Notes de lecture

Godfrind, Jacqueline

1990-04-01

Notes de lecture

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Le langage constitue l'outil privilégié du travail de l'analyste : l'interprétation se formule grâce à lui. Pourtant, les analystes s'interrogent-ils parfois sur l'essence même de leur principal instrument d'intervention ? Pourquoi parle-t-on, comment parle-t-on ? … C'est, en tout cas, les questions qui naissent à la lecture du livre de Ruth Menahem.

Cet ouvrage n'est pas un écrit "psychanalytique". L'auteur s'en défend d'ailleurs. Comme elle le dit elle-même, la psychanalyse utilise le langage mais son objet d'étude n'est pas le langage : d'autres disciplines s'en chargent, auxquelles Ruth Menahem consacre une large part de son livre.

Mais la pensée conductrice qui articule les points de vue envisagés est authentiquement psychanalytique. En effet, Ruth Menahem choisit une "approche psychologique du langage parlé" ; son argument est de prendre en compte ce qui, dans le langage, est de l'ordre de la "folie", dimension passionnelle que les défenses de tout un chacun conduisent à trop souvent négliger. Le langage a pour fonction de donner sens et de communiquer, certes, mais dans une forme qui inclut la décharge de l'affect dont il canalise l'expression.

Les résistances à prendre en compte la dimension de folie dans le langage dépassent les considérations relatives au langage parlé. Les théories qui ont le langage pour objet – la linguistique particulièrement – ont également à affronter la folie à l'oeuvre dans leurs propres prises de position. Aussi le "parler sur la parole" de la linguistique n'échappe-t-il pas aux excès défensifs qui figent les théories en "enclos linguistiques", en réduisant l'étude de la langue à un contenu supposé détenir une valeur de vérité. La psychanalyse peut constituer une ouverture à ces positions par sa reconnaissance de l'inconscient, sa sensibilité à la folie. Cependant, la folie n'est pas psychose. La psychopathologie ouvre le champ à un mode de questionnement sur le langage. Mais, là encore, les interrogations interpellent le lecteur : le fou a-t-il une parole folle et une parole folle est-elle l'expression d'un fou ?

Peut-on, au delà des linguistiques classiques, "chercher, dans les productions du langage comment un autre discours que celui des idées exprimées peut se faire jour – et dont nous ne nous rendons pas compte nous-mêmes mais qui cependant transmet un message reconnu par l'interlocuteur… ?". Pour tenter cette "entreprise hasardeuse" l'auteur se tourne vers la rhétorique, théorie du discours, qu'elle étend aux théories actuelles de l"'énonciation" ; ce terme, très à la mode, tente d'objectiver les modalités du langage qui tiennent compte des relations affectives entre les interlocuteurs. Là encore, Ruth Menahem expose les thèses actuelles, parfois opposées, en s'interrogeant : le retour du sujet dans la théorie évite-t-il, pour autant, la fonction défensive contre la folie propre aux linguistiques classiques ? Ce qui conduit l'auteur à expliciter ses propres hypothèses de travail relatives à une "psycho-réthorique" traitant de "l'activité du langage dans ses rapports avec la folie passion".

Les quelques points de repère dont j'ai balisé le livre de Ruth Menahem ne rendent en aucune façon compte de la richesse de cet ouvrage. Chacun d'eux, en effet, est développé, argumenté, illustré à la lumière des théories propres à chacune des disciplines évoquées. Source inestimable de connaissances, l'érudition des informations peut en rendre la lecture parfois ardue. Cependant, au travers du labyrinthe des théories évoquées, le lecteur est toujours guidé par une pensée claire et rigoureuse dont l'intelligence atténue l'aridité de certains développements.