constituèrent sans doute des possibilités de régresser à des niveaux de sexualité qui caractérisent l'organisation obsessionnelle et que fixent les obsédés sur la région anale.

Je rappelle aussi que le petit garçon, préoccupé de ces expériences sexuelles précoces, en parla à sa mère, en tout cas de ses rêveries masturbatoires. Il devint inquiet des rapports sexuels de ses parents et commença à vivre dans un état que Freud appela "état d'inquiétante étrangeté" qui définit dès lors sa pensée obsessionnelle. Freud insista beaucoup sur le doute, élément essentiel de cette pensée obsessionnelle : chez ce patient, les doutes se déployèrent de façon assez dramatique, dans la mesure où son obsession l'amena à constamment douter du fait que, bien que son père soit mort, il allait peut-être devoir lui faire subir le supplice des rats.

Ce travail me parait très intéressant dans la mesure où nous y voyons une remarquable analyse de la pensée obsessionnelle du patient.

b) Dans "Prédisposition à la névrose obsessionnelle", Freud pose la question du choix des symptômes névrotiques et des raisons pour lesquelles une névrose prend la figure d'obsessions plutôt qu'une autre.

Cet article, bref mais remarquable, nous confirme que, même si le sujet a atteint le niveau des conflits oedipiens, son organisation est dominée par de fortes fixations prégénitales, en particulier anales.

Par ailleurs, Freud nous montre que, chez ces patients atteints de névrose obsessionnelle, l'organisation du Moi n'est pas touchée alors même que l'organisation libidinale subit une régression en raison de ses fixations sadiques anales. Cette dissociation entre une évolution avancée et satisfaisante du Moi et une régression libidinale, surtout anale, lui parait spécifique du choix de la névrose obsessionnelle.

c) Avec "L'homme aux loups", c'est l'importance de l'érotisme anal qui va être mise en évidence par Freud. A partir du rêve fondamental de son patient, Freud va expliciter la théorie de l'Oedipe inversé  : le petit garçon n'a pas seulement le désir de sa mère, il a aussi le désir de s'identifier à elle et de recevoir un enfant du père pour échapper à la castration. Ce phénomène est fondamental dans l'organisation de la névrose obsessionnelle. La crainte de castration devient un désir de satisfaire son père, comme la mère le satisfait dans le coït ; l'enfant désire dès lors être pénétré par le père et avoir un enfant de lui. Et c'est bien l'érotisme anal qui entre en jeu, d'autant plus que des fixations pathogènes ont pu survenir dans son histoire. Je rappellerais seulement l'encoprésie provoquée par le fameux rêve, la constipation très opiniâtre du patient et le souvenir très ancien de l'épidémie de dysenterie qui avait décimé les troupeaux de moutons du père. Au cours de cet épisode, la mère du patient avait craint que son fils ne soit contaminé. Par ailleurs, ce dernier pressentait une maladie importante chez sa mère (le sang dans les selles – règles) et imaginait une dysenterie possible en rapport avec des règles considérées comme maladives, dont il entendait parler de façon mystérieuse. Ainsi s'est organisée historiquement la fixation anale qui fut une des bases de la névrose obsessionnelle ultérieure, des régressions essentiellement libidinales s'organisant à partir de la situation oedipienne.

Les régressions et les fixations sadico-anales donnent à voir des pulsions plus violentes, moins organisées qu'au niveau oedipien et les pulsions agressives prennent une importance beaucoup plus grande dans le fonctionnement du patient dans la mesure où elles sont plus désintriquées. Le maniement de ces pulsions agressives au niveau anal et l'érotisme anal constituent la conjonction des deux facteurs essentiels à la compréhension de l'organisation obsessionnelle.

Bien évidemment, ces pulsions sont contre-investies et le sujet peut organiser des formations réactionnelles, tantôt réussies, tantôt moins réussies sous forme d'isolations ; la conflictualisation autour des contre-investissements et des retours du refoulé sont à la base de sentiments d'inquiétude et de doute, si caractéristiques de la pensée obsessionnelle et de ses aspects combien douloureux.

Au travers de ce rappel des notions freudiennes sur l'organisation obsessionnelle, il me parait évident que le "choix" obsessionnel est sans doute le plus complexe et le plus problématique parmi les diverses modalités névrotiques mentalisées.

Et pourtant, une nouvelle fois, Jean n'est pas parvenu à s'en accommoder suffisamment, puisqu'il a intensifié d'anciens symptômes et développé d'autres manifestations  : les tics.

Comment comprendre ces tics ? Quel statut accorder à leur émergence et à leur déploiement contemporain à celui des obsessions ? Constituent-ils vraiment une troisième modalité ou participent-ils des deux autres ? Je suis actuellement incapable de répondre à ces questions. Peut-être doivent-ils se comprendre dans une dimension à valeur potentiellement symbolique du côté obsessionnel. A moins qu'ils ne constituent une entrave à la mentalisation, se justifiant, si j'ose dire, dans la persistance indispensable d'un versant comportemental, moteur et agi. J'espère que le déroulement de l'analyse pourra éclaircir ces zones d'ombre et proposer certaines réponses à mes interrogations.

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Je ne voudrais pas anticiper ici, car l'analyse de Jean ne s'est engagée que depuis quelques mois ; en effet, je me suis volontairement limité à travailler ici le contenu des premiers entretiens, individuels et familiaux et les premières séances de la psychanalyse de ce garçon. Que peuvent être mes conclusions actuelles, qui ne sont évidemment que provisoires ?

A travers cette vignette clinique, certes brève, mais suffisamment parlante par l'ampleur de la psychopathologie, j'espère avoir pu illustrer mes propos introductifs. L'accès à l'Oedipe, à la névrose infantile et au travail de latence qui en découle, est parfois parsemé d'embûches. Il est fondamental de les cerner au mieux et de leur trouver sens, économiquement parlant.

Tout au long de son développement psychique, Jean a été confronté à des difficultés d'organisation de son fonctionnement mental. Il a dû déployer sans cesse des dispositifs variables en fonction de son âge, bien évidemment, de ses ressources disponibles, mais aussi des troubles cumulatifs, "en cascade", engendrés par les ratés successifs de ses tentatives d'aménagement. Le polymorphisme de sa symptomatologie en témoigne.

Est-il possible de préciser à quel(s) niveau(x) se sont situés et se situent les "noeuds" pathologiques de ses dysfonctionnements ? Pour répondre à cette vaste question, je dispose de quasi-certitudes mais aussi d'inconnues :

a) Des quasi-certitudes  ; il me semble que se dégagent deux voies assez sûres du double point de vue symptomatique et fonctionnel. D'un côté, comme j'ai essayé de le dégager, Jean a régulièrement effectué diverses tentatives de "mentalisation" à travers des essais de lier son angoisse et des mouvements élaboratifs de fantasmes sous-jacents : ainsi, les cauchemars, les rêves d'angoisse, de vraisemblables modalités phobiques, la voie obsessionnelle. D'autre part, il n'a pas cessé d'exprimer des manifestations comportementales agies, motrices, elles aussi diurnes et nocturnes : nervosité, hyperactivité sportive et corporelle, difficultés comportementales, terreurs nocturnes et somnambulisme; ces deux dernières expressions ont une importance non négligeable par leurs fondements neuro-physiologiques.

b) Des inconnues  : je suis plus perplexe pour ce qui concerne le récent échec scolaire et surtout pour les tics. Du côté des inconnues, je me dois d'évoquer aussi la dimension familiale et en particulier les positions des parents par rapport à l'évolution difficile de Jean et à ses symptômes.

A partir de ces quasi-certitudes et de ces inconnues, comment comprendre, sous un angle économique, un tel fonctionnement qui se déploie à divers niveaux, essentiellement dans deux directions, peut-être trois, pour ne pas dire dans deux structures ? Certes, il n'est pas rare, chez l'enfant classiquement latentiel, de voir des conflits sous-jacents se traduire conjointement par des productions mentalisées et des externalisations qui, en quelque sorte les prolongent. Celles-ci, généralement plus fréquentes chez le garçon, sont habituellement accrochées au train des élaborations fantasmatiques et font partie intégrante du fonctionnement névrotique mentalisé. Rien n'est moins sûr chez Jean dont les manifestations comportementales évoquent beaucoup plus la "névrose de comportement" ou le "comportement vide", avec la grande faiblesse de la mentalisation qui en constitue la caractéristique principale. Mais, et c'est peut-être là la particularité la plus étonnante de Jean, il ne s'est jamais contenté, ni dans le passé, ni actuellement, de fonctionner globalement dans ce seul registre. En effet, il donne à penser que, parallèlement, il a toujours essayé de mettre en place des tentatives de névrotisation vers la mentalisation, avec, en point d'orgue, les récentes manifestations de la lignée obsessionnelle, qui sont parmi les plus complexes qui puissent advenir.

Mais, en devant déployer cette double modalité "comportementale" et "mentalisée", Jean ne nous démontre-t-il pas les échecs successifs et cumulatifs de ses tentatives pour s'aménager un fonctionnement mental stable et économiquement satisfaisant ? C'est sans doute l'histoire de la poule et l'oeuf !

Devant l'intensité des conflits et tensions auxquels il était confronté, a-t-il été contraint à diversifier ces tactiques ? A moins que, au contraire, cette diversité des modalités n'aie constitué une des causes premières de l'impossibilité à trouver un équilibre convenable ? Toujours est-il qu'à aucun moment il n'est parvenu à s'organiser vraiment sous le primat des modalités de fonctionnement de l'une ou de l'autre structuration, soit mentalisée, soit comportementale.

Grâce à l'objectivité des apports neurophysiologiques concernant l'organisation du sommeil, nous avons la certitude que les terreurs et le somnambulisme traduisent une défaillance de la fonction onirique. En effet, le somnambulisme n'est pas la conséquence d'une dynamique conflictuelle qui affecterait une phase particulière du sommeil ; c'est le sommeil tout entier qui est touché dans son fonctionnement. Nous pouvons dès lors considérer que les défaillances de la fonction onirique doivent correspondre à un dysfonctionnement global et atteindre l'économie mentale toute entière, plus particulièrement sans doute le fonctionnement du préconscient, dont A. Bauduin vient de faire récemment une étude très approfondie (1).

Jean ne serait-il pas de longue date aux prises avec des ratés d'organisation de son préconscient et de tout son travail de régulation économique ? J'émets donc l'hypothèse de "ratés" plutôt que de carences, dans la mesure où il ne semble pas certain du tout qu'il s'agisse de lacunes fondamentales, sinon Jean serait plus franchement psychotique. Ce seraient les qualités essentielles du préconscient qui seraient en cause  : son épaisseur, sa perméabilité et sa permanence ; l'épaisseur dont les stratifications contiennent à la fois les différents niveaux de représentation et la densité des affects ; la perméabilité qui permet la circulation entre les deux autres instances, l'inconscient et le conscient et qui assure, à l'intérieur du préconscient, la mobilité des formes de représentation entre ses différentes couches ; la permanence, c'est-à-dire la stabilité du fonctionnement psychique et de l'équilibre psychosomatique (L. Kreisler).

Des troubles qualitatifs pourraient sans doute être à l'origine de dysfonctionnements perturbant les dimensions élaboratives et intégratrices du préconscient. Ainsi, d'un côté, nous pourrions comprendre que certains secteurs de base de son préconscient organiseraient les tentatives de mentalisation alors que des lacunes relatives imposeraient, elles, la voie comportementale. Me vient l'image d'un préconscient-puzzle, où tous les éléments auraient été donnés à Jean, mais dans le désordre. Pour illustrer cette représentation, je prendrais l'exemple des tics et mes incertitudes les concernant. Manifestations "brutes" dans leurs expressions, motrices, agies, ne sont-elles pas aussi porteuses de toute une potentialité de symbolisation qui pourrait advenir au cours du travail analytique, par une meilleure organisation du préconscient, permettant alors de les réintégrer dans des voies mentales ?

Toutefois, des questions restent actuellement sans réponse satisfaisante en ce qui concerne les facteurs étiologiques d'une part, et, d'autre part, la compréhension de la persistance longitudinale dans l'histoire de Jean de cette double, sinon triple, modalité du fonctionnement. A moins qu'elle ne traduise justement des mécanismes pathologiques complexes dans les voies de passage, d'articulation et d'influence réciproque entre ces différentes modalités, ce que nous rencontrons parfois aussi dans d'autres cas de figure, par exemple allergo-hystériques. Le préconscient garde certains de ses mystères !

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