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“Et les ombres chères surgissent…”

01.04.1996

1. INTRODUCTION :

La notion de “névrose infantile” occupe une place dans l’arsenal conceptuel analytique qu’il n’est pas aisé de situer avec précision. J’y vois pour ma part deux ordres de raisons.

La première tient à ce que le concept de névrose infantile est une notion polysémique qui, pour reprendre l’heureuse expression de D. HOUZEL “n’est pas sans créer une certaine confusion sémantique, voire conceptuelle”.

En effet, si tous les psychanalystes s’accordent pour donner à cette notion une place centrale affirmée à maintes reprises par FREUD lui-même ; il n’est pas certain que l’on trouve le même consensus dès lors qu’il s’agirait d’en soutenir une définition univoque. Cette ambiguïté se trouve même dans les travaux de FREUD. Le concept inauguré par FREUD en 1904 a subi dans sa pensée de multiples développements qui prennent naissance dans les années 1900 pour se déployer jusque dans l’Abrégé de Psychanalyse en 1938.

Notons, pour mémoire, que ce concept ne figure pas dans l’inventaire du Vocabulaire de la Psychanalyse de LAPLANCHE et PONTALIS. Je pense que cela tient à ce que la notion de névrose infantile est moins un concept qu’un paradigme, un terme générique censé représenter et condenser en un ensemble la totalité et les phases du développement normal ou pathologique de la psyché.

D. HOUZEL, dans le Journal de la Psychanalyse de l’Enfant, propose de façon synthétique deux acceptions de la notion de névrose infantile :

1°- d’une part un courant de pensée dans lequel la névrose infantile est envisagée comme le moment organisateur par excellence du fonctionnement psychique à partir duquel s’articule la personnalité aussi bien “normale” que “pathologique”. On pourrait dire en ce cas que la névrose infantile y est envisagée comme un modèle structurel.

2°- d’autre part, ceux pour qui elle est déjà un système défensif hautement élaboré qui vient protéger le Moi contre les angoisses les plus archaïques ainsi que prévenir les mouvements de désorganisations qui menacent le Moi au tout début de l’existence ou lors de la rencontre d’une situation traumatique sévère. Je pense qu’on pourrait alors parler d’un modèle fonctionnel.

Il n’est pas impossible, comme le souligne malicieusement C. DEJOURS, que ces deux conceptions apparemment antinomiques découlent, pour partie au moins, des référents cliniques à partir desquelles elles ont été élaborées.

La première orientation s’articule au premier champ d’application clinique de FREUD et des premiers psychanalystes : la névrose et les états névrotiques. Elle s’étaie principalement autour des grands cas cliniques publiés par FREUD et recencés dans les Cinq psychanalyses mais aussi au travers des grands textes fondateurs de l’édifice théorique freudien : L’Interprétation des Rêves, Les trois essais sur la théorie de la sexualité…

La seconde orientation trouve ses racines dans l’essor pris par le traitement psychanalytique des jeunes enfants qui permit ensuite l’abord des pathologies plus psychotiques. Ces théoriciens – au premier rang desquels il faut citer Mélanie KLEIN – tentèrent de cerner l’organisation psychique des tous premiers temps de la vie et amenèrent certaines révisions du concept de névrose infantile.

Un des axes de mon travail sera donc de cerner cette notion dans le cadre de la théorisation freudienne.

La deuxième raison de cette difficulté tient à la genèse de ce concept.

En effet, la genèse du concept de névrose infantile trouve ses premières racines dans l’histoire personnelle de FREUD telle qu’il la révélé dans les tourments de son auto-analyse au fil de sa correspondance avec FLIESS. En ce sens, le concept de névrose infantile occupe une place analogue au modèle du rêve qui naît et trouve son développement à partir du travail intérieur de FREUD sur ses propres rêves. Ces deux modèles – rêve et névrose infantile, sont alors étroitement liés.

Nous nous trouvons là en présence d’un problème spécifique du mode de théorisation dans le registre psychanalytique. C’est-à-dire que la compréhension d’une pensée, de son évolution voire de ses points aveugles ou de ses contradictions ne peut se faire en dehors d’un essai de compréhension de son concepteur. Il ne s’agit pas de faire la psychanalyse de FREUD mais il convient de suivre le modèle qu’il nous a enseigné et tenter d’interroger au delà du discours manifeste et aseptisé que peut être le discours théorique le parcours latent des enjeux sous-jacents qui transparaît immanquablement dans l’écriture.

Le concept de névrose infantile se trouve en effet au plus près de l’histoire personnelle de FREUD et toute sa production théorique, jusqu’aux années 1910, y est plus ou moins directement reliée.

Ma thèse serait alors de considérer le concept de névrose infantile comme une fiction de l’histoire personnelle de FREUD – je serais tenté de parler de reconstruction, de métaphore – et le flou qui entoure ce concept serait alors à envisager comme résultant des difficultés de FREUD à pouvoir élaborer tout ou partie de sa propre histoire infantile. En ce sens, le concept de névrose & infantile viendrait jouer comme système défensif, barrière ou rempart focalisant sur le génital oedipien – donc de la sexualité et de l’agressivité – l’ensemble de la réflexion et du modèle au détriment du prégénital, de l’archaïque et de la violence. Ce sera l’objet de ma seconde partie.

La conjonction de ces deux raisons permettrait peut-être d’éclairer et de relativiser les conflits théoriques qui secouent à grand bruit de scissions le mouvement psychanalytique.

Force est de constater qu’à partir du fondement théorique initial se sont constitués des prolongements souvent importants et originaux qui aboutissent à des orientations spécifiques voire divergentes. Quelques fois aussi à des scissions souvent violentes, parfois douloureuses. Mais toujours à des manifestations hautement narcissiques soucieuses de l’originalité du territoire constitué.

Le kleinisme dans le courant anglophone, le lacanisme dans le courant francophone, le “ferencsisme” dans le courant germanophone sont peut être des résurgences analogues à cette confusion sémantique repérée à propos de la notion de névrose infantile comme si chacun de ces courants tentaient à leur manière de restaurer une partie du domaine enfoui, abandonné ou dénié dans la démarche freudienne ainsi que l’exemplifie J. BERGERET à propos de sa relecture du Petit Hans.

On retrouverait alors à un niveau plus général le schéma explicatif proposé par P. BERCHERIE dans sa “Géographie du champ psychanalytique” où chacun des courants antagonistes se référant à la théorisation freudienne renverraient à des paliers de la construction de ce modèle que les continuateurs auraient développé en les autonomisant réduisant ainsi les mouvements tensionnels propres et nécessaires à la conceptualisation freudienne.

Cela permettrait aussi de saisir avec plus d’empathie que les conflits théoriques ne sont pas seulement “que” des conflits théoriques mais qu’ils recouvrent des enjeux liés à l’histoire personnelle, aux désirs et aux conflits dont la théorisation ne serait que le modèle fictif.

C’est la raison pour laquelle je m’attacherais dans un troisième temps à cerner les différences d’acception du concept de névrose infantile dans la conception kleinienne pour les mettre en rapport avec la position freudienne.

Mon fil directeur tout au long de ce travail sera le Petit Hans que j’ai choisi par préférence à l’Homme au Loups plus classiquement cité lorsque l’on évoque la question de la névrose infantile.

2.- LA NEVROSE INFANTILE DANS LA CONCEPTION FREUDIENNE :

“L’analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans” publiée en 1909 par FREUD et plus classiquement appelée “le Petit Hans” décrit les troubles d’un enfant qui souffrit à 5 ans d’une phobie authentique et assez complexe.

En effet, le texte comporte trois temps clairement distincts dans la rédaction du cas. Ils sont importants pour comprendre les difficultés à cerner avec précision la notion de névrose infantile et les confusions sémantiques que suggérait D. HOUZEL à propos de ce concept dont il se pourrait alors que nous précisions la genèse et les ambiguïtés.

En premier lieu, l’histoire de Hans commence par un compte rendu d’observation constituant l’introduction du cas qui doit retenir notre attention.

Freud, en effet, y explique l’ambiguïté de son propos.

Il s’agit en effet de confronter les données découvertes par le traitement des névrosés adultes concernant “certaines hypothèses sur la sexualité infantile dans les composantes de laquelle le psychanalyste croit avoir trouvé les pulsions dynamiques de tous les symptômes névrotiques de la vie ultérieure” avec l’observation directe sur l’enfant de ces mêmes impulsions sexuelles.

Dans son projet, FREUD – à l’instar de ce qu’il avait tenté dans son travail sur DORA intitulé initialement “Rêve et Hystérie” – souhaite vérifier ses hypothèses de 1906 contenues dans les “Trois essais sur la théorie de la sexualité”. Il argumente sa position en précisant qu’il sera peut-être plus facile d’observer “dans toute leur fraîcheur vivante ces impulsions sexuelles” plutôt que de se livrer au lent et difficile travail de défouissement chez l’adulte qui se fait toujours avec beaucoup de peine.

Notons au passage, que FREUD dans une généralisation saisissante au tout début de son exposé pense de ses hypothèses : “qu’elles sont le patrimoine commun de tous les hommes et ne se manifestent, chez les névropathes, que renforcées ou défigurées” comme s’il induisait d’emblée un mouvement du particulier au général qui sert selon moi de fondement à la confusion sémantique que pointait D. HOUZEL à propos de la notion de névrose infantile.

De fait, FREUD invite ses élèves et amis à recueillir pour lui des observations sur la vie sexuelle des enfants.

Le matériel reçu à intervalles réguliers des parents de Hans acquit bientôt une place prépondérante.

Comme le précise FREUD, les parents de Hans “comptaient tous deux parmi mes plus proches adhérents”. Précisons donc que le père de Hans s’appelait Max GRAF était critique littéraire et appartenait depuis sa création à la Société Psychanalytique de Vienne. Il entretenait FREUD du cas de son fils Herbert, devenu Hans, depuis la naissance de celui-ci en 1903 et ce “cas” fit l’objet de discussions serrées au cours des réunions du mercredi. La mère de Hans avait été elle-même une patiente de FREUD : c’est du moins ce qu’il révèle à la fin de la rédaction du cas.

“Les premières communications relatives à Hans datent du temps où il n’avait pas encore tout à fait 3 ans” précise FREUD.

Et, dans cette première partie du texte, FREUD, à partir des éléments d’observations que lui livre le père fait en quelque sorte une démonstration de l’évolution de la sexualité infantile.

Mais dans cette partie, c’est surtout sur le stade génital que FREUD concentre ses explications à partir de l’intérêt de Hans pour le pénis que dans son langage enfantin il appelle le “fait-pipi”. Hans est intéressé par son “fait-pipi” de la même manière qu’il s’inquiète de savoir si tous les gens qui vivent autour de lui ont aussi un “fait-pipi”. On voit alors se déployer toutes les tendances exhibitionnistes et voyeuristes de l’enfant qui se polarisent, bien évidemment, sur lui même et sur ses parents mais aussi sur les animaux qui vont ainsi servir de modèles symboliques pour aborder les questions qui le tenaillent.

Mais l’intérêt de Hans pour son “fait-pipi” n’est pas “que” théorique et le pousse à une exploration corporelle liée très fortement à l’auto-érotisme dont FREUD montre qu‘il est le médium à partir duquel le plaisir est appréhendé. Il est découvert par sa mère à pratiquer des attouchements sur son membre ce qui fait proférer à celle-ci une menace de castration qui aura beaucoup d’importance dans la suite de l’évolution du cas. A propos de la castration, FREUD rajoute une note en 1923 où il limite la doctrine de ce complexe “aux excitations et effets en relation avec la perte du pénis”. FREUD luttait alors contre l’extension de ce complexe à d’autres stades du développement qui tentaient de faire non plus de la perte du pénis mais de celle des fèces puis de la séparation d’avec la mère le prototype de toute castration.

FREUD montre alors que le “fait-pipi” devient pour Hans “le critère indispensable du vivant” à partir duquel un certain nombre de questions vont s’organiser : autour de la différence des sexes – par rapport à sa mère et sa petite soeur Anna née alors qu’il avait 3 ans 1/2 – mais aussi pour différencier celle des vivants qui ont un “fait-pipi” par rapport aux objets inanimés qui n’en ont pas. Des questions relatives aux grands “fait-pipi” des animaux apparaissent également qui servent de toile de fond aux angoisses corporelles ainsi qu’aux premiers signes de la rivalité avec le père.

La naissance de cette petite soeur dans la famille de Hans précipitera alors tout un registre d’autres questions s’articulant autour de la conception des enfants – le rôle de la cigogne -, des théories sexuelles – le sang qui sort du “fait-pipi” – en même temps que naîtront les premiers affects de jalousie puisque Hans déclare dans un accès de fièvre – il était tombé malade tout de suite après la naissance d’Anna – “ Mais je ne veux pas avoir de petite soeur”.

Parallèlement, Hans commence de manifester un comportement ouvertement séducteur à l’égard des enfants de son âge et principalement des petites filles- hétérosexualité -mais aussi à l’égard de petits camarades – homosexualité – ; renforçant alors l’idée de la constitution de la bisexualité. Ce qui fait dire à FREUD sous forme de boutade : “ Notre petit Hans semble être vraiment un modèle de toute les perversités “ boutade dans laquelle nous retrouvons bien tout l’argumentaire des "Trois Essais sur la Théorie de la Sexualité” que l’observation directe vient en quelque sorte appuyer et confirmer.

L’introduction de l’intérêt pour les enfants de son âge avec le cortège des émois qu’ils suscitent semble indiquer le passage délicat de l’auto-sensualité à l’hétéro-sexualité et indique que, comme l’adulte, Hans fait des “choix d’objet” vis-à-vis desquels il a un comportement ouvertement séducteur.

Mais Hans s’intéresse aussi à Mariedl, âgée de 14 ans, avec laquelle il veut coucher ; idée à laquelle les parents opposent un refus ferme. Le sens de ce désir est en rapport avec une projection du couple parental qui, “bien que fort peu, prenait l’enfant dans son lit”. Les excitations qu’il y vivait avaient donc bien pour lui une résonance érotique comme si Hans se donnait une sorte de pré-représentation des rapports sexuels des parents sans que cela soit formulé comme tel. On peut bien évidemment y voir une sorte de pré-science de la scène primitive. Le faire pipi avec son “fait-pipi” devient alors une théorie sexuelle enfantine liée au plaisir en même temps que se profilent les premiers effets du refoulement sous la forme de la pudeur qui fait que Hans refoule ses pulsions exhibitionnistes et ne veut plus être vu faisant pipi.

Cette première partie de l’observation de Hans se termine par l’esquisse de l’acceptation de la différence des sexes où le petit garçon admet par une négation humoristique la différence entre l’organe génital masculin – le sien- et celui de sa petite soeur Anna – ”je ris du fait-pipi d’Anna”-

Cette observation fine et détaillée rapportée par FREUD décrit le développement psycho-sexuel et montre les répercussions psychiques de l’investigation corporelle et extra-corporelle. Mais FREUD fait ici du développement psycho-sexuel une ligne générale que serait censée traverser tout développement enfantin sans qu’à aucun moment on ne puisse parler de pathologie, de souffrance mais simplement de phases de développement – l’hystérie infantile – censées définir les paliers qui aboutissent à la construction de l’identité sexuelle du sujet avant l’entrée dans la phase de latence. Comme le souligne LEBOVICI “la névrose infantile métaphorise le complexe d’oedipe”

Personnellement, je serais tenté d’y voir la première esquisse de la névrose infantile même si le terme de névrose peut prêter à confusion par l’incidence pathologique qu’il souligne. Il s’agirait donc d’une névrose infantile “normale”. En cas de difficultés ; ce serait sur ce terrain que naîtront les incidences pathologiques.

Tout autre est la démarche de FREUD dans la deuxième partie de cette observation où, s’appuyant toujours sur les rapports fournis par le père, il va essayer de reconstruire les aléas qui ont aboutit à l’éclosion de la phobie chez Hans.

Précisons cependant que FREUD au cours de cette épisode de souffrance du petit Hans le rencontrera une fois. L’enfant savait d’ailleurs que son père rencontrait le Professeur pour discuter de lui et quelques fois l’enfant en parle et l’évoque directement.

On peut bien sûr s'interroger sur les raisons de l’éclosion de cette phobie. FREUD va, bien évidemment, nous en proposer une version. Mais les explications répétées du père, les questions dont il assaille l’enfant ne sont pas de nature à produire un surcroît d’excitation ingérable pour l’enfant au stade de développement et de maturation qui est le sien. N’est-on pas alors proche de la confusion des langues dont parle FRENCZI ? C’est du moins un point important et difficile à apprécier tant les échanges entre le père et le fils tendent à prendre le tour presque exclusif de l’interprétation. On ressent presque un malaise devant le “bombardement” interprétatif dont est l’objet l’enfant dont le rythme et la temporalité d’intégration sont mis à rude épreuve. Serge LEBOVICI remarque à ce propos le tour particulier que prennent les cures d’enfants de psychanalystes en raison précisément de l’introduction de l’interprétation dans le jeu des relations intra-familiales.

FREUD va en effet patiemment décrire la maladie.

Hans présente deux symptômes : il a peur d’être mordu par un cheval et présente le soir un état de dépression. Il fait un rêve d’angoisse : “il n’avait plus de maman pour faire calin avec lui” dans lequel FREUD voit le stade initial de la maladie. Notons d’emblée que si FREUD va, à la suite du père, beaucoup travailler sur la question du symbolisme du cheval ; il laisse de côté la question de la dépression qui ne sera pas vraiment reprise et étudiée. J’y reviendrais ultérieurement.

L’augmentation de la libido tendre envers la mère suscite une angoisse qui ne peut être plus être calmée par les retrouvailles avec l’objet-mère. L’angoisse alors crée se déplace sur le cheval. Hans a toujours montré un intérêt certain pour le grand “fait-pipi” des chevaux. En fait, une partie de la libido de l’enfant est restée accrochée au désir voyeuriste de connaître le sexe de sa mère. Ce à quoi FREUD propose au père de Hans d’informer l’enfant de la différence anatomique des sexes.

Mais l’explication proposée suscite chez Hans un réveil de l’angoisse de castration proférée à propos de l’autoérotisme de l’enfant par la mère dans la première partie de l’observation. FREUD dégage alors la notion d’après coup et constate que les éclaircissements fournis à Hans ont ébranlé sa confiance en soi et réveillé le complexe de castration.

Le travail psychique de l’enfant est intense et aboutit à un rêve angoissant : “Il y avait dans la chambre une grande girafe et une girafe chiffonnée, et la grande a crié que je lui avais enlevé la chiffonnée. Alors elle a cessé de crier, et alors je me suis assis sur la girafe chiffonnée.” dans lequel FREUD constate que l’enfant se heurte à l’interdit de l’inceste – il n’est pas possible de prendre à la grande girafe-papa la girafe chiffonnée-maman – en même temps que se déploie une conception imaginaire violente du coït – la grande girafe-papa s’assoit violemment sur la girafe-maman qui est toute chiffonnée-.

C’est là que se situe la consultation avec FREUD où ce dernier interprète la disposition hostile à l’égard du père. A cette occasion, on voit se déployer le transfert de l’enfant sur le Professeur car Hans,vraisemblablement stupéfait des remarques de FREUD, se retourne vers son père et dit “ Le Professeur parle-t-il avec le bon Dieu pour qu’il puisse savoir tout çà d’avance?” Il y a finalement des pères bien encombrants puisque l’on ne peut que très difficilement rivaliser avec eux ! Le transfert est à la fois positif par l’idéalisation et négatif par l’ironie qu’il sous-tend. Il est donc fondamentalement ambivalent ainsi que la suite de l’observation le montrera amplement dans le déploiement des projections sur les imagos parentales. Mais ce transfert n’est pas l’effet de la rencontre, il ne fait que reprendre et amplifier les affects à l’égard de ces mêmes imagos parentales présents dès le début du premier temps de l’observation. En ce sens, le transfert et la névrose de transfert permettent de reconstituer la névrose infantile.

Le conflit d’ambivalence de Hans face aux objets d’amour : aimer Papa en même temps que Maman semble un problème bien ardu à résoudre pour l’enfant. Aimer papa en même temps que le haïr n’est pas plus simple pour l’enfant.

Ensuite, le cours du travail va basculer et la direction régressive va pleinement se manifester. En effet, pour l’instant, nous étions restés dans une conception très nettement génitalisée mais progressivement Hans va convoquer toute la dimension anale pour pouvoir exprimer toutes les pulsions sexuelles refoulées et toutes les questions qu’il se posent à propos de la conception des enfants.

Le “loumf” mot particulier à Hans pour désigner les fèces va devenir le médiateur de toutes ses interrogations à partir duquel il devient possible de suivre le chemin de ses interrogations.

Les “loumf” deviennent des enfants et les caisses des voitures de chevaux des ventres lourdement chargés ; ce qui culmine dans un rêve : “Je suis dans la baignoire, alors le plombier arrive et la dévisse. Il prend alors un grand percoir et me l’enfonce dans le ventre” qui laisse augurer de la dimension sadique qui va se déployer progressivement contre le père et contre la mère mais aussi contre la petite soeur qui pourrait se noyer. La représentation violente du coït se laisse aisément deviner. A quoi le père croit bon d’objecter : “ Et un bon petit garçon ne doit pas souhaiter ça” ; ce qui fait dire à Hans dans une remarque touchante d’intuition : “Mais il peut le penser”……”S’il le pense, c’est bien tout de même, pour qu’on puisse l’écrire au Professeur” montrant alors que la dimension transférentielle n’est pas seulement concentrée sur le père mais inclût FREUD expressément de manière latérale.

Hans va alors pouvoir élaborer les questions qu’il se pose principalement sur la scène primitive et dire qu’il veut être papa à la place du papa pour avoir, comme lui, un grand “fait pipi” permettant de faire des enfants avec maman.

Même si comme le souligne FREUD “le cours d’une analyse ne peut jamais suivre le cours du développement d’une névrose.” ; l’observation du petit Hans nous permet de suivre pas à pas le développement des troubles névrotiques de l’enfant. Il s’agit ici à proprement parler d’une névrose de l’enfant en référence à la psychopathologie de l’enfance dont les manifestations sont à mettre directement en rapport avec les questions de l’enfant dans le premier temps de l’observation.

Le troisième temps du cas du petit Hans consiste en un commentaire de FREUD sur les deux premières parties et constitue une remise en forme de tous les observables.

FREUD s’y félicite d’abord de la justesse de ses vues à propos de la sexualité infantile ainsi que sur la “Sciences des Rêves”. FREUD écrit “Il est vraiment un petit Oedipe, qui voudrait “mettre de côté” son père, s’en débarrasser, afin d’être seul avec sa jolie maman, afin de coucher avec elle”. Et l’on pourrait rajouter avec un peu de malice que l’on comprend assez bien l’enthousiasme de FREUD qui ne tarit pas d’éloges pour Hans devant ce petit patient si proche de ses vues.

Puis, FREUD reprend les différents temps de la constitution des difficultés de Hans :

– privation et séparation de la mère qui laisse entrevoir l’attachement à celle-çi.

– intensification des besoins érotiques médiatisés par l’auto-érotisme.

–   questions sur la procréation qui ouvre à la question du père.

Mais ces différents temps ne peuvent être directement compris précise FREUD. “Ceci est le fait, précise-t-il d’un travail synthétique auquel il faut ensuite se livrer”. mais rajoute-t-il “la compréhension de ces manifestations phobiques ne peut se faire que si nous prenons pour point de départ la description de la constitution de Hans, de ses désirs sexuels prédominants et “ – ce qui me semble primordial ([1]) – “des événements ayant précédé la naissance de sa petite soeur, toutes choses ayant déjà été rapportées dans les pages précédentes de ce travail”.

FREUD définit ici le lent travail de reconstruction fait après coup à partir du matériel en permettant, selon moi, de mettre en perspective les données de l’observation première – ce que j’ai appelé la névrose infantile proprement dite – avec le développement des inférences pathologiques phobiques qui ressortent du domaine de la névrose de l’enfant. Le transfert développé par Hans sur le père et de façon beaucoup plus directe qu’il n’y parait sur FREUD lui-même est un peu particulier du fait des circonstances spéciales de ce travail avec l’enfant. Il ne laisse pas à proprement parler éclater une névrose de transfert mais il prend bien ses racines dans les premières questions adressées par l’enfant à son père et à sa mère concernant leur “fait-pipi” : les parents sont au courant de secrets que lui Hans ignore tout comme il pense que FREUD en détient de Dieu.

Notons pour mémoire que FREUD revient sur la question de la réalité des scènes traumatiques lorsqu’il se dit insatisfait de ses conclusions concernant le “charivari fait avec les jambes”. L’enfant n’aurait-il pas observé des rapports sexuels de ses parents? On constate alors que l’on est au plus près des questions qui reviendront quelques 9 années plus tard dans “L’Homme aux loups”.

Que se serait-il passé si Hans n’avait pas été le fils de Max GRAF sensibilisé aux idées alors naissantes de la psychanalyse? FREUD, dans l’épilogue au cas, dit avoir revu 13 ans après le petit Hans devenu “un beau jeune homme” à qui toute cette histoire de la maladie “lui sembla quelque chose d’étranger”? Herbert-Hans GRAF devint un critique musical et un metteur en scène lyrique fort prisé qui dirigea le Metropolitan Opéra de New-York. Nous ne le saurons probablement jamais ; ce qui n’est pas pour aider notre compréhension du concept de névrose infantile.

Comme le rappelle Jean GUILLAUMIN dans le 39ème congrès de Psychanalystes de langue française : “La notion de névrose infantile ne se laisse ranger dans aucune des catégories de la dynamique, de l’économique et de la topique. Et , en ce sens, on songerait plutôt à la rapprocher de ces concepts de travail techniques que FREUD a développés parallèlement à sa métapsychologie et sans guère élaborer de liens avec elle : le transfert, le contre-transfert, la névrose de transfert.” Jean GUILLAUMIN poursuit en proposant de considérer la notion de névrose infantile comme une notion immédiatement “pré-métapsychologique” où il est possible de retrouver les catégories du dynamique, du topique et de l’économique. Il s’agit alors d’un modèle qui tiendrait un rôle médiateur et réorganisateur.

FREUD écrit en 1926 dans “Inhibition, symptôme, angoisse” : “Les névroses infantiles sont, en général – cela tout au moins dans les limites de notre expérience, qui porte sur des enfants des villes, de race blanche et soumis à des exigences culturelles d’un niveau élevé – des épisodes réguliers du développement”. Il précisera dans l’Abrégé en 1938 que souvent, elle passe inaperçue. On pourrait peut être dire que le concept de névrose infantile à défaut d’être métapsychologique s’inspire du projet anthropologique de FREUD.

Précisons toutefois à la suite de J. GAMMIL et R. HAYWARD dans ce même congrès les 4 conditions préalables au développement de la névrose infantile :

1° La constitution d’un monde intérieur ayant un certain degré de stabilité et de cohérence.

2° La présence en scène d’au moins trois personnages ayant dans une large mesure leur identité propre.

3° La constitution de l’identité sexuelle de chacun des deux parents.

4° La capacité d’établir en tant que mécanismes de défense normaux : le déplacement, la symbolisation et le refoulement secondaire.

Ces remarques, qu’il n’est pas possible de développer dans le cadre de ce travail, pose à la suite d’auteurs comme J. Mac DOUGALL le problème des patients qui n’ont pu développer de névrose infantile par suite d’expériences qui ont débordé les capacités psychiques qu’ils avaient de les maîtriser. Le travail thérapeutique consisterait alors moins à interpréter les contenus de leurs fantasmes que de patiemment et avec d’infinies précautions mettre en forme et élaborer une histoire dont on puisse espérer qu’elle permette, via le transfert, le redéploiement d’une névrose infantile qu’il sera alors possible de décoder prudemment. Je renvoie ici au travail de N. MINAZIO sur les entraves traumatiques au travail de deuil. En ce sens, on pourrait aussi voir la notion de névrose infantile comme un organisateur psychique proche de ceux décrits par R. SPITZ permettant la constitution d’un espace psychique – contenant- dans lequel vont pouvoir se dérouler des processus psychiques multiples et complexes – contenus.

3. – FREUD ET SA NEVROSE INFANTILE :

Le 26 octobre 1896 – il y a tout juste 100 ans – FREUD annonce à FLIESS la mort de son père. Le ton de ses lettres change radicalement. “Je suis souvent à bout…” “La mort de mon vieux père m’a profondément affecté”…….et “ Du fait de sa mort, tout un passé resurgit”.

Et dans la lettre suivante, FREUD rapporte un rêve à FLIESS : “ On est prié de fermer les yeux”. Même si FREUD s’empresse de le mettre au compte “d’une tendance au sentiment de culpabilité ; tendance très générale chez les survivants” ; on est en droit de se demander sur quoi FREUD avait ainsi le désir de fermer les yeux. J’ai noté précédemment dans l’étude du cas de Hans que FREUD fait l’impasse explicative sur les affects dépressifs de l’enfant dont il suit l’évolution tout comme peut-être fait il l’impasse sur sa propre dépression au profit du choix de la névrose.

FREUD est visiblement déprimé : “Je suis maintenant en proie à une crise de morosité”. FREUD abandonne quelques mois après en Septembre 1897 sa “neurotica” et semble envahi par le plus profond désarroi : “Maintenant, je ne sais plus où j’en suis” confie-t-il à FLIESS dans la même lettre.

En Octobre 1897, FREUD parle de son auto-analyse et commence d’avancer un certain nombre d’hypothèses sur sa propre histoire : son père n’a joué aucun rôle actif dans la génèse de sa névrose, par contre une femme âgée y a tenu un grand rôle et enfin il découvre que sa libido s’était tournée vers “matrem” qu’il avait vu nue dans sa chambre au cours d’un voyage à Leipzig. En même temps que lui reviennent des affects de jalousie à l’égard d’un jeune frère cadet d’une année. Il associe ces commentaires à FLIESS d’un post-scriptum dans lequel il rapporte un rêve : celui du professeur de sexualité qui montre bien la force de la dimension régressive engagée.

Puis FREUD dans la lettre suivante rapporte un souvenir qui “depuis 29 ans, surgissait quelques fois dans mon souvenir, sans que j’ai pu le comprendre. La voici : je hurle comme un désespéré parce que je n’arrive pas à trouver ma mère. Mon frère Philippe (de 20 ans plus âgé que moi) ouvre un coffre et moi ; voyant que ma mère ne s’y trouve pas non plus, je crie davantage encore jusqu’au moment où, svelte et jolie, elle apparaît dans l’embrasure de la porte.” FREUD en fait rapporte une angoisse indicible vécue alors qu’il croyait que sa mère avait été coffrée – c’est-à-dire emprisonnée – comme l’avait été la vieille bonne en raison des vols qu’elle commettait au préjudice de ses employeurs. Il s’agit alors d’une angoisse de séparation, de perte et d’abandon dont le caractère primitif est patent même s’il se réactualise d’une manière très secondarisée alors que les affects qu’il rapporte à propos de cet incident sont d’une extrême violence pour l’enfant qu’il était. On notera, là aussi, les concordances frappantes avec l’histoire de Hans.

Et, dans la même lettre, FREUD parle d’Oedipe : “le point d’arrêt véritable” confie-t-il à FLIESS. Il associe alors la légende de l’Oedipe-Roi avec le matériel qu’il a trouvé dans son auto analyse. “Mais la légende grecque a saisi une compulsion que tous reconnaissent parce que tous l’ont ressentie. Chaque auditeur fut un jour en germe, en imagination, un Oedipe et s’épouvante devant la réalisation de son rêve transposé dans la réalité, il frémit suivant toute la mesure du refoulement qui sépare son état infantile de son état actuel".

Ce qui lui fait écrire à FLIESS 12 jours plus tard : “C’est pourquoi je ne vis que de travail “intérieur”. Celui-ci me tient et me harcèle, me faisant par une rapide association d’idées, parcourir le passé ; mon humeur change comme le paysage vu par le voyageur assis dans son compartiment. Avec le grand poète – il s’agit de GOETHE dans le Faust – qui use de son privilège d’anoblir toute chose (sublimation), je m’écrie :

“Et les ombres chères surgissent et, avec elles, comme une vieille légende oubliée, le premier amour, la première amitié”.

FREUD commence alors de percevoir la généralité de son propos qu’il recoupe avec ceux de ses patients : “Je commence à pressentir l’existence de facteurs généraux, de facteurs cadres ( c’est le nom que j’aimerais leur donner), qui déterminent le développement et d’autres encore, secondaires, qui complètent le tableaux et varient suivant les incidents vécus par le sujet”. Il parle alors d’une “psycho-mythologie”.

Mais FREUD est visiblement déçu de ce que FLIESS ne réagit pas à ses découvertes et ne partage pas son enthousiasme. FLIESS n’a pas la même écoute compréhensive que Max GRAF ! Et cette non écoute n’est peut-être pas sans conséquence pour FREUD car au lieu de l’encourager à poursuivre sa démarche régressive ; on peut penser qu’elle l’entrave en faisant le jeu de résistances bien compréhensibles que FREUD lui-même pressent et reprend à son compte.

De fait, tout de suite après ces confessions intimes, l’intérêt de FREUD va se recentrer sur des thèmes intellectuels et de recherche comme si son insatiable besoin théorique allait lui permettre de combattre le processus régressif engagé évitant ainsi une reconfrontation avec des émotions, des souvenirs et des affects pénibles. C’est du moins, pour moi, la manière dont je m’explique la formidable créativité de FREUD. Son parcours intellectuel l’a amené sans cesse à remettre en cause les parties de l’édifice qu’il avait patiemment construites comme s’il fallait de toute évidence se prémunir d’un retour vers ces “ombres chères” c’est-à-dire vers le “premier amour, la première amitié” dans lequel se profilent condensées les imagos parentales – mais surtout maternelle – envisagées cette fois non plus simplement dans l’axe oedipien mais dans les aspects plus “premiers”, plus archaïques sur lesquels FREUD a toujours eu quelques difficultés à se pencher.

Ceci nous permet aussi de regarder avec plus d’humilité le débat théorique. Celui-ci n’est il pas toujours quelque part une fiction de l’histoire et des conflits infantiles montrant à la fois ce qu’il métaphorise de l’histoire personnelle de son concepteur en même temps qu’il recouvre par la fixité de ses positions les points aveugles de cette même problématique? On pourrait de ce fait peut-être mieux comprendre la “belle indifférence” de FREUD à l’égard de Mélanie KLEIN qui développait des points impensés et peut-être impensables de l’histoire de FREUD alors qu’Anna FREUD, son Antigone, se devait de jouer les cerbères du sérail conceptuel pour éviter des retours du refoulé indésirable.

Mais il appartient à la magie de l’écriture – fût-elle théorique – de réintroduire par l’entre-deux des mots ce qui est exclu par l’ordonnancement parfait d’un modèle à toute épreuve et que l’on voudrait inattaquable.

Jean GUILLAUMIN a raison de souligner “le contraste frappant qu’il y a entre les préoccupations constantes de FREUD pour l’enfance, d’une part (des années 1890 environ à 1900), et, d’autre part, son éloignement de toute pratique psychothérapeutique directe appliquée aux enfants”.

C’est précisément cet aspect que nous retrouvons très vivement dans la rédaction du petit Hans. Bien sûr, les raisons scientifiques viennent consciemment étayer les motivations qui ont présidé à cette analyse particulière mais il est fondé de se demander à la suite du travail de Jean BERGERET sur Hans quelles raisons inconscientes pouvaient bien conduire FREUD à garder cette prudente distance. A un niveau plus général, on pourrait faire des remarques identiques à la suite du très beau livre de Maria TOROK et Nicolas RHAND : “Questions à FREUD” où ceux-ci dans une argumentation solide tentent d’exhumer avec lucidité les causes psychiques de ses cécités.

Il n’est pas possible dans les limites forcément restreintes de ce travail de redéployer tout l’argumentaire formidablement étayé de BERGERET. Toutefois, si j’essaie grossièrement de le résumer, BERGERET tente de montrer que c’est l’aspect de la violence qui est totalement scotomisé dans la rédaction du petit Hans au profit d’une explication génitalisée forcée.

Cette violence aurait consisté en ce que Hans aurait assisté à des ébats adultérins de sa mère à Gmunden, lieu de villégiature où le père ne venait qu’épisodiquement, scène qui aurait produit un excès d’excitations chez l’enfant en dehors de ses capacités à les maîtriser. Mais cette violence est aussi du côté paternel dans la mesure où je soulignais le questionnement intempestif du père à propos du développement sexuel du fils dont on peut penser qu’il ne date pas de la rédaction du cas ainsi que le suggère FREUD. Cette violence si elle s’étaie sur des éléments de réalité ne doit pas être perçue simplement comme un retour vers une théorie pré-psychanalytique.“ Le viol du petit Hans écrit BERGERET aurait consisté en une excitation instinctuelle trop intense exercée, sans qu’ils s’en soient rendus compte, par des adultes qui vivaient eux une problématique sexuelle compliquée, alors que Hans était encore au stade “d’innocence sexuelle”, c’est-à-dire d’inorganisation, d’inéfficience de ses “préformes” d’imaginaires sexuels non reliables entre elles, et non encore élaborables selon un modèle triangulaire”. Les parents de Hans divorceront d’ailleurs peu après

De ce fait, la violence aurait entravé les capacités imaginaires de l’enfant et l’accession à l’élaboration oedipienne. C’est cette difficultés de symbolisation que nous voyons à l’oeuvre au travers des mouvements symptomatiques de Hans dans la mesure où celui-ci n’aurait pu recevoir ces excitations que sur le registre où il le pouvait c’est-à-dire violent. Il y a d’ailleurs une grande différence avec la manière dont FREUD tente de reconstruire la réalité d’une scène traumatique pour “L’Homme aux Loups” et la rapidité avec laquelle il ne donne pas suite à cette hypothèse dans le cas de Hans.

Il est, je crois possible, de suivre BERGERET dans les multiples points de concordances qu’il tisse entre l’histoire de Hans et l’histoire de FREUD. Notamment dans le matériel violent lié à la représentation maternelle que FREUD expose sans l’analyser mais dans lequel l’excès de séduction tient une bonne place ainsi que l’aspect menaçant de l’imago maternelle. Il est, je crois, classique d’admettre que FREUD a toujours maintenu une image idyllique et aseptisée de sa “jeune et svelte” mère qui a bien des égards recoupe la description qui transparaît de la mère de Hans.

On pourrait alors penser que la distance gardée vis-à-vis de l’enfance et plus précisément de l’enfant Hans comporte pour suivre GUILLAUMIN une sorte de deuil inachevable et inélaborable pour FREUD de la nostalgie de la “perversité polymorphe”, d’une mère idéalisée et fusionnelle, des séductions voire des traumatismes qui pourraient avoir émaillés son histoire ainsi que les regrets de la toute puissance des désirs de l’enfance.

4. – LE PETIT HANS A LA LUMIERE DE MELANIE KLEIN :

On ne peut assurément pas suspecter O. FLOURNOY de complaisance aveugle à l’égard de la théorie de M. KLEIN puisqu’il se situe ouvertement en opposition. Toutefois, il pointe avec justesse la force des fantasmes destructeurs entre la fille et la mère et l’énorme travail psychique qui s’effectue au cours du développement précoce de l’enfant pour renoncer au pouvoir phallique de la mère. Celui-ci ne serait-il pas :

– le pouvoir de refuser ou distribuer l’amour,

–   la capacité de s’approprier pour elle seule le pénis du père modèle dont a terriblement besoin l’enfant pour se construire ?

De fait, la mère ou plus exactement l’image de la mère occupe une place centrale dans l’organisation théorique de M. KLEIN tendant à rendre compte des tous premiers temps de la naissance à la vie psychique pour reprendre le titre du très beau livre de L’HOPITAL et CICCONE. J’ai pointé précédemment l’évitement de la question maternelle chez FREUD qui trouve bien évidemment sa résurgence dans la conceptualisation kleinienne. Les éléments connus de la biographie de Mélanie KLEIN – et notamment ses démêlés volcaniques avec sa fille Mélita – laisse augurer qu’à l’instar de FREUD cette centration sur la toute première relation à la mère s’enracine aussi sur une histoire personnelle vraisemblablement riche et douloureuse que la théorie a pour fonction de mettre en mots distanciés et donc de sublimer.

De nombreuses étapes ponctuent les 20 années de travail clinique de M. KLEIN pour aboutir à définir le concept de névrose infantile de l’enfant à partir de ses descriptions des formes primitives du complexe d’oedipe et de la position dépressive.

Ainsi écrit-elle en 1940 dans “Le deuil et ses rapports avec les états maniaco-dépressifs” : “J’ai exprimé l’idée que chaque petit enfant éprouve des angoisses de nature psychotique quant à leur contenu et que la névrose infantile est le moyen normal de manier et de modifier ces angoisses….C’est la névrose infantile qui permet à la position dépressive précoce de s’exprimer, de s’élaborer et de s’éliminer graduellement, c’est là un aspect important du processus d’organisation et d’intégration qui avec le développement sexuel, caractérise les premières années de la vie”.

En ce sens, il serait donc possible de tenter une relecture du cas du petit Hans à la lumière des apports kleiniens c’est-à-dire pour reprendre la position de J. et F. BEGOIN de voir “dans la névrose infantile……. un mélange en des proportions extrêmement variables d’un moment à l’autre et d’un sujet à l’autre, de processus d’évacuation de multiples formes d’angoisse ;- tant psychotique que névrotiques, en relation avec les étapes du développement psycho-sexuel ‑ et de processus de communication des pulsions épistémophiliques et de la recherche des multiples sens de la scène primitive”. A l’instar de ce qui se passe au plan névrotique de “l’hystérie infantile” noyau commun, existerait un noyau psychotique dans tout développement ; hypothèse que l’on retrouve dans les travaux de F. TUSTIN. Et les BEGOIN de conclure quelques pages plus loin : “la névrose infantile est avant tout recherche de sens”.

Dans cette optique le compte-rendu de l’observation de Hans serait moins à comprendre comme l’efflorescence d’une pathologie infantile liée aux difficultés rencontrées dans la confrontation avec la situation triangulaire oedipienne mais comme une étape nécessaire et capitale dans le développement de l’enfant des positions antérieures où s’organiseraient les angoisses tant psychotiques que névrotiques de l’enfant pour s’élaborer dans la position dépressive.

La fin heureuse de l’évolution de Hans qui ne souffrit d’aucune affection psychique connue plaide évidemment dans ce sens même si elle n’entame en rien la pertinence des découvertes freudiennes.

FREUD, on l’a vu précédemment, fait débuter les manifestations pathologiques de Hans à partir d’un rêve d’angoisse où le petit garçon rêve que sa maman est partie, qu’il n’avait plus de maman pour “faire calin” avec lui. “Faire calin” qui est calligraphié dans l’édition française en italique renvoie implicitement à “faire l’amour” et FREUD commente en soulignant l’accroissement de la tendresse de l’enfant envers sa mère, accroissement dans lequel il verra les signes d’une pulsion érotique qui, bien évidemment, se verra refoulée et dérivée dans les divers symptômes phobiques qui apparaîtront alors.

Mais l’aspect dépressif, de souffrance pourtant pointée dans les indications diagnostiques par le père ne sont pas reprises en compte par FREUD dans l’utilisation interprétative qu’il fait de ce rêve alors que tout au long de l’observation on est tenté de s’interroger sur les oscillations comportementales de Hans qui, tour à tour, manifeste une gaieté enjouée un peu surfaite qui a vraisemblablement une coloration maniaque et des phases de retraits, de non activité, d’isolement qui traduisent un repli de nature dépressive qui culmine lorsqu’il pleure dans la rue pour être reconduit à la maison.

C’est 4 à 5 jours plus tard que se manifeste “la peur qu’un cheval ne le morde” qui sera comprise comme un processus phobique en rapport avec la répression des émois érotiques concentrés sur la mère alors qu’il est possible, je crois, d’y voir comme le souligne d’ailleurs BERGERET une peur en lien avec des contenus beaucoup plus archaïques et régressifs dont la dimension persécutive est patente.

“On pourrait penser que le cheval est un substitut de la mère” suggère FREUD d’abord même s’il ne donne pas à cette hypothèse de développement. Si tel est le cas, il devient alors possible de comprendre que le petit enfant se confronte à la mère archaïque, destructrice et terriblement phallique c’est-à-dire à une image maternelle persécutrice dont l’incidence symptômatique n’est que la face visible du fantasme sous-jacent. Mais cette image du cheval qui mord doit aussi être entendu comme la projection – en fait il s’agit ici d’une identification projective – par l’enfant de son agressivité sadique orale face au coït parental. C’est ce qui donne à ce fantasme une figure d’une force particulièrement effrayante pour lui. Donc terriblement difficile à contenir dans les limites des processus psychiques qui sont alors les siens.

Le rêve apparaît alors comme une tentative de réparer l’objet ainsi attaqué – il s’agit alors de l’élaboration de la position dépressive – pour le restaurer et pouvoir ainsi l’intérioriser et en faire un bon objet intérieur qui servira dans la construction ultérieure du psychisme de l’enfant.

En fait, comme dans toute analyse, le contenu du rêve ne livre ses secrets non pas par une quelconque mantique mais bien par les contenus associatifs qui lui sont directement ou transférentiellement accolés. Il faut donc inverser l’explication et voir dans les associations rapportées de l’enfant non pas l’effet du rêve mais sa cause déterminante ; c’est-à-dire ce qui a présidé à son apparition.

Cl. GEISSMANN, dans un article érudit du Journal de la Psychanalyse de l’Enfant, résume les positions kleiniennes et post-kleiniennes. M. KLEIN “va considérer que l’Oedipe précoce commence dès la première année de la vie et va dépendre dans une très large mesure de la qualité de la relation de l’enfant au sein maternel”.

Le deuil du sein – qui transparaît de façon à peine voilée dans le rêve de Hans – est nécessaire pour la constitution et l’enracinement du bon sein intérieur, noyau du Moi. Cette identification introjective du bon sein permet pour suivre J. GAMMIL et R. HAYWARD “de sortir de l’état de fusion lié à l’identification projective et/ou incorporative, et préside au début de l’établissement d’un vécu d’identité par le bébé, ainsi que de sa capacité à reconnaître une identité distincte tant à sa mère qu’à son père”.

Il serait long mais peut être un peu fastidieux de reprendre dans l’observation elle-même tous les éléments où Hans tente de maintenir envers et contre tous sa fusion avec des parents que l’on pourrait alors voir comme combinés dans son esprit – les multiples épisodes où il vient les rejoindre dans le lit conjugal- ainsi que de repérer les linéaments de la différenciation des deux imagos qui vont reprendre le courant libidinal de l’enfant et s’actualiser dans les questions autour du “fait-pipi”.

“Dans ces premiers travaux poursuit Cl. GEISSMANN, le complexe d’Oedipe, débutant à l’apogée de la phase sadique orale en liaison avec le traumatisme du sevrage, lui apparaît donc comme marqué par la haine et la destructivité, par des attaques extrêmes du corps de la mère et des fantasmes liés au corps de la mère et au couple parental. Le corps de la mère apparaît à l’enfant comme un réservoir plein de richesse qu’il s’agit d’explorer afin de s’emparer de ces dites richesses. Elle reviendra sur la qualité de ces attaques à la fin de sa vie lorsqu’elle mettra en évidence le rôle de l’envie”.

N’est ce pas tous ces contenus que nous voyons se développer dans l’un des derniers rêves rapportés de Hans qui apparait alors que la dimension sadique anale est profondément engagée et sur le devant de le scène : “Je suis dans la baignoire, – FREUD précise que c’est la mère de Hans et non la bonne qui lui donnait son bain – alors le plombier arrive et la dévisse. – FREUD ajoute que c’est pour l’emporter et la réparer – Il prend alors un grand perçoir et me l’enfance dans le ventre”.

Je crois qu’il n’est pas besoin de développer une longue interprétation de ce rêve tant elle paraît claire dans ses développements d’une exploration de l’intérieur du corps de la mère, lieu de toutes les richesses et de toutes les représailles, en même temps que s’y connotent tous les éléments de la réparation.

Je concluerais avec J. GAMMIL et R. HAYWARD : “Dans la névrose infantile normale, l’enfant va devoir renoncer à cette illusion identificatoire, vivre l’amour et la haine envers chacun de ses deux parents comme envers leur couple, réélaborer encore une autre édition importante de la position dépressive et, par là, reconnaître l’identité sexuelle de chacun des deux parents et rétablir la sienne propre à un niveau plus évolué, pour aborder l’édition génitale du complexe d’Oedipe”.

On comprend alors mieux que pour M. KLEIN, la fixation de la libido n’est pas comme chez FREUD la cause de ce qui deviendra un processus pathologique ; elle est déjà l’effet du processus pathologique lui-même dont les racines sont à rechercher dans les temps antérieurs du développement psycho-sexuel de l’enfant. M. KLEIN positionne la névrose infantile bien avant FREUD qui la situe vers 3-4 ans alors que M. KLEIN la situe dans la première année. En ce sens, la pathologie de Hans renverrait alors à une réorganisation des angoisses plus anciennes et de coloration psychotique dont la manifestation pathologique ne serait que le remaniement et le dénouement de l’histoire de ce “beau jeune homme”.

5. – CONCLUSION:

La lecture – ou la relecture – du petit Hans permet de mieux cerner la complexité d’un matériel que FREUD, dans un premier temps, utilise pour étayer la pertinence de ses conceptions du développement psycho-sexuel. En ce sens, Hans est à la théorie de la sexualité ce que Dora est au rêve et à l’hystérie.

La notion de “névrose infantile” comporte bien, comme le suggérait D. HOUZEL, une confusion sématique qui fait qu’elle peut être prise :

– soit comme un modèle censé rendre compte sur un plan anthropologique des paliers et étapes qui président à la constitution de l’identité sexuelle et du sentiment d’identité de l’être humain en croissance ; paliers et ligne de force qui se redessineraient dans le transfert et la névrose de transfert.

– soit comme une névrose de l’enfant entendue comme décrivant une entité nosographique faite de symptômes et de souffrance.

Il me semble bien improbable que FREUD n’ait pas perçu cette confusion qui peut certes s’expliquer par le défrichage colossal de ce pionnier attelé à une tâche immense.

Si cela n’était le cas, je pense que cela voudrait dire qu’il y a dans cette confusion sémantique les traces d’un point aveugle de FREUD portant sur l’incapacité dans laquelle il se trouvait d’explorer le maternel et surtout le maternel archaïque.

C’est précisément dans cette brèche que s’est inscrite M. KLEIN pour des raisons qui ne sont certes pas “que” scientifiques.

Cela montre que la théorisation – en psychanalyse du moins – s’appuie toujours sur l’histoire personnelle. Les points de butée, les limitations sont souvent autant de points aveugles qu’il faut à toute force obturer pour mieux les juguler. Cela pose à l’évidence un problème quant à la transmission psychique puisque ce qui est accueilli par l’un est rejeté par l’autre et vice-versa.

Il est donc important de connaître l’histoire des concepteurs d’une théorie. Non pas tant pour se livrer à quelque jeu sauvage interprétait mais pour mieux pouvoir apprécier l’impact de l’histoire personnelle, de la souffrance psychique dans le choix des outils conceptuels dont certains peuvent métaphoriser les points aveugles.

En ce sens, le mode de conceptualisation dans le champ psychanalytique interroge considérablement l’écriture théorique dans le champ scientifique le plus épuré. L’écriture théorique obéit toujours aux lois des processus inconscients qui infiltrent celle-ci par l’intermédiaire de son concepteur, sujet de l’écriture.

Les conflits théoriques sont alors de ce fait bien vains puisqu’il s’agirait de faire entendre à l’autre ce dont précisément il ne veut rien savoir.

Tel est le paradoxe de la progression de la connaissance dans le champ psychanalytique qui, si l’on en croit l’expérience de FREUD, ne peut se faire que dans la souffrance.

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