27/11/2017: L’identification projective, si simple et si complexe

Séminaire tenu par Françoise Labbé et Marie-Paule Durieux le 29/11/2017

2016/2017- Dynamique des défenses psychiques

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I. Françoise Labbé

A partir de Freud, Mélanie Klein conceptualise l’identification projective

En 1911, avec le cas Schreber, Freud met en évidence le phénomène de projection, responsable du délire de persécution. Avec « l’homme aux loups », il précisera sa conception d’un monde interne projeté sur l’extérieur.

Poursuivant les recherches de Freud, à partir du traitement des enfants et des psychotiques, Mélanie Klein va s’attacher à l’étude des angoisses les plus archaïques qui sous-tendent la névrose infantile, et mettra l’accent sur la dualité des instincts de vie et de mort. Les mécanismes de défense à l’œuvre sont décrits : identification projective, clivage Moi/objet, déni, omnipotence, idéalisation et projection ; ceux-ci, associés à l’angoisse persécutive, vont constituer la position schizo-paranoïde. Quand l’enfant prend conscience de l’objet total, de sa dépendance et donc du risque de sa perte, se constitue la position dépressive.

Mélanie Klein va étudier le rôle du symbole comme moyen de communication du sujet avec le monde extérieur ;ell développe ainsi sa technique de thérapie par le jeu.

En 1946, dans sa « Note sur quelques mécanismes schizoïdes », Mélanie Klein définit l’identification projective comme le prototype de la relation d’objet agressive, attaque anale par intrusion en force de parties du Moi dans un objet afin de s’emparer des ses contenus ou de le contrôler. Ce fantasme, consistant en parties de soi qui se trouvent localisées à l’extérieur, peut amener à un sentiment d’identité affaibli pouvant aller jusqu’à la dépersonnalisation, voire à la pathologie sévère du développement du Moi chez le schizophrène.

Le concept d’identification projective, entièrement établi dans son cadre théorique en 1946, se différencie de la projection décrite par Freud qui elle concerne la totalité et non des parties de soi qui peuvent être projetées.

Françoise Labbé rappelle le travail de K. Abraham sur les états maniaco-dépressifs avec l’existence de cycles de projection suivis d’une introjection récupératrice (1924), qui va être déterminant et asseoir les nouvelles conceptions des relations d’objets, principalement en Grande-Bretagne.

Françoise Labbé termine cette première partie sur Mélanie Klein avec la construction du Moi et des objets. Celle-ci s’établit à partir de l’introjection d’objets, aboutissant à une assimilation par le Moi, qu’il ressent comme lui appartenant. Dans le même temps, les objets externes se construisent à partir d’aspects inhérents au Moi (fantasme inconscient) , et conjointement selon les caractéristiques des objets présents et passés.

Bion : la psychose, l’identification projective et la capacité de rêverie de la mère

Bion s’est beaucoup inspiré des textes de Freud (« Formulation sur les deux principes du cours des événements psychiques » (1911) et « Névroses et psychoses » (1924)), et a repris trois axes chez Mélanie Clein :

• La précocité du complexe d’Œdipe ;

• Le conflit pulsionnel entre pulsions de vie et pulsions de mort ;

• Le rapport entre épistémophilie et sadisme ;

Il s’intéresse essentiellement à la position schizo-paranoïde et introduit les notions d’indentification normale et pathologique :

– Dans la première, il s’agit d’introduire dans l’objet un état psychique pour entrer en communication avec lui à propos de cet état (contenance) ;

– Dans la seconde, il s’agit d’évacuer violemment un état douloureux pour obtenir un soulagement immédiat, et entrer de force dans un objet pour le contrôler.

Bion développe l’idée d’une part psychotique et non psychotique qui coexistent dans la personnalité.

La personnalité psychotique usera massivement de l’identification projective : les attaques vont détruire les liens de la conscience avec les impressions sensorielles de la réalité, mais également les liens au sein même de la pensé et ce, dès le début de la vie.

Dans la personnalité non psychotique , on est dans la position dépressive (objets totaux et non partiels), avec utilisation du refoulement (et non clivage).

Comment peut-on identifier l’identification projective ?

L’identification projective, nous dit Françoise Labbé, nous fait éprouver quelque chose qui ne peut s’exprimer en mots, comme un « transfert vécu » appartenant à un monde d’expériences subjectives et de fantasmes inconscients. A la différence du patient quand il projette, avec l’identification projective on ressent une émotion qui concerne la réalité psychique du patient. C’est à partir de ce ressenti qu’une élaboration du contre-transfert sera nécessaire pour ramener ce vécu à sa source.

Françoise Labbé termine sa présentation avec un cas clinique où elle montre bien comment son patient a pu déposer en elle sa haine et sa destructivité par identification projective, au lieu de ressentir lui-même ses affects dépressifs et mélancoliques.

II. Marie-Paule Durieux

Introduction

Pour Mélanie Klein, l’identification projective est un fantasme, une défense limitée à un psychisme. Pour Bion (« Aux sources de l’expérience »), il s’agit d’un mécanisme impliquant une relation entre deux personnes (mère/bébé, thérapeute/patient). Il s’agit pour le sujet de communiquer et faire ressentir à l’autre ses émotions primitives, externalisation qui va permettre la symbolisation de ces expériences émotionnelles, ainsi que le développement de la pensée et de la connaissance.

Pour Bion, les processus cognitifs se développent de manière tout à fait intriquée au développement affectif, les représentations émotionnelles atteignant progressivement des niveaux d’abstraction supérieurs. Dans « Eléments de psychanalyse », Bion va systématiser ce processus d’abstraction, notamment avec la grille et son axe vertical.

La théorie de l’identification projective est liée en outre à deux éléments théoriques :

• Le modèle contenant-contenu (♀ ♂) qui rend compte de la manière dont les pensées se construisent à travers l’identification projective ;

• Le modèle PsD : l’oscillation entre la position schizo-paranoïde et dépressive.

Identification projective et fonction alpha

Bion postule chez tout sujet l’existence d’une fonction alpha qui lui permet de comprendre sa propre expérience émotionnelle et celle des autres, permettant ainsi l’élaboration de la position dépressive. Cette fonction alpha va permettre la représentation de l’expérience émotionnelle sous forme d’éléments alpha, qui vont constituer une première forme de symbolisation et une barrière de contact entre le conscient et l’inconscient.

Comment se développe cette fonction alpha et quel est son lien avec l’identification projective ?

Bion revient à la dyade mère-bébé, où l’amour maternel va s’exprimer par la rêverie : la rêverie, facteur de la fonction alpha, désigne l’état d’esprit réceptif de la mère, qui va accueillir les identifications projectives du bébé.

Cette capacité de rêverie est désignée comme élément féminin en creux, comme un contenant qui va accueillir les affects bruts du bébé, ces derniers désignés par Bion comme les éléments beta. Ces vécus primitifs vont être vécus et retenus par la mère ; elle va les détoxifier en les pensant (grâce à sa fonction alpha) et les renvoyer à son bébé sous une forme assimilable par la pensée (élément alpha).

Ce que le bébé introjecte, ce sont les éléments alpha, mais aussi la fonction alpha maternelle, c’est-à-dire la capacité élaborative. Est donc introjecté un contenant-contenu, que Bion va imager à partir de l’union et l’échange entre un sein et une bouche, modèle qui sera ensuite introjecté. C’est donc la mère qui ouvre pour son bébé le champ de la connaissance, que Bion va représenter par le lien C.

Marie-Paule Durieux poursuit en dépliant le modèle bionien de la naissance de la pensée.

Lorsque le bébé a faim, il a le sentiment d’avoir un mauvais sein (élément beta) en lui ; si le sein réel (la chose en soi) se présente, le bébé a le sentiment d’évacuer le mauvais sein. Dans l’attente du sein, va se former une préconception ; quand celui-ci se présente, la préconception va s’unir à une réalisation pour donner une conception. Par contre , si le sein ne se présente pas, si les vécus de haine, d’envie, sont trop intenses, le bébé va ressentir une angoisse majeure de détruire la personne qu’il aime. A la différence de Mélanie Klein (clivage bon-mauvais sein), Bion va décrire comme défenses contre ces angoisses une autre forme de clivage entre les besoins d’amour (satisfaction psychique) et les besoins matériels et l’attaque de l’appareil à penser les pensées avec la destruction partielle de la fonction alpha du bébé.

L’oscillation entre position schizo-paranoïde (clivage) et position dépressive (formation des liens) va devenir une modalité générale du fonctionnement de la pensée et de son développement.

• Ps : position défensive marquée par l’absence de lien, la dispersion.

• D : position de l’intégration et de la liaison.

La transformation de Ps vers D va permettre à la psyché de relier les différentes expériences ou éléments psychiques pour qu’une cohérence, un sens, émerge.

Marie-Paule Durieux va poursuivre son exposé en évoquant le roman « Harry Potter ». Elle nous montre, au fil du destin croisé de deux adolescents, à quel point le roman illustre parfaitement les théories de Bion, notamment l’importance de la qualité des premiers liens qui vont permettre d’aborder la position dépressive. L’analyse « bionienne » de la personnalité des différents protagonistes va amener Marie-Paule Durieux à introduire, en dernière partie, la théorie de Cramer et Palacio-Espasa qui ont théorisé différemment l’identification projective.

Ceux-ci s’intéressent en effet particulièrement au fait que la naissance d’un enfant confronte les parents à la reviviscence de certaines expériences de leur propre vécu infantile inconscient qui vont être source d’identifications projectives sur l’enfant et de la mise en scène dans l’interaction avec lui de certains scénarii inconscients.

Pour illustrer cette dimension transgénérationnelle, Marie-Paule Durieux terminera son exposé avec une situation clinique.

Françoise Labbé, Marie-Paule Durieux

29/11/2017