24/04/2019 : Burn-out, Bore-out, … Ravages au cœur de la psyché. La place du psychanalyste face à la souffrance au travail.

2018/2019 - Diversité des pratiques et des terrains

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Séminaire du Mercredi 24 avril 2019
Avec Eveline Ego et Géraldine Castiau
Burn out, Bore out, … Ravages au cœur de la psyché.
La place du psychanalyste face à la souffrance au travail

Introduction
Depuis plusieurs années, nous nous voyons confrontés à de nouveaux types de demandes dans les consultations qui ont trait à la souffrance au travail ; souvent sous le vocable de « burn out », nous voyons émerger, par le biais des psychopathologies et des pathologies du corps, ce que nous ne pouvons que relier aux effets nocifs des conditions de travail.
E. Ego et G. Castiau se proposent de partager leurs réflexions autour de cette clinique particulière, à partir de leur formation à l’Institut de Psychodynamique du Travail mise en place par le psychanalyste Ch. Dejours. Ces recherches s’intéressent à un champ qui va de la pathologie à la normalité, comme de la souffrance au plaisir dans le travail.
Le monde du travail répond de plus en plus à une obligation de résultat, avec des pratiques d’organisation managériale où le travailleur va être de plus en plus pressé, isolé , et confronté à une perte de sens du travail pouvant entraîner des décompensations.
Comment se refuser à la demande de réparation, de coaching, tout en restant à l’écoute de la souffrance liée au travail , et amener à la réactualisation des conflits psychiques ?
Il est question ici de la sensibilité conceptuelle du thérapeute, qui trop souvent ne se réfère qu’à la théorie de la sexualité infantile, « débarrassée » de la théorie sociale. Les psychodynamiciens du travail insistent sur la nécessité d’intégrer, outre les concepts psychanalytiques, ceux qui appartiennent aux sciences du travail, à l’ergonomie, à l’anthropologie, etc., et ce pour parfaire notre écoute face à cette souffrance au travail.

Le New Public Management
Ce mode d’organisation du travail, a entraîné une désagrégation du collectif et un isolement psychique des travailleurs. Si cette problématique n’est pas prise en compte, nous risquons de « redupliquer » ce phénomène, et augmenter la souffrance de cet isolement. Si les répercussions de ce mode d’organisation doivent être reconnues, la réaction du travailleur va aussi dépendre de son propre mode d’organisation psychique.
Mais comment expliquer ces nouvelles souffrances graves ? Les psychanalystes ont longtemps considéré le monde du travail dans le discours du patient comme une métaphore, une mise en scène de ses conflits internes.
A l’instar de Winicott, pour qui l’enfant ne peut exister que si l’on considère son environnement, le travailleur n’existe pas sans son milieu de travail, qui génère des souffrances spécifiques.
Pour approcher l’organisation du travail telle qu’elle s’est développée à la fin du XXème siècle, les oratrices nous présentent certains principes du néo-libéralisme économique.
– Précédemment, avec le taylorisme : division du travail et organisation basée sur la domination, la sanction.
– Le néo-libéralisme actuel : tout est fait pour que le travailleur se sente lui-même responsable du bon fonctionnement de l’entreprise. Il devient aliéné à l’entreprise pour penser comme elle, devenir son outil. S’observe un phénomène d’adhésion du travailleur au système qui l’exploite, une « servitude volontaire ».
– L’objectif de rentabilité sans cesse revu à la hausse et l’augmentation des cadences vont conduire à un écrasement de la pensée. La flexibilité des travailleurs entraîne une perte de qualité, ainsi que la perte de l’estime de soi. La répression nécessaire de la pensée individuelle provoque un écrasement du préconscient, risque pour la santé mentale.
– Le contrôle permanent (statistiques, mails, etc.) accentue l’anéantissement du collectif et favorise une rivalité non productive.
– Les défenses contre ces nouvelles souffrances envahissent aussi la vie domestique, ce qui empêche non seulement le travailleur de se ressourcer dans son espace privé mais peut également générer de nouvelles souffrances dans sa vie domestique.
– Les objectifs de « qualité totale », de « zéro défaut » provoquent des sentiments d’impuissance, de dévalorisation.
– D’autres systèmes d’évaluation et de gestion sont aussi évoqués, qui illustrent la déshumanisation par ce mode d’organisation managériale : « reporting », « Net Promoter Score », « Ranking », « pilotage par l’aval ».
A l’issue de cette partie, les oratrices projettent un extrait de l’émission « Envoyé spécial », qui présente le témoignage accablant d’un DRH ayant appliqué, à l’extrême, ces méthodes dans de nombreuses entreprises, non seulement avec les employés, mais avec les managers qui devaient eux-mêmes les appliquer.
Le travail prescrit et le Réel du travail et ses défenses
Le Réel du travail ne correspond jamais au travail prescrit. Pour accomplir le travail prescrit, le travailleur doit développer son intelligence de travail pour adapter les prescriptions au réel, ce qui va générer une souffrance qui s’ajoute à celle engendrée par les éventuels risques liés à ce travail (cheminots, aviation, …).
Face aux souffrances au travail, on observe que les stratégies défensives collectives du monde du travail se réfèrent toujours à la virilité, selon une division sexuelle où les hommes dominent les femmes. Ces dernières doivent s’adapter à ce mode d’organisation, se retrouvant parfois en conflit avec le féminin en elles.
Seule exception, dans les métiers du soins (infirmières, assistantes sociales, etc.) qui étaient d’abord occupés par des femmes, les défenses collectives s’organisent au travers d’autres référents (plaisanterie, etc.).
Quand les défenses collectives habituelles ne sont plus opérantes – soit qu’elles ne suffisent plus, soit qu’elles sont anihilées par l’éclatement du collectif dans l’organisation (flexibilité, …), faute de collectif, l’individu se retrouve alors isolé face aux difficultés du travail, et va devoir développer des défenses individuelles :
– L’auto-accélération va se mettre en place pour s’empêcher de penser, accélérer la cadence. La pulsion est attaquée à son origine et stoppe le désir. Ces patients nous semblent vides, pauvres dans leurs associations, épuisés, ou au contraire présentent des comportements maniaques ou des addictions.
– La servitude volontaire. Comment comprendre ce consentement à participer à ce que l’on réprouve moralement ? C’est ce que Ch. Dejours nomme la servitude volontaire : on se sent lâche, mais on laisse faire, voire on rationalise… Face à ce conflit, la souffrance éthique va apparaître au regard des valeurs auxquelles les travailleurs sont attachés.
– Enfin, le déni est une défense très fréquente, déni des efforts du travailleur comme de ses souffrances ; c’est le « prêt à penser » de l’entreprise, une pensée non pensée ouvrant la porte aux idéologies et à la propagande, la pensée d’emprunt nous dit Ch. Dejours.

Normalité et psychopathologie
Pour Ch. Dejours, le travail, comme la sexualité, est au centre de la pulsion ; le corps, corps érotique, est source du travail vivant, où l’objet travail devient comme le prolongement du corps à l’œuvre ; dans le travail, une dimension charnelle va être assignée à l’objet matériel. C’est la sublimation qui est à l’œuvre, transposition pulsionnelle comme le dit Freud : dans le changement d’objet de la pulsion perdure la conservation fantasmatique de la qualité du vivant.
Troisième topique : inconscient amential
Partant des réticences de Freud à élaborer une vraie théorie du corps, Ch. Dejours se réfère également aux théories de la séduction généralisée de J. Laplanche pour proposer une troisième topique, celle de l’inconscient amential.
Lieu pour les messages restés non traduits, en attente de symbolisation, ce serait le réservoir infernal de « l’excitation déliée ». C’est là que nous retrouvons le risque de la dérive liée au système actuel d’organisation du travail, avec son objectif de rentabilité maximale sans plus de libido et sans amour de soi. Faute d’une organisation défensive efficace, la levée du clivage va ouvrir les vannes de cet inconscient amential, et la destructivité va apparaître sous forme d’effondrement psychique, physique ou de décompensation comportementale, voire de suicide jusque sur le lieu de travail.

La consultation
Nous sommes ici dans une clinique du trauma, ce qui implique dans un premier temps de rétablir les clivages pour permettre à nouveau un minimum de fonctionnement. Ch. Dejours propose de nous montrer curieux du Réel du Travail. Le thérapeute se doit de bien connaître les possibilités de l’exercice de l’intelligence au travail (on ne peut entendre que ce qu’on sait qu’on connaît) ; il doit se montrer curieux, intéressé, tout en restant garant de la position de thérapeute analytique. Il pourra alors aussi comprendre la reconstitution de l’enchaînement qui a entraîné la décompensation. Une fois la pensée à nouveau possible, un décalage va pouvoir s’opérer, et le travail thérapeutique s’envisager avec la réactualisation des conflits psychiques permettant au patient de retrouver un pouvoir d’action dans son travail, parfois à trouver une voie sublimatoire par lui-même.
Toutefois, si le thérapeute perçoit l’environnement comme tellement toxique qu’il empêche toute qualité de récupération de la pensée et risque d’entraîner une décompensation, il doit être prêt à interrompre un temps l’analyse stricto sensu, pour adopter une position plus accompagnatrice (par exemple, suggérer d’aller voir un avocat)

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Eveline Ego, Géraldine Castiau