Couvercles pour un virus II.

Jean-Paul Matot

16/11/2020

confinements

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« Le serpent dans le pot : tu peux casser la cruche ou bien attendre qu’il sorte »

Copyright : © MRAC, Tervuren 

Notice de l’Africa Museum[1] : Légende : devant toute situation, il y a plusieurs manières d’agir de la plus empressée à la plus sage.

 

Le coronavirus, comme ses congénères, ne se déplace qu’avec son – ou ses – hôte(s). Sa rapide diffusion planétaire à partir de l’épicentre chinois supposé de Wuhan en décembre 2019 est celle d’un passager clandestin tirant profit de l’explosion des déplacements humains et de leur accélération.

Si nous considérons que cette pandémie, comme celles de la peste ou, plus proche de nous, de la grippe dite espagnole de 1918-1919 (environ 50 millions de morts dans le monde, 240.000 en France, causée par un virus proche du SARS-CoV-2 actuel, probablement importé d’Indochine deux années plus tôt, Le Monde, 20 mars 2020), sont des problèmes purement sanitaires, il convient d’adopter des réponses sanitaires, et de préférence, les plus efficaces, pour obtenir, sinon l’éradication du virus SARS-CoV-2 et de tous ses frères encore à venir, du moins le contrôle strict de leur transmission, par le développement de nouvelles techniques curatives et prophylactiques.

Une telle approche semble cependant trop partielle. Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet, journal médical très réputé, a publié récemment une page largement diffusée[2] pour souligner que la Covid-19 ne doit pas être considérée comme une pandémie mais comme une « syndémie ». Ce concept introduit en 1990 par Merill Singer, un anthropologue de la médecine américain, met l’accent sur l’interaction entre une épidémie – aujourd’hui le SARS-CoV-2 – et un ensemble de maladies non contagieuses, qui nécessite de tenir compte de dimensions sociales déterminant des inégalités importantes au sein d’une population en termes de vulnérabilité, de facteurs de risque, et d’accès aux soins. La perspective d’une syndémie permet dès lors d’aller au-delà de mesures sanitaires et de santé publique pour les intégrer à des politiques d’éducation, d’emploi, de logement, d’alimentation, insérées dans une perspective écosystémique.

Ce concept rejoint autrement celui de catastrophe, au sens où l’envisage J. Hermesse (2020). La pandémie, évènement planétaire qui  « reconfigure et transforme en profondeur le monde dans lequel nous vivons … (et) provoque l’ébranlement des structures sociales » (Hermesse, 2020, p.57) engage en effet une rupture d’intelligibilité (A. Bensa et E. Fassin, cités par Hermesse, p.58). L’auteure s’inscrit dans la perspective des travaux de K. Hewitt (1983) qui propose d’analyser les catastrophes « non comme des interruptions de l’ordre social normal, mais à l’inverse, comme le produit de cet ordre … Une évolution importante a été l’identification des catastrophes en tant que processus, produit de l’accumulation des risques et de vulnérabilités liés au type de société et d’économie qui se sont développés au fil du temps (Oliver-Smith, 2017). Tandis que les catastrophes sont communément appréhendées comme des phénomènes exogènes, occasionnels, naturels et fondamentalement inévitables, une approche par la vulnérabilité permet d’avoir « une vision de la catastrophe comme « endogène », c’est-à-dire produite par la société elle-même » (Revet, 2020) … Les risques de catastrophe sont ainsi construits socialement, même si la menace physique qui y est associée est naturelle » (Hermesse, 2020, pp. 60-61).

Jean-François Corty, directeur des opérations internationales de Médecin du Monde jusqu’en 2018, critiquait la réticence et le retard pris, en France (mais la réflexion vaut pour la plupart des pays occidentaux), à la mise en oeuvre d’une véritable concertation et implication citoyenne dans une stratégie globale (Le Monde, 13 mai 2020). A l’inverse, toute la gestion de la pandémie a commencé et s’est poursuivie dans un climat d’ « urgence chronique » orchestré de manière opaque, infantilisante pour ne pas dire répressive, par de petits groupes d’experts et de décideurs politiques incapables de faire émerger une ligne politique claire[3]. Malik Salemkour, président de la Ligue française des droits de l’homme s’inquiète de la manière dont la pandémie a été instrumentalisée pour limiter les droits démocratiques fondamentaux, notamment de manifester, et des violences policières – sans possibilité de recours judiciaires adéquats – qui ont accompagné le climat sécuritaire induit par les mesures de contrôle instaurées par de nombreux gouvernements (Le Monde, 27 mai 2020). La philosophe Claire Marin relève que « penser les maladies sur le modèle de la guerre, c’est se méprendre sur l’essence du vivant » (Le Monde, 25 mars 2020). Et en effet, plutôt que de rhétoriques guerrières absurdes, l’enjeu serait en effet de refonder une politique sanitaire – et une politique tout court – démocratique en donnant aux citoyens les moyens et la confiance nécessaires pour gérer collectivement les choix des risques en fonction de leurs contextes de vie spécifiques. Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à Paris-Saclay, relevait que « la société civile a été exclue … du processus décisionnel instruit au sein d’instances indifférentes à l’exigence de concertation » (Le Monde, 19-20 juillet)[4]. A cet égard, comme le note Ph. Kourilsky (Le Monde, 1er juillet 2020), la crise du Covid a servi de révélateur aux failles des démocraties, et à l’échec des régimes populistes, Etats-Unis et Brésil en tête[5].

Nous ne disposons pas d’évaluations scientifiques des effets bénéfiques, ni des effets induits, aux niveaux sanitaires – en ce compris psychologiques – et sociaux, des mesures de confinement généralisé, et davantage encore des couvres feu mis en place lors de la reprise automnale de la pandémie (Le Monde, 23 octobre 2020), sans même qu’il soit établi que ces mesures sont conformes au droit civil. Lorsque le président français présente en mars 2020 le confinement comme une manière de « retrouver le sens de l’essentiel », formule qui sonne particulièrement creux, et qu’il soutient la décision de fermer les parcs et d’interdire l’occupation de l’espace public dans tout le pays, il suppose implicitement que la majorité de ses concitoyens, auxquels il est demandé de « rester chez eux », ont un « chez eux » où il serait possible de « rester ». Sans même évoquer les migrants entassés dans des centres fermés, l’écrivaine Brigitte Giraud, qui a grandi dans la banlieue lyonnaise, rappelle, avec des mots qui sonnent vrai, que « ce qui sauve les gens dans les cités, c’est d’être dehors … Dehors est aussi important pour un habitant des quartiers que la terre pour un paysan. C’est l’extension naturelle de l’habitat ». Et de décrire la vie de ces jeunes qu’elle rencontre dans un lycée technique, à l’occasion de la présentation d’un de ses livres : « ils ne mangeaient pas ensemble, d’ailleurs ils n’étaient jamais en même temps à la maison … ils n’avaient pas assez de place … ils se croisaient … et ils ouvraient le réfrigérateur à tour de rôle, quand ils avaient faim … les places bougeaient … ces rythmes de travail disloqués créaient des familles disloquées » (Le Monde, 10-11 mai 2020).

Les mesures de « traçage » posent des problèmes majeurs de respect de la vie privée et de la confidentialité qui n’ont pas été suffisamment envisagés ni traités. A ce niveau, la responsabilité individuelle des citoyens est engagée, au-delà même de la décision personnelle d’installer ou non les applications pour smartphones recommandées : certaines ne fonctionnent que par contact Bluetooth entre les applications installées, mais d’autres par géolocalisation (Le Monde, 7 avril 2020). En outre, des signalements à des agences de contrôle sont effectués par des particuliers, sans même prendre la précaution de demander l’accord préalable des « amis » ainsi exposés. En Espagne, un appel à la délation des contrevenants à l’interdiction des réunions de plus de six personnes a été lancé par le ministre régional de Catalogne. Les réactions citoyennes sur les réseaux sociaux ont été d’autant plus vives qu’une application pour smartphones (AlertCops) permettant d’effectuer des signalements directement à la police pour combattre la criminalité a été créée en 2014 sous le gouvernement de droite du Parti Populaire (Le Monde, 27 octobre 2020) ; ses fonctionnalités n’ont cessé d’être étendues depuis 2018 par le gouvernement socialise, démontrant, si cela était nécessaire, que les dérives sécuritaires antidémocratiques ne sont pas l’apanage d’une couleur politique, mais bien un risque inhérent à l’exercice du pouvoir qui nécessite la vigilance des citoyens et l’existence de contre-pouvoirs indépendants du politique.

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Lieu de collecte: Angola > Cabinda ; Culture: Woyo

Personne liée à l’acquisition: Rév. Père Joseph Troesch comme vendeur ; Date d’acquisition: 1951-09-07

Dimensions: 19 cm x 6,3 cm ; Numéro d’inventaire: EO.1951.50.47

[2] https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)32000-6/fulltext

[3] à l’exception notable de la Suède, où les chiffres de mortalité – 58 pour 1000 habitants – ne sont pas meilleurs qu’ailleurs, en particulier dans les maisons de retraite qui comptabilisent la moitié des décès, mais où le taux d’adhésion de la population aux mesures prises – 70% à la mi-septembre – est remarquable – Le Monde, 18 septembre 2020)

[4] A un niveau local, il en a été de même dans les maisons de retraites, où les directions – souvent à la remorque de décisions prises au niveau central dans les grands groupes privés auxquels est déléguée la gestion de l’hébergement des personnes âgées – ont considéré comme superflu la concertation avec les familles – ne parlons même pas de prendre l’avis de leurs pensionnaires, globalement tenus pour incapables … Contrairement aux malades du SIDA, dont les associations combattives ont su imposer dans les années 1990 quelques règles d’une plus grande démocratie sanitaire, les personnes âgées en tant que groupe social ne sont pas – ou mal – défendues.

[5] Un journal médical aussi réputé que le Lancet ne cesse depuis des mois de publier articles et éditoriaux soulignant l’enjeu majeur de l’élection présidentielle aux USA au niveau de la santé planétaire et de la gestion des épidémies. Parmi de très nombreux articles : Planetary health and the 2020 US election, https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)32038-9, 29 septembre 2020 ; US election 2020 : public health, www.thelancet.com, vol 396, 3 octobre 2020, pp 946-947 ; Public health must be a priority in the 2020 US election, www.thelancet.com/public-health, editorial, vol 5, octobre 2020