Souffrance, plaisir et pensée.

Delahaye, Baudouin

1983-10-01

Notes de lecture

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Voici un titre qui aurait fait plaisir à W.R. Bion. Ce recueil regroupe une série d'articles de qualité inégale exposés aux premières Rencontres Psychanalytiques d'Aix-en-Provence en juillet 1982, organisées par Jacques Caïn et Alain de Mijolla.

Si le thème part de l'idée que souffrance, jouissance, pensée, déplaisir, plaisir et représentation constituent un mixte jamais totalement dissociable, il ne fait que prolonger la pensée d'auteurs comme Klein, Winnicott et Bion qui ont bien montré que l'acte de pensée a un enracinement profondément pulsionnel en passant par la représentation de l'affect (Bion : «L'émotion est la mère de la pensée») et particulièrement de l'affect douloureux.

Christian David opposera un savoir affectif au savoir conceptuel pour nous montrer combien cette distinction a un impact clinique riche et immédiat. C'est André Green qui a écrit que «toute pensée, si exaltante qu'elle soit, donne le sentiment qu'elle ne s’acquiert que par un renoncement qui est comme le commencement d'une mort». Toute pensée est donc la résultante d'un travail de deuil.

Jean Guillaumin va s'atteler quant à lui à la pensée comme travail et à son destin dans l'écriture, pensée vive plus que simple dépôt de la pensée. Son article prolonge le très beau numéro de la Nouvelle Revue de Psychanalyse (n° 16 d'automne 1977) sur Ecrire la psychanalyse. Pour Guillaumin, et il nous le montre au travers des écritures de Freud, Borges et Gary-Ajar, la pensée de l'écriture fonctionne en modifiant le destin de la souffrance à l'aide d'une illusion mise au service du moi. L'écriture serait en quelque sorte un contenant extérieur de la pensée, une extension de l'appareil psychique vers le monde extérieur d'origine maternelle créant ainsi un nouvel espace pour la pensée. Si on sait combien Guillaumin dans tous ses écrits est fasciné par le fonctionnement de l'appareil psychique, on ne sera pas étonné de retrouver ici son hypothèse d'une digestion psychique de la souffrance et du deuil. Les travaux de Guillaumin et d'Anzieu constituent certainement les meilleurs repères actuels de la recherche psychanalytique contemporaine articulant la pensée freudienne aux hypothèses créatrices de Klein et Bion pour proposer de nouvelles avancées à une pensée psychanalytique vivante. Cet article à lui seul vaut l'achat de ce livre.

Dans un tout autre genre et de façon descriptive plus que dynamique, Maurice Olender va nous entretenir de l'érection perpétuelle de Priape, ce petit dieu grec qui ne peut intégrer son excitation, image mythologique du priapisme dont le symptôme est l'érection douloureuse et sans joie. Priape c'est l'inadéquate figuration d'une excitation insymbolisable qui ne fait que solliciter, sans cesse mais en vain, le regard de la mère.

Deux autres articles clôturent ce recueil, l'un de J. Caïn qui traite de Fusion et défusion de la pensée et de ses affects qui fait une synthèse des différentes réflexions abordées aux Rencontres d'Aix-en-Provence et celui de Sophie Mellor-Picaut sur L'intellectuel, le vivisecteur et le conquistador. Ce dernier travail est un essai original de psychanalyse appliquée sur Robert Musil.