Vérité, réalité, psychanalyse, de Roger Perron

Jean-Paul Matot

17/07/2020

Note de lecture

Lu, vu, entendu

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Dans cet ouvrage récent[1], Roger Perron distingue cinq types de réalités mais propose de considérer, de manière pragmatique, que la réalité peut être délimitée par quatre propositions : la réalité, c’est ce qu’on perçoit ; c’est ce qui exerce des effets ; c’est ce qui résiste ; c’est le changement.

Par rapport à la perception, se demandant pourquoi Freud « a pu céder à un réalisme naïf … qui … porte à tenir pour réel ce qui a été vu », Perron souligne que notre méfiance d’aujourd’hui est liée au fait que les sciences ont établi entretemps que « toute perception, bien loin d’être une donnée brute, est construite par une activité perceptive », tandis que les modèles scientifiques en vogue au début du 20è siècle étaient dominés par le positivisme d’Auguste Comte et par l’empirisme associationniste de la fin du 19è siècle (Stuart Mill dans la suite de John Locke et David Hume) (pp.137-138). Mais il relève également une contradiction chez Freud, le « réalisme naïf » coexistant chez lui avec l’idée d’une réalité construite par l’activité psychique, et Perron mentionne la « solution » proposée par Roussillon (cf. article dans ce numéro) d’un auto-effacement par le moi des indices de son propre travail de construction de la perception, rendant compte de l’illusion d’une perception venant du « dehors », de la « réalité externe » elle-même.

Le point de vue d’une réalité qui se marque par ses effets amène Perron à résumer de manière très claire et synthétique (pp 140-153) l’évolution de la philosophie des sciences à partir du bouleversement de la physique dans les années 1920, qui remet en question la notion de matière et met en évidence « que toute connaissance scientifique est construite sur la base de données perceptives élaborées par l’activité conceptualisante et théorisante de l’esprit », ce qui ouvre la possibilité de prouver scientifiquement des hypothèses incompatibles entre elles. Le champ d’application des modèles de causalités déterministes linéaires se restreint au profit de modèles dits de « chaos déterministes » au sein de systèmes complexes où les évènements se succèdent, mais selon un cours qui est imprévisible (les processus de changement en psychanalyse relèvent de tels modèles) : des variations très faibles des conditions peuvent à chaque moment modifier le cours des processus dans leur évolution vers des états de stabilité, régie par des « attracteurs » (cf. l’article de B. Virole dans ce numéro).

Quant à la réalité reconnue par sa résistance à sa négation, elle suppose de toute manière une activité psychique ; pour ce qui concerne les réalités matérielles, elle est recherchée dans la confirmation d’une hypothèse par sa vérification expérimentale ; pour les réalités événementielles, si leur survenue peut être établie, leur interprétation est affaire de points de vue, et il en va ainsi pour la psychanalyse, où elles se mêlent aux constructions, aux croyances et aux états affectifs. Les réalités par cohérence, où une proposition est tenue pour vraie parce qu’elle s’insère, selon la logique du domaine considéré – en particulier, les mathématiques -, dans un ensemble de propositions déjà tenues pour vraies, sont validées par consensus de pairs : ce qui est le cas dans le domaine de la psychanalyse …

Dernière proposition, la réalité, c’est le changement … puisque tout phénomène, en tant qu’il apparaît, témoigne d’un changement, que la vie est changement … La psychanalyse vise un changement qui modifie durablement l’équilibre fonctionnel du psychisme, dans le sens d’une plus grande capacité de liaisons souples et de mouvements verticaux (de régressions et de progressions)[2].

Cependant, note Perron, ces quatre propositions ne permettent pas de distinguer la réalité virtuelle, telle qu’elle se développe dans les jeux vidéo du point de vue du joueur, de la réalité « quotidienne ». Ce qui les départage, c’est l’existence – ou non – d’un consensus sur leur statut.

 

[1] Perron R. (2019), Vérité, réalité, psychanalyse ; In Press, Paris, 229 p

[2] ce que je conçois comme une latitude de mobilité entre des niveaux d’organisation et de différenciations variés