Notes de lecture

Vaneck, Léon

1990-04-01

Notes de lecture

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Personne n'ignore les remarquables travaux de R. Mises dans le domaine de la psychiatrie infantile, que ce soit "L'enfant déficient mental" (PUF 1975), "La cure en institution" (ESF 1980), "Cinq études de psychopathologie de l'enfant" (Privat, 1981), ainsi que de nombreux articles. Sa double expérience pédopsychiatrique et psychanalytique confère aux travaux et recherches de R. Mises un intérêt tout à fait fondamental pour les cliniciens de l'enfance.

Dans ce troisième axe de la psychopathologie (névrose et psychose étant considérées comme les deux premiers), la notion d'états limites est, pense Mises, plus claire pour l'adulte que pour l'enfant.

Cet ouvrage s'est fixé l'objectif de préciser ce concept chez l'enfant, d'en démontrer la valeur clinique et métapsychologique et surtout d'en dégager les spécificités.

S'il comporte cinq chapitres, je préférerais présenter ce nouveau travail de R. Mises en y dégageant trois parties :

– un chapitre (le premier) consacré aux considérations cliniques, psychopathologiques et métapsychologiques sur les pathologies limites de l'enfance.

– Un chapitre (le deuxième) qui constitue une réflexion longitudinale et catamnestique dans un souci d'articulation entre les pathologies limites de l'enfance et leur destin à l'âge adulte.

– Trois chapitres (trois à cinq) qui s'appuient sur des études de cas pour illustrer aussi bien les considérations cliniques, psychopathologiques et métapsychologiques de ces pathologies limites que leurs perspectives thérapeutiques.

Les perspectives cliniques, psychopathologiques et métapsychologiques sont développées dans le premier chapitre "Repères cliniques et psychopathologiques". Il permet à Mises de préciser ses perspectives à partir de ses travaux antérieurs sur les dysharmonies évolutives et les enfants déficitaires. Il constate que la terminologie la plus fréquente chez l'enfant utilise surtout les termes de prépsychoses ou de parapsychoses, plutôt que ceux de cas limites, d'états limites, de border line, sans doute parce qu'il y a une tendance évidente à un recours fréquent à une conception élargie de la notion de structure psychotique. Il propose de mieux cerner le centre de gravité où selon lui, mérite d'être abordée la problématique des "pathologies" limites de l'enfance, préférant d'ailleurs pathologies à "états", terme utilisé chez l'adulte pour mieux souligner la diversification des potentialités évolutives.

Je suis évidemment incapable de résumer ce remarquable chapitre, très évocateur pour tout clinicien confronté avec ces enfants majoritaires de nos consultations, enfants pas vraiment névrotiques, pas fondamentalement psychotiques, mais qui constituent, comme le démontre Mises, une pathologie bien spécifique. A la fois cliniques et métapsychologiques, les considérations de l'auteur développent remarquablement son souci central de démarquer cet axe spécifique de la psychopathologie par des arguments convaincants et évocateurs qui s'appuient sur les études récentes sur la contenance, la place du négatif, le travail psychique du clinicien.

La réflexion longitudinale et catamnestique du deuxième chapitre "Esquisse des risques évolutifs" intéressera tout autant les cliniciens de l'enfance que ceux de l'âge adulte. En effet, R. Mises, s'interrogeant sur l'évolution des pathologies limites de l'enfance, nous y propose une esquisse des risques évolutifs, laquelle se fait sans doute vers une gamme étendue des troubles mentaux. Toutefois, Mises pense schématiquement que se dessinent trois grands risques évolutifs : le passage à une pathologie grave de la personnalité, la structuration déficitaire et, beaucoup plus rarement la rupture psychotique. Ce chapitre propose une réflexion longitudinale qui ne peut qu'interpeller les pédopsychiatres et psychologues d'enfants tout autant que les psychiatres d'adultes. Mises souligne l'intérêt des hypothèses qui instituent chez l'enfant un écart entre structure psychotique et pathologie limite, et il le démontre avec conviction dans ce qu'il considère comme étant les plus grands risques évolutifs développés dans ce chapitre, rappelant toutefois que, selon lui, il s'agit seulement de potentialités évolutives, qui ne sont ni fatales ni exclusives.

R. Mises aborde ensuite la poursuite de ses réflexions en s'appuyant sur plusieurs études de cas, que je ne détaillerai évidemment pas.

Dans le troisième chapitre, il va développer "Les supports institutionnels de la cure" à travers l'étude de l'histoire de Sylvana, enfant de 6 ans à pathologie limite avérée. Nous retrouvons ici avec grand plaisir le R. Mises dans ses fonctions institutionnelles et ses toujours passionnantes élaborations du travail multidisplinaire en institution à temps partiel, soit hôpital de jour, soit Centre d'accueil à temps plus partiel encore, les AITP (Action institutionnelle à temps partiel). Puissent les équipes de psychiatrie infantile et les pouvoirs publics y trouver quelques idées et suggestions pour de nouvelles modalités thérapeutiques…

Le chapitre quatre est également une étude de cas sur lesquelles Albert et R. Mises s'appuient pour élaborer quelques réflexions percutantes sur "Les agirs dans les pathologies limites de l'enfant".

Cette observation, écrit l'auteur, illustre les troubles qu'on découvre "entre névrose et psychose" dans le champ des dysharmonies évolutives graves à type de "pathologie limite". Cette histoire clinique très intéressante (celles racontées par R. Mises le sont toujours !) permet de relever, d'un côté, les failles graves dans l'organisation de la personnalité de ce jeune garçon de 8 ans, voire les risques de rupture, tandis que d'un autre côté les émergences névrotiques s'affirment progressivement avec la mise en oeuvre de moyens thérapeutiques intensifs qui sont indispensables en pareil cas.

Enfin, le chapitre cinq, intitulé "Un enfant isolé" nous raconte Alain, un garçon d'allure schizoïde, qui présente une forme caractéristique, selon R. Mises, de pathologies limites de l'enfance : la dépression, les troubles de la pensée, les modes de relation à type de double contrainte… R. Mises y présente en détails sa première consultation qui fait bien ressortir certains éléments significatifs. Cependant, certaines données de grand intérêt ne seront obtenues que beaucoup plus tardivement dans la cure ce qui, pour Mises, représente une constante dans l'approche des pathologies limites de l'enfance.

Cet ouvrage, qui prend plus de sens encore si on le situe dans l'ensemble des travaux de R. Mises, atteint son objectif présenté dès les premières pages : porter notre intérêt vers des faits pathologiques que la clinique de ces dernières années en psychiatrie infantile nous "offre" de plus en plus : les pathologies entre névroses et psychoses.

D'une part, en effet, cela fait une vingtaine d'années que R. Mises apporte une contribution notable aux recherches et travaux sur ces pathologies du troisième axe. D'autre part, ce dernier travail permet de mieux cerner la problématique des enfants à pathologie limite. J'estime que nous pouvons dès lors le considérer comme une excellente mise au point sur cette question, d'autant que les références psychanalytiques de l'auteur, son souci de faire des liens avec la pathologie adulte et la finesse de ses descriptions cliniques permettront, à ceux qui ne travaillent pas avec des enfants ou des adolescents, de trouver d'intéressants sujets de réflexion.