Notes de lecture

Delaunoy, Jacques

1990-04-01

Notes de lecture

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Je connaissais d'elle deux photos (Freud, lieux, visages, objets).

La première nous la montre au 3ème congrès international de psychanalyse à Weimar en 1911. Comment était-elle arrivée là, je l'ignore ; mais elle est là et bien là, assise au premier rang, presqu'au centre, près de Freud, avec cet extraordinaire manteau bordé d'une ample fourrure.

L'autre, un portrait réalisé quelques années plus tôt, nous révèle une femme d'une très grande beauté, avec un regard clair et décidé, et une bouche d'un dessin parfait (et toujours cette fourrure).

Quand on pense à Nietzsche, à Rilke, on pense aussi à Lou Andréas Salomé. Mais à la lecture du livre d'Angela Livingstone, j'ai appris beaucoup plus du destin exceptionnel de cette femme.

Née à Saint-Petersbourg en février 1861, dans une famille noble (les von Salomé sont d'origine allemande) et fortunée (son père est général du tsar Nicolas Ier), l'enfant montre très tôt une intelligence vive et la jeune fille est d'un tempérament secret, déterminé et est passionnée de métaphysique et de littérature.

A 18 ans, refusant les plaisirs faciles de son milieu, Lou Salomé quitte la Russie et décide de poursuivre ses études en Suisse.

Commence alors pour cette femme un extraordinaire périple à travers toute l'Europe où elle va découvrir tout ce qui compte dans les milieux littéraires de l'époque.

Le livre nous permet de suivre non seulement les rencontres (Nietzsche en Italie, son mari Andréas, spécialiste des langues orientales à Berlin, plus tard Rilke à Munich), mais il détaille aussi les travaux qu'elle entreprend, car elle s'est mise à l'écriture.

On ne lit plus guère aujourd'hui les oeuvres de fiction de Lou Andréas Salomé. Sait-on qu'elle publia vingt longues nouvelles, huit romans et une pièce de théâtre ?

Par contre, ses essais et travaux théoriques ont laissé plus de traces dans des domaines divers (sur la religion, la féminité, l'érotisme ; nombreux travaux littéraires dont une étude sur les héroïnes d'Ibsen, ses biographies de Nietzsche, de Rilke, une autobiographie).

Sa rencontre avec la psychanalyse date de 1911, mais c'est surtout l'année suivante qu'elle se met activement au travail. D'octobre 1912 à avril 1913, elle assiste aux fameuses réunions du mercredi chez Freud où elle est en contact étroit avec les premiers collaborateurs.

A la cinquantaine, cette femme qui n'avait cessé de travailler (la liste de ses oeuvres est éloquente) commence une deuxième carrière comme analyste. Elle pratiquera assidûment, encore 6 à 8 heures par jour à 60 ans passés, et publiera des articles sur le narcissisme et la féminité.

Elle restera toujours une amie intime de Freud (nombreux séjours à Vienne) avec qui elle entretiendra une correspondance suivie et dont elle réalisera une biographie.

Lou Andréas Salomé est morte le 5 février 1937 à Göttingen.

Pour ceux qui s'intéressent à l'histoire intellectuelle de l'Europe aux alentours des années 1900, pour ceux qui ont envie de revivre l'histoire des premiers pionniers de la psychanalyse ou plus simplement pour ceux qui veulent découvrir une femme libérée, européenne, épanouie, je conseille vivement la lecture de ce très intéressant livre, accompagné d'une bibliographie aux nombreuses et précises références.