La Jeune Epouse

Littérature

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Pour taire les événements du passé, la Famille réunissant le Père, la Mère, la Fille et l’Oncle évolue de façon étrange, ritualisée, élégante dans une chorégraphie orchestrée par Modesto, le domestique. Celui-ci les éveille au jour, la nuit étant porteuse de rêves dangereux et annonciatrice de Mort. Le Fils est dans l’île, la jeune Epouse revient d’Argentine au jour prévu pour les noces mais le Fils n’est pas rentré…

Le récit se déroule quelque part en Italie mais aussi partout ailleurs selon l’imaginaire du lecteur. Entre rêve, conte et fantasme, l’attente du retour du fils devient prétexte aux récits des secrets, des traumatismes, du sexuel. L’initiation sexuelle de la Jeune Epouse par la Fille par la Mère, par le Père, la révélation du parricide/infanticide de la jeune Epouse nous offrent des pages superbes de nuances et de crudités, de sensualité et d’effractions. La complexité de l’âme humaine, les variances du destin, Eros et Thanatos entremêlés pour le meilleur et pour le pire, les confusions de générations et les unions incestueuses vont se dessiner sous la plume subtile de Baricco et vont dire à la manière du poète ce qu’une analyse peut aussi découvrir dans la polyphonie associative d’une cure qui laisse émerger les traumas, les rêves et les fantasmes.

 

A ce magnifique récit, Baricco ajoute une réflexion sur le métier d’écrivain et son texte hésite ou glisse entre la fiction du récit et la vie de son auteur. Dans la fiction elle-même, il lui arrive de changer de narrateur et comme dans un rêve, celui-ci infiltre alors les divers personnages. Il écrit: «… il m’arrive de changer plus ou moins brusquement de narrateur… je n’arrivais tout simplement pas à sentir ces phrases sinon en les faisant dériver de cette façon, comme si le solide appui d’un narrateur clair et distinct était une chose à laquelle je ne croyais plus ou qu’il m’était devenu difficile d’apprécier, une fiction pour laquelle j’avais perdu l’innocence nécessaire (p.63) » .

Qui donc écrit, pense-je, en lisant ses propos? L’écriture se nourrit de tant de choses actuelles, passées, refoulées, révélées par l’autre…Je songeais à la nature elle aussi multiple de la parole de l’analysant dont la chair est infiltrée de la vivance du couple analytique, quand le jeu du transfert et du contre transfert, des associations libres et des interprétations tisse dans l’après-coup du sexuel et du traumatisme une trame qui préside à l’émergence du discours.

Arlette Lecoq

Gallimard , Paris

09/09/2016