Couvercles pour un virus III.

Jean-Paul Matot

16/11/2020

confinements

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« Aussi bien fait que soit le panier, le manioc gouttera toujours à travers ! »

Copyright : © MRAC, Tervuren 

Notice de l’Africa Museum[1] : Légende : même si tout est fait pour les éviter, la vie amène toujours des problèmes.

(L’objet placé au centre du couvercle est un panier ‘ntete’ qu’utilisaient autrefois les femmes woyo)

 

Le SARS-CoV-2  est un virus relativement contagieux, qui comporte un risque vital estimé entre 0,5 et 1% des personnes infectées en se basant sur les chiffres de la « première vague » du printemps 2020. Toutefois, ce risque assez modéré, évalué de manière relativement objective surtout dans les pays développés, suppose des systèmes de soins de santé performants. Une étude française portant sur plus de 4.000 patients traités en réanimation entre fin février et début mai 2020 montre une baisse de la mortalité à 3 mois, de 42% à 25% entre le début et la fin de l’étude, témoignant peut-être d’un meilleur usage des traitements (Le Monde, 4 novembre 2020). Il est par ailleurs difficile de dire quelle serait la surmortalité Covid si le débordement des dispositifs de soins existants ne permettait pas – ou plus – d’en faire bénéficier l’ensemble des malades gravement atteints[2]. D’autant qu’il faut prendre en compte également les effets induits par la réaffectation prioritaires des dispositifs de soins au traitement des malades Covid, responsable d’une surmortalité à court et moyen terme au niveau de l’ensemble des pathologies médicales par l’indisponibilité ou le report de soins qui n’ont pu être délivrés normalement.

La mortalité due à l’infection par le SARS apparaît très liée à des facteurs de risques somatiques, au premier chef le grand âge[3]. Chez les personnes âgées, ces facteurs somatiques ont été considérablement aggravés par les risques supplémentaires liés à la concentration dans des structures d’accueil non préparées, aux troubles cognitifs entravant les mesures d’auto-protection, à la perte des contacts familiaux et à la disparition de l’envie de vivre[4].

Dès le mois de mai, les experts du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) constataient un déclin sans précédent depuis 30 ans de l’indice de développement humain (IDH), créé en 1990, qui associe des mesures du niveau de vie et de l’accès à l’éducation et à la santé. Le FMI (Fond Monétaire International) annonçait au même moment la pire dégradation de l’activité économique mondiale depuis 1929, touchant surtout les pays les plus vulnérables, avec une augmentation dramatique de la très grande pauvreté, de la malnutrition et des inégalités (Le Monde, 24-25 mai 2020). Ces prédictions se vérifient. Selon un rapport de la Banque Mondiale du 7 octobre, la grande pauvreté (revenu inférieur à 1,60 euros/jour), qui baissait régulièrement depuis 1990, devrait toucher 150 millions de personnes de plus d’ici fin 2021. Elle ne concerne cependant pas uniquement les revenus du travail, mais se traduit par la privation d’école (qui concerne 1 milliard d’enfants), de services de soins, de nourriture, d’accès à Internet (ce dernier « service » apparaissant comme susceptible de diminuer de 2/3 le nombre d’enfants privés d’accès à l’éducation, nécessitant un investissement de 90 milliards d’euros, soit 1% des plans de sauvetage budgétaires prévus). Les populations les plus touchées seraient celles des Etats à revenus intermédiaires, comme l’Inde, en particulier dans les zones urbaines disposant jusqu’ici d’un meilleur accès à l’éducation (Le Monde, 9 octobre 2020).

Dans les pays occidentaux, les inégalités face à la pandémie et ses conséquences sont très importantes. Aux Etats-Unis, « les Afro-Américains représentent 33% des hospitalisations liées à la pandémie alors  qu’ils ne comptent que pour 13% dans la population » (Le Monde, 10 avril 2020)[5]. En France, une étude de l’Inserm réalisée lors de la « première vague » montre que les personnes infectées étaient surtout des femmes, diplômées, travaillant dans les domaines du soin, habitant des communes très denses et surtout des logements exigus (moins de 18m² par personne). D’une manière générale, en mars 2020, les hauts revenus (10% les plus riches) étaient davantage touchés, en mai, c’étaient les 10% les plus pauvres et cette dernière surreprésentation se maintient dans le temps (Le Monde, date10 octobre 2020). Le surpeuplement des logements est un facteur de risque majeur ; il concerne 23% des ouvriers qualifiés contre 11% des cadres, 29% parmi les 10% de personnes aux revenus les plus faibles et les immigrés non européens de seconde génération, 41% chez ceux de première génération. Une étude française pluridisciplinaire (géographes, urbanistes, cartographe et pneumologue) portant sur la surmortalité en île de France au cours du premier semestre 2020 par rapport à 2018 et 2019 confirme les importants écarts liés aux revenus et conditions de logement[6] (Le Monde, 4 novembre 2020). Les dispositifs d’aide mis en place, en particulier le chômage partiel, semble avoir en partie compensé ces inégalités : il a bénéficié à 42% des plus pauvres et 24% des plus riches, 23% des ouvriers et 8% des cadres supérieurs (Le Monde, 10 octobre 2020).

Les mesures de confinement, la fermeture des écoles dans nombre de pays, la généralisation du télétravail, ont considérablement aggravé la fracture numérique et les inégalités face au maniement et à l’usage des nouvelles technologies. « Pour les familles qui n’ont ni tablette ni ordinateur – dans certains foyers, seul le père a un téléphone mobile -, ou qui n’ont pas d’imprimante, il est quasiment impossible de gérer l’école à la maison » relève S. Tisseron, qui déplore le manque d’investissement dans une complémentarité entre enseignements et présentiels et à distance, ainsi que dans l’aide pour les parents en difficulté. Il souligne que la créativité des jeunes Youtubeurs en matière de communication pourrait être source d’inspiration dans ce domaine (Le Monde, 13-14 avril 2020).

 

[1] Lieu de collecte: Angola > Cabinda ; Culture: Woyo

Personne liée à l’acquisition: I. Mesmaekers comme donateur ; date d’acquisition: 1956-11-27

Dimensions: 16 cm x 5 cm ; Numéro d’inventaire: EO.1956.88.39

[2] Il semble qu’à la période la plus critique de la « première vague », il soit arrivé que certains services hospitaliers aient procédé à une sélection des cas – notamment en fonction de l’âge – pour l’admission en réanimation (Le Monde, 30 juillet 2020)

[3] En dehors de l’âge, l’obésité, le diabète, une immunosuppression, une pathologie rénale apparaissent comme des facteurs de risque indépendants ; également, le pronostic est moins bon lorsque l’aggravation symptomatique survient précocement dans l’évolution, nécessitant rapidement un transfert en réanimation (Le Monde, 4 novembre 2020)

[4] A cet égard, la pandémie a mis en évidence l’inadéquation et la violence du défaut de préoccupation sociale à l’égard du bien-être des personnes âgées, les plus fragiles étant relégués – pour ne pas dire abandonnés – à la gestion hôtelière managériale de grandes structures privées, pour une bonne part internationales. Une réflexion globale sur les devoirs d’une société à l’égard du grand-âge s’imposera après cette pandémie, avec la mise en place de dispositifs associant – et non pas dissociant comme aujourd’hui – vie autonome, accueil en famille, accueil en institution, aides à domicile, soutien aux familles, centres d’activités et de soins de jour, chacun de ces dispositifs devant être pensé en complémentarité des autres, offrant une continuité de vie entre une pluralité de lieux répondant à des normes de qualité et d’organisation édictée par les pouvoirs publics.

[5] Ces chiffres doivent cependant être mis en perspective avec une étude de 2015 « montrant que les « blancs non hispaniques » … âgés de 45 à 54 ans augmentait depuis le tournant du siècle » liée notamment à l’augmentation du suicide, des toxicomanies, de l’alcoolisme (Le Monde, 8-9 novembre 2020).

[6] Hausse moyenne de la mortalité de 39%, variant entre 12% dans les quartiers privilégiés et plus de 50% dans les quartiers pauvres. Ce n’est cependant pas la densité de l’habitat qui est en cause, mais son exiguïté.