26/10/2016: J’aurais voulu naître / n’être vivant

2015/2016 Emotions et Affects

Delen op

Le premier séminaire

(du 26 octobre) aborde la solution somatique, avec Edith Creplet (EC), et le second la solution comportementale et addictive, avec Blandine Faoro-Kreit (BFK).

En premier lieu est rapportée la définition du pare-excitation : cette fonction, que l’on trouve chez Freud dès 1895 dans « L’Esquisse », se conçoit comme une barrière dynamique entre le dehors et le dedans, un filtre, qui va permettre de lier les excitations externes et internes. Cette barrière va en outre empêcher le développement de l’angoisse.

Freud distingue deux qualités d’angoisse :

• l’angoisse automatique des états de prématurité du Moi, avec une excitation non maîtrisée ;

• l’angoisse-signal qui avertit le Moi, ici plus organisé, et va permettre la mobilisation des défenses et de donner sens à cette angoisse.

Les effractions du système de pare-excitation surviennent quand les excitations internes ou externes débordent, avec absence d’angoisse-signal. On parle alors de trauma, lequel va entraîner une non-différenciation dehors/dedans, avec des actions de décharge pour abaisser le niveau de tension.

De quoi dispose l’humain pour traiter les quantités d’excitation ? Comment aborder les personnes qui n’ont pas les capacités nécessaires pour gérer ces excitations ? BFK cite deux références pour aborder ces questions : l’Institut de psychosomatique de Paris (IPSO) et R. Debray, auteur de « La clinique de l’expression somatique », qui présente un modèle décrivant différents systèmes de régulation des excitations :

Modèle à voies courtes

– somatique

– sensori-moteur

– comportemental

Modèle à voies longues

– sublimatoire

– psychique

Tout humain utilise ces différents systèmes. Le problème survient lorsqu’un seul système est utilisé systématiquement. BFK illustre différentes situations qui vont utiliser diverses sortes de décharge.

Puis EC présente une situation clinique concernant une patiente atteinte de polyarthrite, qu’elle a suivie pendant une année. Elle précise d’emblée que le terme de somatisation est à entendre ici comme maladie organique, et non au sens de conversion.

Il s’agit d’une patiente qui s’exprime de façon monocorde, avec une violence primaire tout à fait réprimée. EC est d’emblée frappée par son discours juxtaposé, non associatif. Elle décrit l’absence de sentiment de besoin d’aide chez cette patiente, au narcissisme primaire en grande souffrance, avec absence de bons parents internes. La thérapeute se présente alors comme un Moi auxiliaire, pour maintenir un contenant, en particulier durant les interruptions. Elle montre aussi l’importance de soutenir activement les mouvements plus actifs de la patiente quand celle-ci sort de sa passivité motrice, et de l’aider à trouver d’autres possibilités de défense face à sa maladie invalidante.

EC décrit un psychisme très écrasé, avec des mécanismes d’abrasement très présents pour tenter d’enrayer une détresse sans nom, désubjectivante, où la part traumatique est prévalente, et entraîne des mécanismes de déni pour survivre.

En conclusion, EC montre comment ce cas clinique est exemplaire de ce qui est décrit par l’IPSO comme étant les trois facteurs déclencheur de la maladie psychosomatique :

• la pensée opératoire, pensée centrée sur la logique, le factuel, sans mouvements émotionnels comme défense de vécus traumatiques ;

• la dépression essentielle – ou sans objet – sans culpabilité, d’une forme atone ; on peut alors parler de « momification dépressive radicale » ;

• la somatisation : maladie organique avec dispersion de la charge traumatique dans le soma, sans possibilité de psychisation.

EC rappelle l’importance de la symbolisation, et comment le « penser » s’enracine dans la sensorialité. Elle cite F. Golse : « le corps est la voie royale d’accès à la subjectivation et à la symbolisation ».

A partir de deux dernières vignettes cliniques, EC insiste sur la nécessité chez le thérapeute de rester vivant face à ces patients, de ne pas s’enliser dans un ton monotone, et de continuer à penser en se dégageant de leur emprise. Pour permettre au transfert de s’installer, il est souvent nécessaire de travailler au niveau du concret, de l’actuel.

Enfin, le thérapeute doit aider à la transformation de la violence primaire en une agressivité « de bon aloi », c’est-à-dire sans se détruire, ni détruire l’objet d’amour.

Le 2ème seminaire : La solution comportementale et addictive

Reprenant le plan de départ présenté au séminaire précédant comme base de réflexion pour aborder les systèmes de régulation, Blandine Faro-Kreit (BFK) va se pencher cette fois sur les solutions comportementales et plus précisément les procédés auto-calmants, puis poursuivra avec l’alcoolisme.

Procédés auto-calmants

Les conduites auto-calmantes sont des procédés qui tentent d’une part d’apaiser l’excitation par le recours à une autre excitation. Elles reconvoquent également l’angoisse pour tenter de la maitriser dans la répétition. Enfin, la mise en danger peut être recherché pour reproduire la situation traumatique.

BFK va illustrer son propos en s’inspirant du livre de G. Szec, Les galériens volontaires. Ce dernier, à partir de l’analyse des sportifs de l’extrême, retrouve les caractéristiques propres à ces conduites auto-calmantes :

– épreuve présentée comme horrible : l’Enfer ;

– répétition inéluctable, avec un crescendo ;

– rythmicité : alternance angoisse-effroi-apaisement ;

– hyperactivité motrice, hyper-sensorialité ;

– dangerosité extrême jusqu’à frôler la mort ;

– incapacité à mentaliser.

BFK poursuit par d’autres cas moins « extrêmes » présentés dans le livre de G. Szec :

L’homme qui nageait dans l’eau

Monsieur X amène deux souvenirs d’enfance traumatiques : d’une part une anesthésie avec masque lors d’une opération et, d’autre part, il fut poussé dans l’eau alors qu’il ne savait pas nager. Depuis de nombreuses années il a développé des phobies et un comportement de contre-investissement consistant tous les jours à sauter dans le vide et à nager en apnée jusqu’à la limite de ses forces. Il répète ainsi les scènes traumatiques évoquées plus haut pour tenter de se calmer – s’épuiser – et maîtriser son trauma en se donnant le rôle actif. Cet acte compulsif, conséquence de l’absence d’une élaboration psychique, est aussi l’échec de la fonction maternelle contenante qui doit permettre, dans un deuxième temps, à l’enfant de se calmer lui-même, à partir d’une image intériorisée d’une « mère berceuse ».

Cas n°2

Il s’agit d’un enfant d’un an qui présente de gros problèmes d’endormissement, et demande à téter toutes les deux heures pendant la nuit. Il est montré dans ce cas comment la tétée est un processus auto-calmant – jusqu’à l’épuisement – tant pour l’enfant que pour la mère (mère ancienne grande sportive, ayant substitué à la relation mère-enfant une relation entraîneur-entraîné). Les tétées épuisantes représentent ainsi pour la mère une sorte de marathon, ainsi qu’un certain plaisir corporel comme celui éprouvé lors de ses entrainements sportifs.

Du côté de l’enfant, on observe une motricité très développée qui cherche à compenser une faiblesse de ses possibilités de symbolisation, un échec de la satisfaction hallucinatoire par la succion du pouce et donc une absence de développement de l’auto-érotisme. La seule réponse est la tétée, à répéter toujours, n’ayant pu intérioriser une mère suffisamment calmante, sécurisante. La mère et l’enfant deviennent alors des machines à calmer l’un pour l’autre, indépendamment de l’expérience de satiété ou de plaisir.

L’alcoolisme

BFK aborde ensuite le procédé de régulation par un produit, comme on l’observe dans l’alcoolisme. Deux définitions :

– Fouquet : l’alcoolique est celui qui a perdu la liberté de s’abstenir de boire ;

– M. Monjauze : type de personnalité marqué par une faille psychique telle qu’elle entraîne la nécessité impérieuse de boire de l’alcool, ou la contrainte d’exercer vis-à-vis de la consommation une exclusion radicale ou une vigilance permanente.

Pour l’illustrer, BFK reprend une image de P. Aulagnier, celle de l’alpiniste en difficulté, accroché au rocher, image qui se réduit à la paume d’une main crispée à la pierre et qui rappelle la défense par adhésivité. On observe chez ces sujets des notions de terreur paralysante, retrouvées souvent dans les rêves de chute, expériences sans doute vécues à des âges très précoces. Ainsi, l’alcoolique, faute de contenant maternel, de persistance de son être, a besoin d’une structure portante qui lui permette d’éprouver son existence dans la continuité.

En dernière partie de ce séminaire, BFK va poursuivre sa réflexion en s’interrogeant plus spécifiquement sur les rapports entre alcoolisme, parole et écriture. Nous la suivons dans sa rencontre avec Monsieur H., hospitalisé en cure de désintoxication. Il se présente comme un malade sans passé, anonyme, au discours inhabité. Comment penser alors le sens de son discours, avec le leitmotiv mainte fois entendu : les « tout va bien » ou les « je n’ai pas bu » ? Cette question du langage témoigne de la nécessaire séparation d’avec la mère et d’une indispensable reconnaissance. On peut postuler que durant les premières relations mère-enfant, moment initiateur de la pensée et de la représentation, des ratés se sont produits.

BFK découvre alors que Monsieur H. construit des grilles de mots-croisés qu’il va proposer très vite à sa thérapeute. Elle va montrer comment, à partir du jeu transférentiel qui s’instaure autour de cette activité et du pouvoir exercé sur sa thérapeute, se construit peu à peu une parole proche de son véritable auteur. Puis, quittant cette situation de duel agressif, M. H. va proposer à sa thérapeute des poèmes qu’il écrit : ceux-ci, aux accents mélancoliques, invoquent le regret, la douleur.

Pour compléter son propos, BFK cite alors Gerard Haddad qui pose une équivalence entre l’écriture et le corps de la mère ; écriture comme lieu de retrouvailles et de séparation abolie, mais dans le même temps de renoncement obligé, et par là inscription dans l’ordre symbolique.

Restauration narcissique, conclut BFK, « pour se restaurer d’autre chose que d’alcool, se reconnaître d’avoir été reconnu, accueilli par un autre, dans un miroir non troublé où l’échange des regards vous situe comme sujet ». L’écriture conforte l’alcoolique dans son existence et sa permanence, mais cette tentative sublimatoire est toujours à reprendre, tant les failles du système pare-excitant peuvent laisser écriture et alcoolisme se rejoindre dans la même ivresse.

Édith Creplet , Blandine Faoro-Kreit

26/10/2016